Après l’échec et la suspension des négociations de l’avenant 9 en décembre dernier, la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) a mis une nouvelle offre sur la table pour les médecins libéraux, gonflant sensiblement l’enveloppe l’initiale. Mais pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, les revalorisations proposées ne sont toujours pas à la hauteur de l’engagement des praticiens durant la crise sanitaire et des contraintes, nouvelles, que l’Assurance maladie et le Gouvernement entendent faire peser sur ces derniers. Alors que la date butoir de la signature approche, un rapport de forces s’est établi.

 

Cette nouvelle offre de la Cnam est-elle plus favorable aux médecins généralistes ?

Il a été mis un peu d’argent en plus par rapport à l’offre du mois de novembre… Pour comprendre les attentes des généralistes, il faut comprendre dans quel état d’esprit ils sont aujourd’hui. Ils sont sur le front depuis dix-huit mois, ils étaient sans protection en février et mars 2020 – on le dit souvent, mais il faut s’en souvenir. Beaucoup de généralistes ont été marqués par le décès ou la maladie de confrères ; certains ont dû arrêter leur exercice. Cette crise, on est toujours dedans, au travers de la vaccination. C’est une période compliquée et il y a un épuisement mental.

Il y avait de grandes espérances pour cet avenant 9, même si on a pris conscience que ce n’était pas une nouvelle convention. On attend que cet avenant soit une reconnaissance de l’engagement des généralistes. Sur ce plan, la déception est énorme. Et pourtant la lettre de cadrage d’Olivier Véran, avec ses six priorités, était porteuse d’espoir. Favoriser l’autonomie des personnes âgées en renforçant le suivi à domicile, cela correspond à un vrai besoin : la population est de plus en plus âgée et l’enjeu est de permettre le maintien à domicile et d’éviter des hospitalisations. Ce sont des patients qui n’arrivent pas à retrouver un médecin quand le leur prend sa retraite. Donc il y avait un nécessaire investissement à faire.

 

La Cnam propose d’étendre la visite longue à toutes les personnes de plus de 80 ans en ALD, mais dans la limite de trois par an et par patient… C’est insuffisant ?

C’est tout simplement aberrant. Ce sont des patients complexes que l’on voit au moins tous les trois mois. Les plus complexes, c’est même tous les mois… Et là, on nous dit que l’on va voir ces patients trois fois par an avec une visite à 70 euros [majoration de déplacement comprise] et la quatrième fois, avec une visite à 35 euros ! Au-delà de la complexité de tenir une comptabilité pour ces patients-là, c’est un non-sens en termes de prise en charge et de qualité des soins, et cela ne répond pas à l’objectif de permettre le maintien à domicile et d’éviter les hospitalisations.

 

Que réclamiez-vous ?

Nous étions pour une extension de la visite longue, mais au minimum quatre fois par an. On nous le refuse car cela coûterait 40 millions d’euros de plus…

Pour ces patients fragiles et âgés, nous réclamions une téléconsultation par téléphone. Ces gens n’ont pas Whatsapp et ne font pas de vidéo ! Un groupe de travail se penchera sur cette question pour la prochaine convention. On voit d’ailleurs tout l’intérêt de rétablir dès maintenant ces téléconsultations par téléphone pour appeler et convaincre nos patients non vaccinés dont on va nous fournir la liste. Mais en l’absence de rémunération, ce seront des actes gratuits…

 

En matière de numérique en santé, le ministère et la Cnam mettent le paquet, via les rémunérations forfaitaires, sur le volet de synthèse médical (VSM) et les outils promus par le Ségur de la Santé (e-prescription, alimentation du DMP, messagerie santé, appli carte vitale) dans le cadre du “virage numérique”. Les exigences sont-elles tenables pour les médecins généralistes ?

A la CSMF, nous travaillons sur le DMP et le VSM depuis vingt ans. Ce qui est important pour nous, c’est d’avoir un VSM avec des données structurées pour le mettre dans le DMP. C’est l’usage qui nous intéresse. Si c’est juste mettre des documents dans le DMP, ça ne sert à rien. Un VSM structuré prend du temps, 30 à 45 minutes pour un patient polypathologique. Là, la Cnam nous propose une rémunération forfaitaire équivalente à 15 euros le VSM… Très clairement, le compte n’y est pas. On a bien compris que ce qui intéresse l’Assurance Maladie c’est d’afficher le nombre de documents versés dans le DMP et que l’usage qui est en fait n’est pas sa préoccupation. Quel intérêt si les médecins spécialistes et les établissements de soins ne peuvent pas utiliser le VSM ?

