97 % des salariés des secteurs public et privé sont exposés à plusieurs facteurs de risques physiques et psychosociaux. Les professionnels de santé doivent être sensibilisés à cette question qui concerne leurs patients… ainsi qu’eux-mêmes. Interview d’Henri Bastos, directeur scientifique santé et travail de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

 

Egora.fr : L’Anses, Santé publique France et la Dares(1) ont conduit une étude, publiée en septembre 2021, sur l’exposition des travailleurs aux facteurs de risques. Quel était l’objectif de cette recherche ?

Henri Bastos : Cette étude s’est inscrite dans le cadre du 3e plan Santé au travail [2016-2020]. Après un état des lieux des études sur la poly-exposition en France, l’idée était d’identifier les secteurs d’activité particulièrement concernés en nous appuyant principalement sur l’enquête Sumer [Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels] de 2016-2017, basée sur des questionnaires remplis par les médecins du travail à l’occasion de la visite de salariés et complétée par des questionnaires de salariés. Nous avons ainsi dégagé plusieurs indicateurs d’exposition répartis en cinq facteurs de risques : risques physiques (postures, exposition thermique, produits “CMR” – cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques), risques chimiques, risques biologiques, contraintes organisationnelles (horaires, intensité, rythme de travail, autonomie…) et contraintes relationnelles (relations avec la hiérarchie, les collègues, le public…). La conclusion principale est que la quasi-totalité des 25 millions de salariés (97 %) est exposée à au moins deux facteurs de risque.

Quelles sont les professions ou les profils de salariés les plus à risque ?

Nous avons identifié douze profils de salariés. Par exemple, le profil C « Bruit, risques chimiques et contraintes posturales » concerne 7 % des salariés, à 72 % des hommes, principalement des ouvriers qualifiés, dans les secteurs de la maintenance, de l’industrie des process, de la mécanique… Les professionnels de santé – médecins, infirmières, sages-femmes, aides-soignantes, paramédicaux – cumulent toutes les catégories de contraintes : travail de nuit, fréquents manques de moyens matériels ou humains… Les activités de nettoyage sont également concernées par la poly-exposition.

L’étude recommande de « mieux orienter la prévention », notamment en développant une prise en charge plus globale des travailleurs, en ne se limitant pas aux risques connus et identifiables…

Généralement, dans les secteurs d’activité où l’on a des risques spécifiques (par exemple, la production ou l’utilisation de produits chimiques), les entreprises seront beaucoup plus enclines à se concentrer sur cette problématique. Or il ne faut pas ignorer les expositions à d’autres risques moins visibles. Des risques organisationnels ou relationnels peuvent aussi avoir des conséquences sur le risque principal. Il faut avoir une approche globale, identifier les risques en amont. Des organismes comme l’INRS(2), les Carsat(3) et les services de prévention et de santé au travail (SPST) proposent des outils de sensibilisation, d’information, de formation des entreprises… qui sont les premiers préventeurs.

Une autre recommandation porte sur le renforcement de la recherche. Quelles sont les études menées dans ce domaine ?

De plus en plus de travaux de recherche s’intéressent à la poly-exposition et à l’exposome (la totalité des expositions tout au long de la vie), pour mieux comprendre les interactions entre les contraintes professionnelles, d’autres types d’exposition liés à l’environnement et au mode de vie et l’apparition ou l’aggravation de maladies. Des projets sont soumis notamment dans le cadre du programme national de recherche Environnement-Santé-Travail(4). L’Europe finance également des projets de recherche tels que le consortium Ephor [Exposome Project for Health and Occupational Research] basé sur des données de douze pays.

Quel peut être le rôle des médecins généralistes auprès des travailleurs ?

Les médecins généralistes doivent échanger avec leurs patients pour essayer de comprendre leur environnement professionnel, s’intéresser à leurs conditions de travail. On ne peut que les encourager à échanger avec le médecin du travail… sous réserve de l’accord des patients. Et les inviter à s’informer sur les activités professionnelles et les risques associés. Nous souhaitons sensibiliser les médecins généralistes et la population, pour que chacun s’empare de ces questions.

 

Références :

(1) Dares : Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, ministère du Travail.
(2) INRS : Institut national de recherche et de sécurité.
(3) Carsat : Caisse d’assurance retraite et de santé au travail.
(4) Sur les 42 projets sélectionnés par le PNR EST en 2022 et financés pour un montant total de 7,5 millions d’euros, douze portent sur l’exposome et sept sur la santé au travail, dont trois sur les nouvelles modalités de travail comme le télétravail et l’usage prolongé des écrans.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Muriel Pulicani