Alors que les propositions de loi ou amendements défilent à l’Assemblée pour tenter, en vain, de faire adopter un peu plus de coercition à l’installation des médecins dans les zones sous-dotées, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publie un état des lieux des stratégies déployées à l’international pour remédier aux difficultés d’accès aux soins. Bilan : améliorer les conditions d’exercice est plus efficace que l’incitation financière. La régulation à l’installation peut s’avérer efficace.

 

Les déserts médicaux ne sont pas un problème français. C’est ce qu’il ressort d’une étude de la Drees qui a analysé, à partir de la littérature internationale, les stratégies mises en œuvre pour contrer les difficultés d’accès aux soins. “Un certain nombre d’enseignements peuvent être dégagés des expériences d’autres pays, même si elles s’inscrivent dans des contextes spécifiques différents du nôtre”, pointe la Drees.

Ainsi, l’analyse de l’expérience internationale permet de dégager quatre grands registres d’intervention pour tenter d’attirer et de garder des médecins dans les zones sous-dotées. Les pays peuvent agir sur les incitations financières, la formation initiale, la coercition à l’installation ainsi que le soutien professionnel et personnel.

 

 

Les incitations financières à l’installation ont très souvent été les premières mesures mises en œuvre pour tenter de corriger les déséquilibres géographiques. Plusieurs pays ont ainsi mis en place des aides financières pour les étudiants en médecine sous diverses formes (paiement des frais de scolarité, bourses, prêts), associées à un engagement d’exercer un certain nombre d’années, à la fin de leurs études, dans des zones sous-médicalisées (souvent le nombre d’années pendant lesquelles l’étudiant a été financé). Selon les cas, l’étudiant a ou non la possibilité de s’exonérer de ses obligations en remboursant les sommes perçues, augmentées des intérêts et éventuellement de pénalité. C’est le cas en France du CESP notamment.

 

Majorations de revenus

D’autres incitations visent les médecins diplômés. En 2012, les deux tiers des pays de l’OCDE y avaient recours, selon des modalités variées. Il s’agit souvent de majorations de revenus, qui peuvent prendre des formes diverses en fonction du mode de rémunération en vigueur : tarifs plus élevés, bonus, bonifications salariales… Certaines sont limitées dans le temps, tandis que d’autres sont pérennes.

Une évaluation a été conduite en France, où des incitations financières ont été mises en place en 2007 sous la forme de majorations tarifaires dans les zones sous-médicalisées, cite la Drees. Sur les trois premières années d’application, on a pu estimer que cette mesure avait conduit à un apport net d’une soixantaine de médecins, représentant 4% des effectifs exerçant dans les zones déficitaires. Ce résultat a été jugé faible au regard du coût de la mesure (20 millions d’euros par an) par la Cour des comptes, qui a estimé que le dispositif avait essentiellement constitué un effet d’aubaine pour les médecins déjà en place.

 

Rôle limité des incitations pécuniaires

Au regard des études françaises et étrangères, la Drees conclut à un rôle limité des incitations purement pécuniaires. Leurs résultats sont “décevants”, constate la Drees.

Finalement, les aspects financiers semblent moins importants que d’autres aspects du métier comme le lieu d’exercice. Influer sur les choix des médecins par le biais d’incitations financières nécessiterait des augmentations de revenus très élevées pour compenser des conditions d’exercice considérées comme désavantageuses (nombre d’heures élevé, permanences nombreuses, localisation dans une zone peu dense…). Les politiques visant l’amélioration de la répartition territoriale ne peuvent donc pas se fonder sur le seul levier des incitations financières, mais doivent agir sur l’ensemble des conditions d’exercice des praticiens, estime la Drees.

 

Equilibre entre vie professionnelle et vie familiale

En effet, les conditions de travail sont un facteur crucial dans le choix du lieu où les médecins s’installent, comme le montrent les enquêtes menées dans tous les pays. Elles font apparaître que l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, la maîtrise des horaires et de la charge de travail, les possibilités d’échanges avec des collègues sont des éléments qui pèsent fortement dans les décisions des étudiants et des jeunes médecins. Les conditions de travail dans les zones sous-médicalisées – isolement, charge de travail importante, mobilisation fréquente pour la permanence des soins, difficultés de remplacement – constituent donc une perspective peu attractive pour des jeunes médecins.

 

 

 

De fait, les données objectives montrent qu’en zone rurale le nombre d’heures de travail est plus élevé, ainsi que la fréquence des gardes et astreintes. Les enquêtes réalisées dans plusieurs pays confirment que la charge de travail, le nombre élevé de patients à traiter, les contraintes qui en découlent sur les durées de consultation sont des sources d’insatisfaction pour les médecins installés.

