Les Français seraient parmi les plus gros consommateurs de chocolat, avec une moyenne de 13,2 kilos engloutis chaque année par foyer. Arrivé en 1615 dans les malles d’Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne et future reine de Louis XIII, le chocolat n’a pas toujours été une friandise. Pendant près de 300 ans, il a été considéré comme un allié des médecins, qui en ont fait un excipient voire un médicament. Des vertus débattues dès le début du XVIe siècle et encore aujourd’hui.

 

On raconte que l’empereur aztèque Moctezuma II s’en faisait apporter une coupe avant de visiter ses nombreuses épouses. Que Madame de Sévigné, cédant à la “mode”, en buvait une tasse chaque matin et chaque soir. Et que Jeanne Calment en consommait 1 kilo par semaine, assurant que c’était-là l’un des secrets de sa longévité.

Depuis sa découverte par les conquistadors sur le Nouveau continent au début du XVIe siècle, les vertus et les vices du chocolat n’ont cessé d’être débattus, alimentant au fil des siècles une controverse religieuse, culturelle et… médicale. “Peu de produits naturels ont été revendiqués pour traiter avec succès un aussi large éventail de troubles que le chocolat”, écrit Donatella Lippi, historienne florentine qui a consacré plusieurs articles aux “liaisons dangereuses” entre chocolat et médecine.

 

 

La consommation du cacao sous forme de boisson par les peuples mésoaméricains est attestée dès le VIe siècle avant JC, retrace-t-elle. Pour les Aztèques, qui l’utilisent comme monnaie d’échange, le cacao apporte sagesse et pouvoir, tandis que les Mayas, qui considèrent le chocolat comme la boisson des dieux, en font un élixir de santé. Une boisson miraculeuse dont fait état Hernan Cortès dans une de ses lettres à Charles Quint : “Une tasse donne à chaque soldat la force de marcher durant toute une journée”. De La Cruz, enseignant au Santa Cruz collège fondé par les Espagnols à Mexico en 1536, confirme que le chocolat est alors utilisé pour traiter l’angine, la constipation, les problèmes dentaires, la dysenterie, l’asthénie, la goutte et bien d’autres maladies.

Les premières cargaisons de cacao arrivent en Espagne au cours de la première moitié du XVIe siècle et la première xocolateria est ouverte à Barcelone en 1580. Initialement épais, amer et épicé (voire pimenté), le breuvage est au fil du temps adouci par du sucre et de la vanille. On y adjoint éventuellement de la cannelle, de la muscade, du poivre noir, des clous du girofle ou encore du jasmin – l’ingrédient phare de la recette secrète du Duc de Florence.

 

Théorie des humeurs

Espagne, Portugal, péninsule italienne… Le chocolat se répand peu à peu dans les pays du sud de l’Europe. Mais tout comme avec le thé et le café, l’Eglise ne voit pas ce nouvel aliment “indigène” d’un très bon œil, d’autant qu’on lui prête des effets grisants. Boire du chocolat, c’est rompre le jeûne, édicte-t-elle. “La situation est telle que si les Européens voulaient boire ou manger du chocolat, ça ne pouvait être que pour raisons médicales”, évoque Donatella Lippi. “Ces boissons auraient été bannies si les médecins et les scientifiques n’avaient pas expliqué qu’elles étaient bonnes pour le corps”, estime-t-elle.

En 1577, suivant les préceptes de Galien (recherche d’un équilibre chaud/froid/sec/humide), le médecin et botaniste espagnol Francisco Hernandez affirme par exemple que la pâte de cacao pure, préparée en boisson, traite la fièvre et les maladies du foie ; que les fèves grillées, réduites en poudre mélangée à de la résine, sont efficaces contre la dysenterie ; et que le chocolat est communément prescrit aux patients minces pour leur faire gagner de la “chair”.

En 1615, le chocolat “fait une entrée remarquée en France avec l’arrivée d’Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne, qui se marie avec Louis XIII”, relatent Georges Galindo et Michelle Ros. D’après ces derniers, on doit sa “pénétration” dans le royaume des Bourbons aux Juifs portugais ayant fui l’Inquisition en s’installant à Bayonne et à qui le Roi octroie la patente de sa fabrication, et plus tard à l’annexion du Roussillon.

