C’est l’une des plus grandes découvertes du XXème siècle et peut-être, de l’histoire de la médecine. Il y a cent ans, alors que le diagnostic du diabète sucré (aujourd’hui diabète de type 1) était une condamnation à mort que seule pouvait retarder une diète sévère, la découverte de l’insuline a rendu la vie aux malades. Si Frederick Banting, en qui la presse française voit l’archétype du “self made man”, obtient le prix Nobel en 1923 pour ses travaux, aux côtés de John MacLeod, l’Histoire a depuis permis de mettre au jour le rôle de plusieurs médecins et physiologistes dans cette grande avancée.

 

Découvert dès l’Antiquité, le diabète, dont la signification grecque (“passer au travers”) marque l’identification de deux des principaux symptômes de la maladie (la polydipsie et la polyurie), n’est véritablement investigué par la médecine qu’au XIXème siècle. En 1869, le biologiste allemand Paul Langerhans décrit pour la première fois les cellules, regroupées en ilôts, qui composent la plus petite partie du pancréas. Vingt ans plus tard, un grand pas est franchi à Strasbourg quand Oskar Minkowski et Josef Von Mering prouvent l’origine pancréatique du diabète, suggérée par le Français Etienne Lancereaux : le médecin réalise une pancréatectomie sur un chien, provoquant chez l’animal l’apparition d’un diabète sucré.

 

Compétition

Dans les décennies qui suivent, les chercheurs tentent d’isoler la substance du pancréas qui permet de réguler le diabète. En 1906, un jeune interniste allemand, Georg Züelzer, obtient des résultats intéressants chez plusieurs sujets diabétiques après l’injection sous-cutanée d’ “Acomatol”, un extrait alcoolique de pancréas de sa fabrication. Mais les effets secondaires (malaise, fièvre, convulsions…) sont tels que l’expérimentation s’arrête là. Dans les années qui suivent, Scott, Kleiner, Murlin, les Français Achard et Gardin ou encore le Roumain Nicolae Paulescu poursuivent les recherches pour mettre au point un extrait pancréatique à effet hypoglycémiant. En 1921, ce dernier, physiologiste protégé de Lancereaux, est en compétition, sans le savoir, avec une équipe de Toronto, composée du chirurgien Frederick Baunting et de l’étudiant Charles Best, installés dans un laboratoire par le professeur de physiologie John MacLeod.

Baunting a dans l’idée de “lier les canaux excréteurs du pancréas, garder le chien vivant jusqu’à ce qu’on observe une dégénérescence des acini, laisser les îlots de Langherans intacts et essayer d’isoler la sécrétion interne permettant de traiter la glycosurie”, comme il l’écrit dans un carnet de notes en octobre 1920. Les expérimentations débutent en mai 1921 avec l’administration d’extraits pancréatiques sur des chiens ayant subi au préalable une pancréatectomie. Les chercheurs parviennent à diminuer durant quelques heures la glycémie et la glycosurie, et ce faisant à prolonger la vie des animaux. Les deux jeunes hommes sont finalement assistés par le chimiste James Collip, qui va purifier les extraits injectés, bientôt nommés “insuline” (du latin “insula”, île). Les travaux sur le chien sont présentés devant l’Académie de médecine de Toronto le 7 février 1922. Quelques semaines auparavant, les chercheurs ont débuté les tests chez l’homme : en janvier, ils sont parvenus à sortir le jeune Leonard Thompson, 14 ans, de son coma diabétique. Une première mondiale. La technique est brevetée quelques semaines plus tard.

 

 

Il faut attendre l’automne 1922 pour que la nouvelle de cette découverte arrive en France, à la suite de la parution d’un article dans le BMJ et de la présentation de ces travaux à la Royal Society de Londres. Loin de s’enthousiasmer pour un remède “miracle”, la presse française rend compte des résultats de l’insuline avec une certaine prudence.