Au-delà des revalorisations pour les généralistes et les spécialistes, insuffisantes, ce qui change dans cette proposition, ce sont toutes les contraintes nouvelles pour les médecins sur les téléservices. Des indicateurs qui sont aujourd’hui dans le volet 2 du forfait structure vont passer dans le volet 1 en 2023 ou 2024. Le risque, pour un certain nombre de médecins, c’est de perdre l’intégralité de leur forfait structure. C’est un vrai couperet.

 

Sur le service d’accès aux soins (SAS), la Cnam reste sur une “proposition forfaitaire” pour les effecteurs. Est-ce un point de blocage ?

Il y a une incompréhension totale de l’Assurance Maladie, tant sur le concept et l’organisation du SAS que sur la rémunération des soins non programmés.

Tous les généralistes quand ils commencent leur journée ont des rendez-vous libres pour les soins non programmés de leur patientèle. On ne demande pas de revalorisation pour cela : c’est ce que l’on fait tous les jours ! Mais la conception de l’Assurance Maladie, c’est de dire que le SAS va avoir accès aux agendas des médecins pour remplir ces créneaux. S’il nous les remplissait tous, on aurait plus de places pour les soins non programmés de nos propres patients, à moins de rallonger la journée d’une ou deux heures. Pour nous, le SAS, ce sont des patients qui n’ont pas réussi à joindre leur médecin traitant ou qui n’en ont pas, et qui risquent de finir aux urgences. Ils vont appeler la régulation du 116-117 et, dans les deux tiers des cas, le régulateur va résoudre le problème, comme c’est le cas pour la PDSA. Pour le tiers restant, il faudra trouver un rendez-vous auprès d’un médecin qui se sera engagé dans le cadre de l’organisation territoriale que sera le SAS. Par exemple, au sein des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), il y a la possibilité de rémunérer du temps de secrétariat pour cela et il n’y a donc pas besoin d’une plateforme numérique qui accède aux agendas des médecins dans ce cas !

Quant à la rémunération, quand on voit l’impact médico-légal de cette activité, proposer au régulateur un taux horaire moindre qu’un coordonnateur de centre de vaccination, c’est inacceptable. Concernant la rémunération des effecteurs, nous avons des expérimentations qui fonctionnent, que ce soit toute la semaine en journée comme dans la région Grand Est ou le samedi matin, dans d’autres départements : on voit qu’avec cette régulation, le nombre d’actes effectués est vraiment très peu important. Clairement, cela doit être une rémunération à l’acte et celui-ci doit être majoré de 15€. Il y a un refus catégorique de la Cnam : on sent bien la mainmise de Nicolas Revel à Matignon…

C’est une situation ubuesque car les patients qui, demain seront pris en charge par le SAS, sont ceux qui aujourd’hui n’obtiennent pas de réponse à leur demande de soin auprès d’un médecin généraliste. Ils vont soit dans les services d’urgence pour un coût moyen de 200 à 250 €, soit ils sont pris en charge après 20H par l’organisation de PDSA où l’acte est majoré de 42,50 € !

Si cet avenant 9 devait s’appliquer en l’état, il serait pour notre syndicat inconcevable qu’il n’y ait pas un appel national à boycotter toutes les expérimentations de SAS.

 

Parviendrez-vous à faire bouger les lignes d’ici la prochaine séance de négociations ? Le directeur de la Cnam dit qu’il a déjà fait une offre “ambitieuse”…

L’Assurance maladie et le Gouvernement ont mis une grosse pression sur les médecins libéraux en leur disant que s’ils ne signaient pas cet avenant, il n’y aurait de toute façon rien d’autres avant octobre 2023 et la nouvelle convention. On nous dit clairement : “le ‘quoi qu’il en coûte’ c’est fini”. Moi, j’aurais tendance à faire une analyse différente de ce rapport de forces. Ceux qui ont le pistolet sur la tempe, ce ne sont pas les médecins libéraux, mais le Gouvernement et la Cnam. S’il n’y a pas d’avenant 9, il n’y a pas de “virage de la santé numérique” du Ségur en ambulatoire et surtout il n’y aura pas de SAS. Quand je vois la crise estivale des services d’urgences cet été en France -dans mon département, à partir de 18h30 et jusqu’au matin, les 3 services d’urgence sont fermés de 18h30 à 8h30 le lendemain et ne prennent plus que les patients admis par la régulation du centre 15- on voit la nécessité d’avoir un SAS.