Alors que le temps médical ne cesse de diminuer, le Dr Michaël Rochoy, médecin généraliste à Outreau (Pas-de-Calais), s’est intéressé à ces multiples “actes gratuits” (demandes par téléphone, sms, mail de patients…) qui plombent l’exercice. Depuis le 1er janvier 2023, il estime en avoir réalisé 1 315… soit 23,8% de l’ensemble de ses actes.

 

“Redonner du temps médical aux médecins”, c’est l’une des priorités du Dr Michaël Rochoy, généraliste installé à Outreau (Pas-de-Calais). Dans un billet de blog publié le 7 septembre dernier, le médecin déplore qu”’aucun travail” ne soit “concrètement effectué [dans ce sens] au niveau national”.

Le praticien s’est donc penché sur la “petite partie inconnue de l’iceberg de notre activité”, à savoir les “actes gratuits”. Pour le Dr Michaël Rochoy, ce terme englobe “les demandes par téléphone, les sms, les mails de patients (ou collègues de travail) nécessitant un avis médical, une ordonnance, un document administratif… et ne relevant donc pas de la compétence seule d’une secrétaire.”

Dans ces “actes gratuits”, le médecin n’intègre pas la prise de rendez-vous, la lecture et l’intégration d’un bilan biologique, “sauf si cela a mené à recontacter le patient pour prescrir un nouveau bilan, ajuster un traitement”, et les “certificats absurdes”* demandés au cours d’une consultation “payée”, autre sujet auquel le généraliste s’est attaqué, aux côtés du Collège de médecine générale.

 

1 315 “actes gratuits” depuis le début de l’année

Le généraliste a alors voulu évaluer le temps dédié à ces actes pour lesquels les médecins ne touchent aucun centime mais qui pèsent sur leur exercice. “Ils augmentent la charge mentale au quotidien, créent un sentiment de “perte” de temps, et ils dissuadent l’installation par la surcharge administrative induite, qui passe 1 000 km au-dessus de la tête de nos gouvernements car ils sont invisibles”, souligne le généraliste.

Depuis le 1er janvier et jusqu’au 7 septembre 2023, le Dr Rochoy a compté 4 218 actes payés, contre 1 315 “actes gratuits”. Ces derniers représentant 23.8 % de l’ensemble des actes qu’il a réalisés. Il avait effectué le même calcul sur l’ensemble de l’année 2022 et était arrivé à la conclusion suivante : 6 696 actes payés et 2 060 demandes d’”actes gratuits”, lesquels représentent 23.5 % sur l’ensemble des actes de l’année entière.

 

 

Il faut cependant préciser que ces chiffres dépendent de la “situation” et de l”’exercice” du Dr Rochoy, qui travaille à Outreau, “ville indice 5/5 de “défavorisation” (European Deprivation Index), indique-t-il. Le médecin exerce “les lundi, mardi, jeudi et vendredi”. Grâce aux données qu’il a collectées en 2022, il a pu constater une plus forte demande d’“actes gratuits” les mardi (469), à l’inverse des mercredi (234) et des week-end (84 les samedi et 34 les dimanche).

 


Le nombre de demandes d’”actes gratuits” que le Dr Rochoy a reçu en 2022, selon les jours.

 

Même s’il est convaincu qu’un secrétariat “peut filtrer une partie de ces demandes”, il ne pense pas que ce soit la solution miracle. “Il faudra tout de même que les papiers soient imprimés ou signés, lors d’une consultation ou d’une téléconsultation, écrit-il, ce qui allonge forcément le temps consacré pour répondre à une demande”. Lui confie bénéficier d’un télésecrétariat, pourtant il ne lui permet de réduire ses “actes gratuits”. “Ca me fait des notes à consulter en fin de journée, au lieu de les traiter au fil de l’eau toute la journée, et finalement je trouve ça plus angoissant de devoir lire des notes régulièrement sur une discussion entre patient-télésecrétaire, plutôt que de la vivre au moment donné ou en écoutant un message vocal”, témoigne-il.

 

86 heures consacrées aux “actes gratuits” depuis janvier

Lors d’un précédent billet de blog, le médecin s’était intéressé à évaluer le temps moyen passé pour un “acte gratuit”. Résultat : 2,5 minutes en moyenne, même s’il rappelle que ce temps dépend de sa “vitesse de frappe au clavier, des paramétrages de son logiciel…” Sur un peu plus des huit premiers mois de septembre, il estime ce temps à 5 150 minutes, soit 86 heures à n’effectuer que des “actes gratuits”.

Le médecin a aussi analysé les demandes de ses patients, qu’il a récapitulées dans le tableau ci-dessous. Les principaux “actes gratuits” concernent les avis médicaux (28 %) et les prescriptions (comme des renouvellement de paracétamol, gaviscon, éconazole, dermocorticoïdes, IPP, dépannage pilule…) (28 %).

 

 

Des actes gratuits transformés en actes payés et remboursés ?

Conscient que les “actes gratuits” ont une place importante dans l’exercice des généralistes, le Dr Rochoy propose alors plusieurs solutions pour redonner du temps médical aux médecins. “Il est facile de réduire” les “actes gratuits”, considère-il. Il faut pour cela les transformer “‘en actes payés’, notamment via les téléconsultations”, poursuit-il. “Il est tentant de réserver cinq à dix créneaux de téléconsultations de cinq minutes de 18h30 à 19h, pour absorber ces demandes et gagner quelques dizaines de milliers d’euros par an en faisant le même travail”.

Il faudrait aussi “rendre remboursables les actes téléphoniques ou mails menant à une action sur le dossier du patient, même de façon symbolique”, imagine-t-il, avec comme exemple un montant de 5 euros. “Payer et reconnaître le travail réellement effectué pourrait être une façon pertinente d’aborder la nouvelle convention à venir, plutôt que juste majorer des forfaits ou des actes”, estime le médecin, qui indique que ce système est déjà présent en Suisse. Enfin, il faut “réduire les actes, par la suppression des ‘certificats absurdes’”.

 

 

Pour l’heure, la Cour des comptes rappelle que les professionnels de santé ne peuvent pas facturer des conseils médicaux. Ils ne peuvent exiger le paiement d’une prestation “qui ne correspond pas directement à une prestation de soins” (article L1111-3-4). “Le simple avis ou conseil dispensé à un patient par téléphone ou par correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire”, stipule l’article R4127-53.

 

* Les “certificats absurdes” sont comptabilisés comme étant des “actes gratuits” uniquement si la demande est effectuée par mail ou téléphone. Le médecin envoie alors le certificat en réponse. En revanche, si la demande est effectuée lors d’une consultation rémunérée au cabinet, elle n’est pas considérée comme un “acte gratuit”.

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Mathilde Gendron

Sur le même thème :
La pénurie de temps médical : une aubaine pour les professions intermédiaires, vraiment ?
Opération “déstockage” : en pleine grève, un généraliste propose des consultations gratuites pour démontrer la valeur du temps médical