 

Complication

A l’image du Journal des débats qui, le 16 novembre 1922, salue des “résultats thérapeutiques” et la description d’une “technique” pour extraire et préparer l’insuline, tout en soulignant immédiatement ses limites. “Il ne semble pas qu’on doive s’attendre à guérir le diabète au moyen de l’insuline : on fera durer le diabétique“, souligne l’auteur de l’article, le journaliste et naturaliste Henri de Varigny. “Les probabilités sont que le traitement devra continuer jusqu’au trépas.” Et de relever une première “complication” : “l’insuline, d’après les résultats acquis, semble ne pouvoir être administrée qu’en injections sous-cutanées” (deux par jour). “D’autre part, poursuit-il, il convient de pas forcer la dose, sous peine d’une chute trop rapide de la quantité de sucre dans le sang, engendrant des symptômes pénibles et dangereux.” Bref, “la méthode n’est pas encore sur pied”, “on ne peut pas répandre le remède dans le commerce et le laisser employer au hasard par les praticiens”.

Dans son édition du 19 décembre 1922, Le Matin relève un autre écueil : la production de l’insuline. La fabrication de l’extrait pancréatique est “très onéreuse”, souligne-t-on, et l'”on assure que ce produit ne pourra pas être fabriqué commercialement avant un an ou deux, à moins qu’un secours philanthropique ne vienne à l’aide des laboratoires”. “Si on étudie le pancréas d’un animal aussitôt après sa mort, on s’aperçoit que cette insuline est rapidement détruite par les ferments digestifs sécrétés par la partie prépondérante du pancréas. C’est pourquoi, si l’on veut séparer l’insuline, il faut que le pancréas soit haché et que les procédés d’extraction commencent le plus tôt possible après la mort de l’animal, quelques minutes après seulement si faire se peut, explique le journal. C’est pour cette raison que le laboratoire doit être situé à proximité immédiate de l’abattoir ; et comme les procédés actuels de la science ne permettent pas de tirer d’un pancréas plus d’une ou deux doses d’insuline, il est facile de comprendre que le prix de revient en soit élevé.”

 

 

Dans L’Intransigeant, le Pr Chauffard, “spécialiste du foie” à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, “ne cache pas son scepticisme”. “L’insuline, nous en parlerons quand cela existera, si cela existe jamais, répond-t-il au journaliste venu l’interroger. En réalité, la médication pancréatique du diabète est loin d’être nouvelle et on essaie ainsi de la rajeunir. Je le veux bien, mais pour le moment, tout cela reste dans le domaine de la théorie pure.”

 

Optimisme

En janvier 1923, l’Académie de médecine française consacre une séance à ces travaux… ou plutôt à ceux du Pr Léon Blum, à Strasbourg, “dont les résultats confirment entièrement ceux relatés par les médecins canadiens”, et ceux menés “en 1920”, précise-t-on dans Le Matin, par Achard et Gardin. “Wait and see”, semblent répondre les Français à leurs confrères anglophones.

Dès le printemps 1923, ce scepticisme est dissipé et laisse libre court à l’optimisme : “Le traitement du diabète par l’insuline, introduite depuis quelques mois dans les hôpitaux de Londres et des grandes villes anglaises, est déclaré aujourd’hui avoir donné des résultats merveilleux”, rapporte L’Intransigeant du 26 avril. C’est, a déclaré une autorité médicale, une des plus grandes découvertes qui ont été faites.” Les premiers cas de “guérison” sont relatés. Les “obstacles” à l’extraction de l’insuline “à une échelle commerciale” -à partir des pancréas de bœuf, mouton, porc- sont “surmontés”. Il est désormais possible de s’en procurer auprès de plusieurs fabricants “à un prix maximum fixé”. On espère même que le remède pourra bientôt être pris “par la bouche”. Toutefois, prévient-on, les malades devront continuer à s’astreindre à “une diète convenable” : rien de plus qu’une personne “dérangée de l’estomac”, mais rien de comparable, surtout, avec le “régime de famine” promu depuis les Etats-Unis par Allen et Joslin auxquels devaient s’astreindre les diabétiques jusqu’ici.