 

Thèse de médecine

En 1643, alors qu’Anne d’Autriche devient régente et impose à la cour son goût du chocolat, le médecin du roi René Moreau traduit en français ce qui est considéré comme le premier traité médical dédié à la nature et aux qualités du chocolat, écrit en 1618 par l’Espagnol Antonio de Ledesma. Il dédit son ouvrage au premier patient de France notoirement soigné avec du chocolat : Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu. Le cardinal de Lyon, frère ainé du célèbre Cardinal, se servait en effet du chocolat “pour modérer ses vapeurs de la rate”.

 

 

En 1684*, une thèse de médecine sur le chocolat, est soutenue par François Foucault à la faculté de médecine de Paris. “Si on en prend par plaisir seulement, il faut se borner à deux tasses par jour : les bilieux le prépareront avec de l’eau d’endive, les gens resserrés y ajouteront de la rhubarbe. […] Il rend grand service aux personnes qui ont l’estomac affaibli. Il est tant nourrissant […].”

Stéphanie Paternotte et Pierre Labrude, de la faculté de pharmacie de Nancy, se sont attaché dans un article de 2003 à relever les mentions du chocolat dans différents ouvrages français de pharmacie et de médecine, du XVII au XIXe siècle. Ils démontrent l’utilisation du chocolat “dans de nombreuses maladies gastro-intestinales, pulmonaires, nerveuses voire infectieuses, et pour son pouvoir nourrissant et aphrodisiaque”.

 

“On le maudit, on l’accuse de tous les maux”

Mais déjà le “chocolat est accusé de provoquer insomnie, irritabilité, vapeurs, palpitations ou constipation”, soulignent les auteurs. Les Lettres que Madame de Sévigné adressent à sa fille en 1671 sont révélatrices du débat sur les effets “miraculeux” ou néfastes du chocolat qui fait rage à cette époque. “Le chocolat n’est plus avec moi comme il était, écrit-elle le 15 avril. La mode m’a entraînée, comme elle fait toujours : tous ceux qui m’en disaient du bien, m’en disent du mal ; on le maudit, on l’accuse de tous les maux qu’on a. Il est la source des vapeurs et des palpitations ; il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une fièvre continue, qui vous conduit à la mort.” En octobre de la même année, elle rapporte que “la marquise de Coëtlogon prit tant de chocolat, étant grosse l’année passée, qu’elle accoucha d’un petit garçon noir comme le diable, qui mourut.”*

Si le chocolat figure encore en bonne place dans le Traité universel des drogues simples de Nicolas Lemery en 1732 (“bon restaurant, rappelle les forces abattues, excite la vigueur, résiste à la malignité des humeurs, fortifie l’estomac, le cerveau et les autres parties vitales, adoucit les sérosités trop âcres, excite la digestion, abat les fumées du vin”) ou encore dans la Pharmacopée médico-chirurgicale de Vitet en 1780, le Siècle des Lumières conduit à une séparation entre médecine et nutrition. “La recherche du traitement et du goût prend des chemins séparés” et le chocolat se trouve relégué à une fonction d’excipient, analyse Donatella Lippi.

 

Les maux de tête de Marie-Antoinette

En 1779, alors que Marie-Antoinette rechigne à prendre ses médicaments, dont le goût la révulse, contre les maux de tête, le chocolatier du roi, Sulpice Debauve, pharmacien de profession, a l’idée de mélanger le remède à du beurre de cacao. La “pistole”, premier “chocolat à croquer”, est née.

De son côté, dans un mémoire envoyé en 1788, le chirurgien Delaye rapporte : “J’ai fait préparer un chocolat purgatif qui n’a point de mauvais goût, qui est au contraire bon à manger, et qui purge très bien les glaires, la saburre et les sérosités, sans produire ni nausées, ni tranchées, ni épreinte, et sans autre travail que celui d’un purgatif ordinaire”. “Cette préparation sera sans doute très utile aux enfants, au beau sexe et à toutes les personnes délicates, que l’aspect et l’odeur d’une médecine font quelquefois évanouir, et qui, après avoir hésité des heures entières, finissant par la laisser, ou par la vomir, et qui si elle la garde quelques moments, éprouvent un malaise et des angoisses inexprimables.”

