Une alternative à l’exercice libéral croulant sous les impératifs de gestion d’un cabinet individuel vieillissant. Telle est la proposition de l’investisseur immobilier et opérateur de services pour professionnels de santé, avec ses maisons de consultation nouvelle génération. Egora a visité celle de Suresnes, qui vient tout juste d’ouvrir ses portes.

 

Le bâtiment se dresse en majesté rue Gardenat-Lapostol à Suresnes (Hauts-de-Seine). C’est là, à deux pas de l’hôpital Foch, au pied de la gare SNCF et du tram, dans un immeuble qu’elle a entièrement restructuré, que DocCity a décidé d’implanter un campus santé XXL, d’une surface de 7 000 m². L’ambition de la jeune société – elle a été créée en 2020 –, qui cumule les casquettes d’investisseur immobilier et d’opérateur de services pour professionnels de santé : “Faciliter la santé”, en “réinventant des espaces et des services” pour les professionnels de santé, medtech et biotech. D’ici fin juin, “plus d’une cinquantaine” de praticiens libéraux investiront les 3 500 m² dédiés à la partie maison de consultation de nouvelle génération, conçue pour améliorer leurs conditions d’exercice, comptabilise Xavier Boutin, président de DocCity.

De multiples disciplines y seront représentées : médecine du sport, kinésithérapie, dermatologie, cardiologie, orthodontie, dentisterie, ORL, podologie, rhumatologie, médecine générale, etc. Parmi les nouveaux occupants : la Dre Esther Jesuran, généraliste. Pourtant, à la base, la médecin ne pensait “pas spécialement s’installer de suite”. Remplaçante à Paris depuis la fin de son internat en 2020, elle “attendait un peu”. Mais lorsqu’elle a eu vent, via son père, du concept des structures DocCity et de la création de l’une d’entre elles à Suresnes, elle a décidé de franchir le pas. “C’était exactement ce que j’imaginais dans mes rêves”, raconte-t-elle, le 13 janvier dernier. Elle visite alors pour la seconde fois les locaux. Le site est en travaux, son cabinet encore entièrement nu, mais elle se projette déjà : “Je suis vraiment contente”.

 

Une possibilité de “se regrouper, sans s’associer”

L’équipe de DocCity a fondé ces structures partant du constat que les professionnels de santé “aspirent beaucoup” à se réunir sous un même toît, fait valoir Xavier Boutin. Déjà pour ne pas sombrer dans l’isolement. Le Dr Jésuran, qui juge l’exercice en solo “plutôt archaïque”, confirme : pour elle, c’était “hors de question”. Même discours du côté de Charlène Bayon, jeune kiné : “Je préfère travailler en équipe !” Ensuite, parce que cela permet de croiser les regards : en cas de doute, explique Charlène Bayon, elle peut solliciter “un médecin au-dessus”. Enfin, car cela facilite l’adressage. Si, admet Xavier Boutin, DocCity n’est pas la seule solution de regroupement – il y a les centres de santé en salariat, les MSP en libéral – l’un des avantages est qu’elle permet aux praticiens de “se regrouper sans s’associer”, fait valoir Thomas Alston, directeur des partenariats et du développement. Ils ne se sentent pas pieds et poings liés, d’autant que la période d’engagement est courte : 6 mois. Ce désir “de liberté, de souplesse – ça ne veut pas dire que les gens vont partir ! – est quelque chose qu’on ressent beaucoup”, témoigne le Dr Guillaume Paris, médecin du sport et médecin de médecine physique et de réadaptation, qui a intégré l’équipe DocCity.

 


© DocCity

 

DocCity entend permettre aux praticiens d’aller plus loin sur le regroupement, met en avant Xavier Boutin, de s’insérer dans des parcours de soins, via des instituts médicaux. Instituts qui sont chapeautés par le Dr Paris. C’est la deuxième formule proposée, avec celle de la location d’un cabinet particulier. Des pôles regroupent ainsi “différents professionnels de santé, spécialistes, paramédicaux, pour former un parcours de soins sur une thématique donnée”, détaille le président de DocCity. Suresnes compte un pôle dentaire/orthodontie ; un pôle santé-réadaptation (Institut médical du sport santé – IMSS) ; un pôle diabète ; un pôle équilibre et vertiges (l’Institut médical du vertige et de l’oreille – Imevo) ; un pôle cardiologie réadaptation cardiaque ; un pôle dermatologie (l’Institut médical de la peau – IMP) ; et un pôle de la douleur. D’autres pôles étaient encore en discussion fin mars : un pôle obésité-nutrition ; un pôle de la femme et de l’enfant. L’avantage pour les patients, expliquent les promoteurs : la lisibilité de leur parcours est accrue, la prise de rendez-vous est facilitée à chaque étape, et ils ne sont pas pour autant liés. “C’est ultra-souple, avance Xavier Boutin. C’est quelque chose que nous leur proposons, et qui en général est apprécié”. C’est aussi “très agréable”, pour les professionnels de santé, avance-t-il, qui “connaissent l’amont et l’aval du parcours”.

