Quarante ans après la découverte du VIH à l’Institut Pasteur, les recherches se poursuivent pour mettre fin à l’épidémie mondiale. Alors que les travaux sur le vaccin continuent à patiner, les espoirs se tournent désormais vers une induction de la rémission.

 

Du fait de la trithérapie, l’incidence et la mortalité de l’infection par le VIH ont fortement baissé au niveau mondial depuis les années 2000. Pourtant, « nous sommes encore loin d’avoir résolu cette problématique de santé publique », a rappelé fin novembre le directeur scientifique de l’Institut Pasteur, Christophe d’Enfert, lors d’un colloque organisé à l’occasion des 40 ans de la découverte du VIH par une équipe pasteurienne.

De la recherche fondamentale à la recherche clinique, en passant par les sciences sociales, les travaux se poursuivent dans l’objectif, affiché à l’international comme en France, de mettre fin à l’épidémie d’ici à 2030. « Nous espérons que ces travaux permettront de résoudre certains aspects de l’infection par le VIH, éventuellement de conduire à des approches vaccinales. Notre incapacité à développer un vaccin efficace est l’un des échecs des 40 dernières années », ajoute Christophe d’Enfert.

Un « échec » qui s’est poursuivi cette année : après l’arrêt de l’essai de phase 3 Mosaico en janvier, les investigateurs de l’essai africain Pprepvacc ont annoncé, le 6 décembre, l’interruption du bras vaccin, en raison de l’absence d’efficacité préventive. Après 40 ans de recherche, seul l’essai « Thaï » en 2009 a obtenu de modestes résultats positifs, qui n’ont pas été reproduits avec un vaccin similaire.

 

Induire une rémission grâce aux anticorps neutralisants ?

À défaut de vaccin, la recherche mise toujours plus sur les stratégies de rémission, qui visent à favoriser le contrôle du VIH par les défenses immunitaires après arrêt du traitement. Elle diffère de la guérison, qui implique l’élimination complète du VIH de l’organisme. « Cela semble extrêmement improbable à court terme pour la majorité des personnes vivant avec le VIH », estime Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité « réservoirs viraux et contrôle immunitaire » à l’Institut Pasteur. Alors qu’un sixième cas de guérison a été rendu public cet été, cette stratégie de greffe de moelle osseuse chez des patients VIH+ traités pour une leucémie ne peut être transposée à large échelle.

En matière de rémission, la cohorte française Visconti, sous l’égide de l’ANRS-MIE*, compte à ce jour une trentaine de patients « contrôleurs », dont le VIH demeure silencieux malgré l’arrêt d’un traitement initié très rapidement après l’infection. Parmi les mécanismes en jeu, la présence chez certains de ces patients d’anticorps neutralisants à large spectre. Selon Asier Sáez-Cirión, « on estime que commencer un traitement très précoce pourrait favoriser le contrôle chez environ 5% des personnes. Evidemment ce n’est pas suffisant, mais on peut envisager d’élargir ce nombre ».

Tel est l’objet de l’essai ANRS Rhiviera, en cours de lancement, qui vise à évaluer si l’usage d’anticorps neutralisants à large spectre chez des patients récemment infectés (stade primo-infection) permet l’arrêt de la trithérapie au bout d’un an. Autre approche, la thérapie génique fait l’objet d’un premier essai clinique, aux Etats-Unis : il s’agit d’utiliser des ‘ciseaux moléculaires’ pour extirper l’ADN viral du génome de l’hôte, cette fois-ci dans un objectif de guérison.

 

Une épidémie aux racines sociales

La lutte contre le VIH ne se résume pas à la recherche biomédicale, tant la composante sociale de l’épidémie demeure prépondérante. « On pourrait penser que les solutions biomédicales règlent tout, il n’en est rien », constate Annabel Desgrées du Loû, démographe au Centre population et développement (Ceped, IRD/université de Paris). « Encore faut-il que les personnes y aient accès, que les programmes de prévention atteignent ceux qui en ont besoin. Or le VIH touche toujours, dans presque tous les pays, les personnes les plus démunies, les plus discriminées, les plus éloignées du système de santé. Chez les immigrés, le fait de ne pas avoir d’accès à un logement, un titre de séjour, augmente fortement l’exposition au VIH ».

Exemple pour la PrEP, traitement prophylactique à base d’une association ténofovir/emtricitabine qui réduit quasiment à néant le risque d’infection lorsqu’il est bien pris. Si son usage progresse fortement en France, avec un nombre d’initiations en hausse de 31% entre juin 2022 et juin 2023, cet outil de prévention demeure surtout utilisé par les homosexuels masculins de grandes métropoles. Sur le premier semestre 2023, seules 4,6% des initiations de PrEP étaient le fait de femmes. En 2022, 31% des nouvelles découvertes de VIH sont survenues chez des femmes, en grande majorité des migrantes originaires d’Afrique subsaharienne.

 

* Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales – Maladies infectieuses émergentes.

 

[D’après une conférence de presse organisée à l’occasion du colloque scientifique « 40 ans de recherche sur le VIH »,
à l’Institut Pasteur (29 novembre-1 er décembre). Propos tenus par Annabel Desgrées du Loû.]

 

Références

– Groupement d’intérêt scientifique EPI-Phare (ANSM-CNAM), Suivi de l’utilisation de la prophylaxie pré‐exposition (PrEP) au VIH, 29 novembre 2023.
– Santé publique France,
Bulletin de santé publique VIH-IST, novembre 2023, 28 novembre 2023.
– Molinos-Albert JM et al,
Cell Host & Microbe, 9 août 2023.

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Romain Loury

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