 

Impact positif de la régulation

Très contestée en France, la régulation de l’installation permet une distribution plus équilibrée mais n’évite pas les pénuries locales, note la Drees. Les exemples internationaux vont toutefois globalement dans le sens d’un impact positif d’une politique de régulation des installations sur l’équité de la distribution géographique. Par exemple, une disposition en vigueur dans plusieurs pays concerne les médecins diplômés à l’étranger, à qui une période de service dans les zones déficitaires est imposée avant qu’ils puissent choisir leur lieu d’installation comme leurs pairs diplômés dans le pays. C’est le cas en Australie, où ils sont assignés à une zone rurale en pénurie dans laquelle ils doivent exercer pendant dix ans. Des mesures similaires existent aux Etats-Unis ou au Canada.

Globalement, toutes ces mesures instaurant une obligation de service font l’objet d’une critique similaire : les médecins qui servent dans ces territoires non attractifs le font de manière contrainte, ils ne restent pas en général après leur période d’engagement, parfois même cette expérience subie les détourne d’un type d’exercice pour lequel ils auraient pu avoir certaines prédispositions. Au final, la population n’a que des médecins inexpérimentés, dont le turnover nuit à la continuité des soins.

 

 

Deux cabinets dans un rayon de 15 kilomètres

Il faut noter que la régulation ne va, dans aucun pays, jusqu’à contraindre les professionnels à s’installer dans des zones désignées, sauf de façon temporaire pour certaines catégories de médecins. Lorsqu’il s’agit d’une régulation permanente, elle prend la forme d’une limitation des installations dans des zones considérées comme “surdotées”.

Dans certains pays, au-delà des obligations temporaires, les médecins n’ont pas une entière liberté dans le choix de l’endroit où ils veulent établir leur pratique, ce choix étant soumis à une forme d’autorisation préalable. Ainsi, au Danemark, les médecins généralistes sont libéraux, mais ils doivent passer contrat avec les autorités régionales (au nombre de cinq), qui régulent la distribution géographique des cabinets. Les effectifs nécessaires par zone géographique sont fondés sur la taille des listes de patients inscrits auprès des médecins et les distances d’accès aux cabinets. Les patients doivent avoir le choix entre au moins deux cabinets dans un rayon de 15 kilomètres, et un généraliste peut décider de fermer sa liste à partir du moment où elle atteint 1 600 patients. S’il y a un manque de médecins dans une zone, la région ouvre des postes supplémentaires.

 

Importance de l’origine rurale du médecin

Former plus de médecins est une autre piste envisagée pour contraindre la désertification médicale. Le raisonnement est simple : en formant de plus en plus de médecins, les zones urbaines favorisées finiront par être saturées. Les praticiens iront combler les besoins non couverts dans les zones mal desservies. Ce raisonnement semble néanmoins contredit par la réalité. En revanche, l’influence de l’origine des médecins sur les choix d’installation ont conduit plusieurs pays à augmenter la part d’étudiants en médecine qui sont issus de communautés défavorisées en termes d’accès aux soins. Pour atteindre cet objectif, une démarche de décentralisation des lieux de formation a été mise en œuvre, aux Etats-Unis notamment.

De manière constante, les travaux de recherche concluent que l’origine rurale du médecin est le facteur essentiel et le meilleur prédicteur de l’installation en zone rurale. Être né en milieu rural, y avoir grandi, y avoir fait sa scolarité ressortent, dans tous les pays, comme des déterminants majeurs du choix d’exercer dans cet environnement.

En France, de nombreuses incitations sont déjà mises en œuvre, mais quelques améliorations sont suggérées par la Drees, au regard des études internationales. L’origine territoriale et sociale des étudiants en médecine pourrait être plus diversifiée pour équilibrer à terme leur répartition sur les territoires. En amont de l’entrée en formation médicale, des démarches plus proactives pourraient également être développées en direction des élèves du secondaire.

 

 

Améliorer le cadre de travail

L’effort pour proposer des conditions de vie et de travail épanouissantes pourrait également être accru. En France, la politique de promotion des structures d’exercice collectif est un pilier majeur de la stratégie d’attractivité des territoires.

L’accompagnement des professionnels sur le terrain, par des mesures de soutien visant à améliorer leur cadre de vie et de travail, pourrait certainement être encore développé. Proposer des conditions de vie et de travail épanouissantes ressort, en France comme dans tous les autres pays, comme un élément essentiel pour attirer les professionnels dans les zones sous-dotées, et aussi pour leur permettre de s’y maintenir.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Bonin

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