 

 

Dans la continuité de ces parcours, DocCity Suresnes a signé en janvier un partenariat avec Foch. Le projet : déployer des synergies ville-hôpital, en renforçant la collaboration entre les praticiens, par la mise en place de filières de soins par spécialités. Celles-ci, “bâties en bonne intelligence”, visent à développer des complémentarités pour optimiser et fluidifier la prise en charge. Ainsi, l’IMSS pourra par exemple… accueillir des patients en parcours préopératoire ou postopératoire selon des protocoles définis par des médecins de l’hôpital Foch et appliqués par les professionnels de santé de chez DocCity. De la même façon, ces derniers pourront faire bénéficier leurs patients des plateaux techniques et de la proximité immédiate avec les chirurgiens et les spécialistes de l’hôpital. Dès sa première semaine d’ouverture, l’IMSS a déjà reçu “une dizaine de patients”, envoyés par le voisin, témoigne Charlène Bayon. De manière générale, chez DocCity, on se réjouit de ces liens tissés : “Pour faire hospitaliser des patients, ce sera plus facile, estime la Dre Esther Jesuran. Cela se fera petit à petit, mais il y a tout pour que la boucle hôpital-libéral-généraliste-spécialiste soit optimale.”

 

“C’est pas mal d’avoir un peu de standing”

Deuxième pilier des maisons de consultation DocCity : un cadre pensé pour améliorer la qualité de vie au travail. “Nous sommes très vigilants à la qualité de l’environnement”, valorise Xavier Boutin. L’idée : que tous les espaces – salle d’attente, bureau de consultation, tisanerie, conférence, etc – “soient des endroits agréables à vivre”. Les locaux ont été conçus pour être spacieux, pour le plus grand plaisir d’Esther Jesuran – “C’est agréable, parce qu’en médecine générale, c’est rare !” – et de Charlène Bayon, qui officiait avant avec un plateau technique “beaucoup plus petit” qu’elle partageait avec cinq autres kinés, et où, de fait, “les machines étaient empilées les unes sur les autres”. Le site a aussi été pensé pour être lumineux, moderne, design, et pour favoriser la communication entre “résidents”. “Il y a une demande spontanée de communiquer de manière informelle”, rapporte Thomas Alston. Il y a donc “des endroits pour se retrouver, échanger”, à l’image du “Cinq”, ou “place du village”, un espace commun au dernier étage, avec rooftop. “On bosse déjà bien dur, donc c’est pas mal d’avoir un peu de standing”, loue la Dre Jesuran. Qui réalise ce jour-là que son bureau a vue sur…la tour Eiffel.

 


© DocCity

 

Les bureaux sont loués meublés. Et, dans le cadre des parcours, le regroupement dans une unité de lieu permet aussi de mutualiser les équipements, et donc d’avoir accès au dernier cri. Charlène Bayon, elle, cherchait justement “un cabinet ayant du matériel. Je dis toujours : mieux vaut plus que pas assez !” Elle est servie : en plus du standard, l’IMSS possède des équipements rares et onéreux, que liste le Dr Guillaume Paris à sa tête : “Une grosse balnéothérapie, qu’on trouve d’habitude plutôt dans les centres hospitaliers, où il y a de la place. Il y a aussi du matériel de rééducation très spécifique, comme des machines isocinétiques, des tapis alterG […] De la réalité virtuelle, notamment aussi”, illustre-t-il. Pour Charlène Bayon, l’existence du tapis alterG, par exemple, était jusqu’alors seulement théorique : “J’en avais entendu parler en école, mais je ne l’avais jamais vu”. Or l’accès à ces appareils “avantage clairement la pratique et donc la prise en charge des patients”, loue le Dr Paris.

 

 

Toujours pour améliorer les conditions d’exercice et de consultation, l’équipe de DocCity a construit son offre sur un troisième pilier : la mise à disposition des professionnels de santé d’un certain nombre de services. L’idée est de les décharger au maximum du volet administratif/gestion de l’exercice libéral, explique Thomas Alston, qu’ils jugent “de plus en plus pesant”, pour leur permettre de dégager du temps médical, de se concentrer sur leur cœur de métier. De les délester même du changement d’ampoule, des démarches en cas de dégât des eaux… Parmi les services, liste Xavier Boutin : “Secrétariat administratif, secrétariat médical, gestion et accueil des patients, assistance informatique, etc.” “C’est un luxe énorme”, assure la Dre Jesuran. “Nous allons assez loin, poursuit Xavier Boutin, la liste n’est pas exhaustive. Nous travaillons beaucoup avec les médecins, les écoutons et identifions les besoins qui pourraient apparaître”. Il s’agit de proposer des services “à la carte”. C’est ainsi qu’à DocCity Narbonne a été co-construit avec les médecins un service médical partagé, raconte Thomas Alston : “Nous avons fait une offre clé en main vraiment très poussée.”

