Jeudi 14 mars, la Cnam a formulé de nouvelles propositions aux syndicats de médecins libéraux dans le cadre de la négociation conventionnelle. Après l’échec de l’hiver dernier, la Caisse a revu sa copie et s’est montrée prête à financer une consultation longue du médecin traitant à 60 euros pour la prise en charge des personnes âgées et de celles en situation de handicap. Elle a aussi proposé de valoriser certaines missions spécifiques du généraliste. Des « avancées » qui demeurent « insuffisantes » pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. D’autant qu’aucun calendrier n’a été avancé ni pour la hausse du G ni pour les autres revalorisations…
Comment s’est déroulée la 4e séance multilatérale de négociation conventionnelle ? Est-on proche d’un accord ?
Je ne dirais pas que l’on est proche d’un accord, mais on approche de la fin de la négociation. C’est différent. L’an dernier, la négociation a duré plusieurs mois et, fin février 2023, nous avons eu une proposition de texte conventionnel que les syndicats représentatifs ont refusé de signer. Jeudi 14 mars était une étape. Il y en aura d’autres. Elles feront l’objet de bilatérales. Une autre séance multilatérale aura lieu fin mars-début avril.
Dans le cadre d’une négociation conventionnelle, si on s’aperçoit que, de toute façon, on ne parviendra pas à un accord – c’était le cas l’an dernier du fait du contrat d’engagement territorial (CET) –, il faut bien à un moment siffler la fin de la partie. Quand on constate que des syndicats pourraient signer, mais qu’il y a encore des points de blocage, on continue à négocier pour essayer de les lever.
Y a-t-il des avancées pour les médecins traitants ?
Il y a des avancées, mais elles sont insuffisantes. Notons, par exemple, l’introduction de la consultation longue. Une mesure positive, mais totalement insuffisante telle qu’elle a été présentée le 14 mars. Je force le trait volontairement, mais le médecin qui prend en charge un patient âgé polypathologique qui va être hospitalisé quatre fois dans l’année, qui a quinze lignes de médicaments sur son ordonnance, dont le maintien à domicile est difficile et nécessite de faire un dossier APA et pour lequel on va finalement devoir faire un dossier de ViaTrajectoire, ne pourra facturer qu’une seule consultation complexe. Ce n’est pas possible… D’autant que cette consultation longue supprime la majoration – peu utilisée, certes – de 23 euros pour les patients insuffisants cardiaques et atteints de polypathologies de sortie d’hôpital. On doit retravailler là-dessus.
À noter également, comme autre avancée, la plus grande prise en compte de l’impact de la précarité sur l’activité du médecin traitant.
La Cnam veut également empêcher les plateformes de téléconsultation de facturer les majorations non régulées… Un signal fort pour les Généralistes-CSMF ?
Ce qui est positif, ce sont en effet ces mesures qui ont été formulées pour éviter cette fuite, cette hémorragie, des médecins traitants vers d’autres types d’activité, moins contraignantes. Il y a des médecins dans des plateformes de téléconsultation qui commencent leur activité à 20 heures pour facturer aux horaires de nuit. Ça rime à quoi ? On a aussi l’impression que certains centres de soins non programmés sont des cliniques ou des services d’urgence qui, vu leurs cotations, font de la réanimation ! Certains gros groupes s’engouffrent dans une nomenclature des médecins généralistes dans un but purement lucratif. Au lieu de facturer une consultation à 26,50 euros, on la facture à 90 euros… par abus ! Nous avions alerté la Cnam sur cette financiarisation du soin.
En revanche, pas un mot sur la hausse du G à 30 euros et son calendrier d’application…
Au-delà du contenu de la convention médicale, le calendrier est essentiel. Or on ne le connaît toujours pas. Si on ne le connaît pas, c’est parce qu’il est compliqué à mettre en place dans le contexte de déficit économique de la France ou parce que les annonces qui seront faites sur ce calendrier risquent d’être bloquantes pour la signature de la convention… Si on nous dit qu’il n’y aura pas de revalorisation en 2024 et qu’une partie des autres revalorisations n’arriveront qu’en 2026, j’imagine difficilement un syndicat signer un tel texte conventionnel… Le choc d’attractivité attendu ne sera pas au rendez-vous.
La Cnam s’est montrée prête à valoriser financièrement certaines missions spécifiques des médecins généralistes, dont la participation au SAS ou la maîtrise de stage. Cela faisait partie de vos demandes. Êtes-vous satisfait ?