 

 

Le XIXe siècle vit l’avènement des “chocolats de santé” dans les pharmacies, sous l’impulsion notamment de Debauve. Le chocolat, “en cours de démocratisation en tant qu’aliment”, est alors “le support d’une foule de médicaments”, soulignent Stéphanie Paternotte et Pierre Labrude. Selon leurs principes actifs, ces chocolats “médicamenteux” sont pectoraux, analeptiques (quand ils contiennent lichen, fécule, café, des sels de fer ou iode), fébrifuges (quinine), stomachiques (quinquina, cassia, Colombo, gentiane, petite centaurée, ményanthe, noyer, chardon bénit, germandrée), vermifuges (mousse de Corse, racine de fougère, écorce de grenadier, éthiops minéral) ou encore purgatifs (mercure, poudre de jalap, magnésie).

 

Une tablette par jour, avant le repas

Les publicités fleurissent dans la presse, vantant les vertus des chocolats Menier, Colmet-Daâge, ou Ibled… autant de pharmaciens, devenus chocolatiers, qui contribuent au développement de l’industrie chocolatière en France. Pour vanter son “chocolat ferrugineux”, qui a reçu “l’approbation de la faculté de médecine de Paris”, le pharmacien parisien Colmet-Daâge n’hésite pas à solliciter les recommandations des “principaux médecins” de la capitale, dont les “certificats” sont publiés dans la presse, par exemple dans Le Constitutionnel du 31 janvier 1943. “Je déclare avoir employé avec succès le Chocolat ferrugineux de M. Colmet, en bonbons et en tablette, chez les enfants et chez les grandes personnes, dans les affections lentes des organes digestifs et chez les chlorotiques”, écrit un certain Dr Emery, tandis qu’un confrère loue cet “aliment agréable et médicament tout à la fois”, et qu’un autre rapporte d'”heureux résultats” chez les enfants. Pour les enfants “lymphatiques, scrofuleux et faibles”, la dose recommandée est de 10 à 12 bonbons. Pour les femmes et les jeunes filles, la dose est d’une demi-tablette par jour, puis après une semaine, d’une “tablette entière”… toujours avant le repas.

Le succès du chocolat attise rapidement les convoitises de fabricants peu scrupuleux. “Il n’est pas un seul produit au monde, sauf peut-être le vin, que l’on falsifie aussi délibérément que le chocolat”, écrit un journaliste dans Les Annales politiques et littéraires, en 1904. “Il fut un temps où le marché était inondé de chocolats inférieurs, où l’on eût pu trouver de tout : de la farine, de la fécule, de la dextrine, de la mélasse, du suif, de la cassonade, jusqu’à de l’argile et des sels de plomb plus ou moins toxiques, de tout, dis-je, sauf du cacao et du sucre raffiné.” C’est pourquoi le créateur de la Chocolaterie spéciale d’Ermont, lui aussi pharmacien, a l’idée de faire “garantir” son “chocolat rationnel” en en confiant la vente “non pas aux épiciers”, mais à 3 000 confrères pharmaciens partout en France, rapporte le journal.

Mais le chocolat de santé semble avoir déjà perdu la bataille contre le chocolat friandise, désormais considéré comme un aliment du quotidien. La controverse médicale ne s’éteint pas pour autant avec le XXe siècle : associé à l’obésité, aux problèmes dentaires, le chocolat est considéré comme “constipant” par le Larousse médical de 1952, du fait d’une “abondance de graisse” qui le rend “d’une digestion difficile”. “Il n’est pas indiqué chez les arthritiques, les rhumatisants, les lithiasiques et les hépatiques.” Et de nos jours, le chocolat est encore accusé de provoquer des crises de foie, la migraine, de l’acné et des allergies. Des recherches sont néanmoins menées sur les effets bénéfiques de ses polyphénols, par exemple sur la pression artérielle. Bénéfique ou néfaste ? Le débat n’est toujours pas tranché.

 

* La date de 1644 est parfois avancée.
** La marquise en question avait un serviteur antillais.

 

Références :

– Lippi D., Chocolate and medicine: Dangerous liaisons?. Nutrition. 2009.
– Lippi D. Sin and pleasure: the history of chocolate in medicine. J Agric Food Chem. 2015
– Labrude P. et Paternotte S., Le chocolat dans quelques ouvrages français de pharmacie et de médecine des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Ses effets fastes et néfastes avérés ou supposés.
– Revue d’histoire de la pharmacie. 2003
– Galindo G. et Ros M., Du Chocolate Médicament ou gourmandise ? (XVII e – XXI e siècles), Ed. Les Presses littéraires, 2006.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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