 

Combien ça coûte ?

Le tarif dépend de la localisation du site, de la surface du cabinet, des services… Un cabinet de médecin généraliste de 18 m2 carrés à Suresnes par exemple coûte 1750 € TTC/mois pour le loyer et une partie des services (personnel sur site ; maintenance et réparation des cabinets ; mobilier ; internet ; ménage privatif ; charges d’eau, électricité, chauffage, climatisation des parties communes de l’immeuble etc ; consommables). Un devis est établi sur mesure pour le secrétariat médical.

 

Le confort du salariat… en libéral

En somme, “nous leur donnons quasi le confort du salariat, sauf qu’ils sont libéraux, résume Thomas Alston, c’est vraiment l’hybride, le meilleur des deux mondes”. Le concept semble séduire les professionnels de santé, et lever des freins à l’installation. Les chiffres de remplissage des structures, en tout cas, sont positifs. DocCity Narbonne, ouvert en juin 2021, “est plein à 100 % et nous n’avons aucun départ”, se félicite Xavier Boutin. En mars dernier, un mois après avoir accueilli ses premiers praticiens, Fréjus était déjà “à 85 % de remplissage”. Quant à DocCity Suresnes, dernier né, qui a commencé à ouvrir ses portes le 20 mars, l’immeuble est déjà “en majorité loué”, fait savoir le président : “Sur 3 500 m² de consultations médicales, il nous reste 7 bureaux”. Pour lui, cela démontre “qu’il y a un vrai besoin et un véritable engouement pour ce type de dispositif”. L’enthousiasme des jeunes confrères et consoeurs, pour l’instant hospitaliers, d’Esther Jesuran, en témoigne : “Mes copains-copines sont émerveillés. Certains seraient intéressés, pour plus tard”. Et cet attrait n’est “pas que générationnel”, fait remarquer Thomas Alston.

Si DocCity semble bien accueilli, c’est aussi certainement en raison du soin porté à l’étude des projets d’implantations. “Nous faisons le tour de ce qui existe en termes de soins, comment les médecins sont-ils organisés, installés ? Sont-ils plus ou moins regroupés ? Nous essayons de voir si DocCity va leur apporter un plus […] Le sujet est : est-ce que DocCity répond à une attente sur les trois piliers : regroupement, environnement, services.” Il ne s’agit pas de s’inscrire en concurrence avec les autres structures de groupe du territoire : “Nous n’arrivons pas en terrain hostile, mais très ‘friendly’. L’idée est vraiment d’améliorer les choses. Si nous sentons qu’il y a des réserves… Il y a assez d’opportunités pour qu’on ne s’acharne pas à s’installer en force.” Si cela semble prendre, c’est aussi que l’engouement est partagé par les villes, et par les actionnaires de DocCity – trois family offices et la MACSF (mutuelle d’assurances du corps de santé français) –, qui a aussi recours à la dette bancaire.

 

 

Pour les promoteurs de DocCity, il y a un “gros potentiel de développement, un vrai besoin”, pour une offre de cabinets repensés. Ils comptent bien poursuivre leur expansion : après Narbonne, Fréjus, Suresnes, deux autres maisons de consultation vont ouvrir à Toulon (début 2024) et Marseille (milieu 2024), fait savoir Xavier Boutin. D’autres projets sont “sécurisés” à “Bayonne, Clermont-Ferrand, Orléans, Caen, Angers, Tours”. Et ceux “en discussion” sont pléthore. Le rythme prévu pour les implantations est soutenu : “Nous avons un programme d’ouvertures en moyenne de six nouveaux centres par an, voire plus”, vise le président de la société. Charlène Bayon en est convaincue : “C’est le futur.”

 


© DocCity

 

Partant du constat que l’immeuble suresnois était “quand même un peu trop grand pour n’en faire que de la consultation”, se remémore Xavier Boutin, l’équipe de DocCity a décidé que la moitié de la surface serait occupée par un biocluster, DocCity LifeSciences. Celui-ci est dédié à des entreprises innovantes en santé : sociétés de biotechnologies, medtech, e-santé. DocCity met à leur disposition des bureaux, des espaces de coworking et des laboratoires spécialisés (L1, L2). Ils bénéficient également de plateformes technologiques mutualisées et de services partagés. L’idée est de créer “un écosystème de santé complet, qui s’appuierait à la fois sur la recherche, la consultation, et qui, ‘accessoirement’, est à côté d’un établissement de santé référent”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Pauline Machard

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