En octobre 1923, le prix Nobel de médecine ou physiologie est attribué à Baunting et MacLeod, qui choisissent de le partager avec Best et Collip. La presse française s’enthousiasme alors pour Baunting, ce jeune chirurgien de 31 ans, le type même “du self made man”. “Fils d’un fermier canadien, il aurait pu amasser beaucoup d’argent en exploitant les terres paternelles, mais il préféra à la culture des céréales, celles de microbes, et à l’étude du blé, celle du pancréas”, romance Bonsoir dans son édition du 28 octobre 1923. En France, ce chirurgien sans le sou “fut mort de faim” en attendant de trouver des subsides pour poursuivre ses recherches, tacle le quotidien du soir. “En Amérique, il trouva sans peine un mécène, John Rockfeller, qui lui donna 15 000 dollars pour les essais nécessaires dans 15 hôpitaux.” “Le Gouvernement canadien vota une rente annuelle de 7 500 dollars à l’inventeur, sa vie durant, et l’état d’Ontario alloua 10 000 dollars par an pour fonder un laboratoire, plus un traitement de 6 000 dollars comme appointement à Baunting, nommé directeur”, énumère encore Le Matin. “Voilà comment on encourage les savants… en Amérique !”.

 

 

La découverte de l’insuline ayant été l’aboutissement d’une quête à laquelle de nombreux savants ont participé, l’attribution du Nobel à l’équipe de Toronto a suscité une controverse. Et s’il en est un qui est particulièrement mécontent, c’est le Roumain Nicolae Paucescu. Pour cause : le médecin, qui avait entamé des recherches dès le début du siècle, est lui aussi parvenu à mettre au point un extrait pancréatique avec effet hypoglycémiant, publiant des résultats chez l’animal (mais non chez l’homme) en 1921, six mois avant Baunting et Best, et déposant un brevet en avril 1922 pour sa “pancréanine“. “Je vous demande la permission de protester contre le fait que cette distinction a été accordée à des personnes qui ne la méritaient point, écrit-il au président du comité Nobel quelques jours après l’attribution du prix. En effet, la découverte de ces effets physiologiques et thérapeutiques m’appartient toute entière (…) ils n’ont fait que répéter ce que j’avais dit bien avant eux sur la diminution de l’hyperglycémie et de la glycosurie… sous l’influence des injections intra-veineuses de l’extrait pancréatique chez un animal diabétique… “. Il lui est répondu que son nom n’avait tout simplement pas été proposé.

 

Qui est le vrai père de l’insuline ?


F. Baunting

La controverse s’est poursuivie tout au long du XXème siècle, tandis que d’autres découvertes majeures faisaient progresser le traitement du diabète : mise au point de la première insuline à action lente en 1935, description de la structure chimique de l’insuline en 1955, première insuline obtenue par génie génétique en 1982… Les révélations sur l’antisémitisme de Nicolas Pausescu feront finalement échouer les tentatives de réhabilitation.

Qui est le vrai père de l’insuline ? interroge le Pr Jean-Louis Schlienger, de l’Université de Strasbourg, dans un article paru en 2017 dans la revue Médecine des maladies métaboliques .”Si la découverte de l’insuline est définie par la mise en évidence d’une diminution de la glycémie et de la glycosurie après l’injection d’extraits pancréatiques, l’antériorité en revient à Züelzer, Scott, Kleiner, Murlin, ou Paulescu… En revanche, si l’on admet qu’elle correspond à la première mise en évidence d’un effet antidiabétique chez un sujet diabétique, c’est indiscutablement Züelzer qui est le vainqueur. Toutefois, si on exige de l’extrait de pancréas injecté qu’il ne soit pas “toxique”, c’est bien Baunting et Best qui remportent la palme, à moins que l’on ne considère que la découverte ne devrait être attribuée qu’à celui qui était réellement parvenu à mettre au point un extrait pancréatique actif purifié, riche en insuline et non toxique, en l’occurrence James B. Collip, le chimiste du groupe de Toronto, résume l’auteur. Tout cela est affaire de point de vue.”

 

Sources :
– Henri Lestradet, Historique de la découverte de l’insuline, Histoire des sciences médicales, 1993, Tome XXVII – N°1.
– JL Schlienger, Découverte de l’insuline : quelle fut la contribution de Nicolae Constantin Paulescu (1869-1931) ?, Médecine des maladies Métaboliques – Novembre 2017 – Vol. 11 – N°7.
Retronews.fr

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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