On sait que, dans le contexte actuel de difficultés d’accès aux soins, les services d’accès aux soins (SAS) qui fonctionnent – ce n’est pas le cas de tous les SAS – améliorent la situation. Mais je comprends difficilement certaines mesures financières proposées par la Cnam. Comment un forfait de participation au SAS qui était à 1 400 euros [depuis la signature de l’avenant 9] arrive à 1 000 euros ? L’Assurance maladie décide finalement de mettre moins d’argent sur la table ! Ces 1 000 euros seront par ailleurs conditionnés à l’inscription des médecins sur la plateforme numérique nationale. C’est l’incompréhension totale ! On a toujours dit qu’on n’était pas opposé à la plateforme, mais qu’elle devait répondre à un besoin. D’autres outils sont utilisés dans certains départements – où des SAS fonctionnent remarquablement bien. Obliger à utiliser une plateforme dont on n’a pas besoin est une aberration. C’est faire courir le risque que des médecins se désengagent du SAS.
Concernant la maîtrise de stage, on va dans le bon sens. Être maître de stage universitaire (MSU), c’est du travail, en temps de formation et en temps consacré aux jeunes. Mais, là aussi, pourquoi diminuer le forfait MSU pour les médecins en exercice coordonné qui vont s’installer dans des zones d’intervention prioritaires (ZIP) ?
Vous regrettez la différence de traitement entre pédiatres et généralistes pour la prise en charge des enfants en bas âge…
Considérer qu’une même consultation d’un enfant, d’un nourrisson, faite par deux médecins de spécialités différentes – pédiatre et généraliste – est à des tarifs différents alors qu’elle est strictement identique, cela me pose un vrai problème. L’image renvoyée aux médecins généralistes qui prennent en charge ces enfants est très négative. Elle est presque humiliante.
D’autres médecins ont, selon vous, été oubliés par la Cnam ?
Oui. Il y a deux grands oubliés dans cette convention médicale. On sait que l’activité dans les départements et régions d’outre-mer et en Corse a des spécificités particulières. Je m’étais rendu auprès des médecins généralistes exerçant dans les Antilles. Là-bas, ils sont obligés de doubler tout leur matériel (deux électrocardiogrammes, deux spiromètres…) parce que quand l’un tombe en panne, vous ne le récupérez que six à douze mois plus tard. C’est d’une extrême complexité. En Corse, les conditions de déplacement sont très longues. Si la prise en compte de ces exercices différents, c’est simplement avoir des majorations de déplacement quand on se déplace en pirogue, c’est assez limité !
On oublie aussi les remplaçants. L’absence d’avantage maternité pour les jeunes femmes remplaçantes signifie zéro revenu… Il y a aussi l’impossibilité pour les remplaçants d’avoir accès aux services Amelipro. On devrait aussi inciter ces jeunes à venir remplacer dans les ZIP.
Que pensez-vous des engagements collectifs listés par la Cnam ?
Nous partageons l’objectif de fond de ces engagements, mais nous identifions deux problématiques. Premièrement, il ne faut pas fixer d’objectifs inatteignables. On l’a vu avec la Rosp, quand un objectif est inatteignable, le médecin s’en désintéresse totalement… C’est un constat qui a été partagé par le directeur général de la Cnam. Deuxièmement, il faut qu’on nous donne les outils pour faire le suivi des indicateurs. On ne va pas passer nos week-ends à analyser nos patientèles pour savoir là où on est loin des objectifs ou non. Quand je reçois un patient dans mon cabinet, je dois pouvoir voir s’afficher dans son dossier médical qu’il n’a pas fait son dépistage du cancer du côlon ou n’est pas vacciné contre la grippe. Si le travail n’est pas fait par la Cnam et les éditeurs de logiciels, on va démultiplier le travail administratif des médecins.
Derrière, il faut aussi voir ce que l’on fait de ces objectifs. Si on nous dit qu’on ne pourra bénéficier des revalorisations proposées par la Cnam qu’une fois qu’on aura généré des économies, on va arriver à 2026-2027. Si à la prochaine réunion, Thomas Fatôme nous apprend qu’il n’y aura pas de revalorisation en 2024, seulement un peu en 2025 et, le reste, aux calendes grecques, en 2026-2027, parce que la France n’a pas les moyens de revaloriser ses médecins traitants, il n’y aura pas de signature.