Dans son traditionnel rapport annuel “Charges et produits”, la Caisse nationale d’Assurance maladie a formulé une série de propositions en vue de réaliser 1 milliard d’euros d’économies sur l’année 2022. Des préconisations qui vont être transmises au Gouvernement qui présentera son projet de loi de financement de la Sécurité sociale dans quelques mois, alors que l’épidémie de Covid-19 a plombé la branche maladie. Mais quels vont être les impacts sur vos pratiques? Décryptage.

 

“La question de la soutenabilité financière du régime se pose”, prévient d’emblée la Caisse nationale d’Assurance maladie dans son traditionnel rapport annuel “Charges et produits”. Un an et demi après le début de l’épidémie de Covid sur notre sol, le déficit de la branche maladie s’élève en effet à 31 milliards d’euros, d’après le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Et, alerte la Cnam, il ne devrait pas disparaître dans les mois à venir.

Dans ce contexte de tensions, la Cnam a détaillé un plan permettant de réaliser 1,015 milliard d’euros d’économies pour 2022, qui servira au Gouvernement pour son prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Une somme comparable à celle prévue dans le rapport pour 2021, mais moitié moindre que pour l’année 2020 pour laquelle un plan de 2,069 milliards d’euros avait été présenté.

Au total, les économies sur les dépenses en produits de santé représentent 490 millions d’euros, celles sur les actes et prescriptions, 340 millions euros d’économies, – moins que pour 2021 (438 millions d’euros). Le volet prise en charge s’élève à 35 millions, contre 150 millions d’euros pour la lutte contre la fraude, un montant égal à 2021.

 


(Source : Cnam.)

 

IPP, paracétamol et antidépresseurs : vers une “juste prescription”

Comme l’an passé, les dépenses en produits de santé représentent près de la moitié des économies envisagées par l’Assurance maladie (dont 290 millions pour les médicaments seuls). Pour 2022, la Cnam réaffirme sa volonté de promouvoir une juste prescription des médicaments et de lutter contre leur mésusage. Un accent particulier est mis sur la prescription d’inhibiteurs de la pompe à proton (IPP), le paracétamol et les antidépresseurs. Concernant le paracétamol, 10 millions d’euros peuvent être économisés grâce à un “non renouvellement systématique de [sa] prescription” et en s’assurant que le patient “ne cumule pas les prises”, ce médicament constituant la première cause de greffe hépatique d’origine médicamenteuse en cas de surdosage.

 

 

Pour les IPP, dont la prescription est faite par les généralistes dans 69% des cas, la Cnam note que “45% des ordonnances ayant fait l’objet d’au moins une délivrance en 2019 étaient injustifiées”. Elle rappelle qu’une prescription systématique d’un IPP en association aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ne se justifie “que dans les situations à risque”. Par ailleurs, la prescription ne doit être envisagée “que face à des symptômes évocateurs d’un RGO et en complément des mesures hygiéno-diététiques”. Pour le RGO (reflux gastro-oesophagien), elle indique par ailleurs que l’intérêt de prescrire au-delà de quatre semaines doit être réévalué “au cas par cas”. Au total, 30 millions d’euros d’économies sont attendues.

25 millions d’euros d’économies sont également prévues en améliorant le diagnostic de la dépression et sa prise en charge chez les personnes de plus de 75 ans. Cela se traduit par la poursuite de la campagne prévue dans le précédent rapport “Charges et produits” et destinée aux médecins qui traitent les patients de 65 à 75 ans. La Cnam souhaite l’élargir aux plus de 75 ans. Elle rappelle également sa volonté de développer les visites gériatriques des médecins libéraux dans le cadre des négociations conventionnelles sur l’avenant 9. Visites pour lesquelles les syndicats ont réclamé une revalorisation.

Soixante millions d’euros peuvent également être économisés, d’après le rapport, en poursuivant les actions autour de la dispensation adaptée qui permet, comme son nom l’indique, à un pharmacien d’adapter la dispensation d’un médicament “pour s’assurer de la délivrance de la quantité pertinente nécessaire au traitement du patient”. Un dispositif que la Cnam plébiscite pour éviter le gaspillage de médicaments, diminuer le risque iatrogénique ou encore renforcer le bon usage.

 

 

Biosimilaires : une substitution par les pharmaciens

A contrario, l’Assurance maladie souhaite inciter les professionnels de santé à prescrire des génériques, ce qui devrait permettre de dégager 45 millions d’euros. D’ores et déjà, souligne le rapport, la mise en œuvre de l’article 66 de la loi de financement de 2020 a permis d’atteindre un taux de substitution de 91,6% l’an passé, contre 87,7% en 2019. “Le taux de recours à la mention ‘Non substituable’ est en baisse et atteint 2,9% en décembre 2020”, ajoute la Caisse.

Par ailleurs, l’Assurance maladie souhaite développer le recours aux biosimilaires. En ce sens, elle indique vouloir proposer un dispositif d’intéressement des prescripteurs libéraux à la prescription de biosimilaires dans le cadre des négos conventionnelles sur l’avenant 9. Elle préconise aussi dans son rapport de permettre aux pharmaciens de substituer des médicaments biosimilaires “dans des conditions restreintes” (dans le cadre d’un primo-traitement uniquement, et hors traitement chronique). En vue : atteindre les objectifs du ministère de 80% de taux de pénétration des biosimilaires sur le marché de référence d’ici 2022.

Le reste de la somme espérée sur les dépenses de produits de santé concerne les dispositifs médicaux (150 millions), pour lesquels la Cnam souhaite “réduire l’asymétrie d’information entre les professionnels de la LPP [liste des produits et des prestations, NDLR] et les prescripteurs”. Objectif : améliorer l’adéquation de la prescription aux besoins des patients.

 

Arrêts de travail : un nouveau système d’accompagnement

Dans le volet actes et prescriptions, l’Assurance maladie compte réaliser 340 millions d’euros d’économies. C’est bien moins que l’année précédente (438 millions). Elle souhaite avant tout maîtriser l’évolution des dépenses d’arrêt de travail en améliorant le dispositif d’accompagnement des médecins prescripteurs d’indemnités journalières, ce qui pourrait permettre de dégager 100 millions d’euros. Elle entend mettre en place un “système de détection précoce des assurés en arrêts de travail”, afin d’évaluer leur situation avec les prescripteurs et inciter les praticiens concernés “au respect des durées indicatives d’arrêts dans une logique de conduite à la reprise du travail des assurés”.

 

Zoom sur les facturations des infirmiers libéraux

En vue de lutter contre les actes inutiles et les facturations inadaptées, la Cnam fait valoir l’accompagnement des infirmiers libéraux qui viennent de s’installer à l’acquisition des bonnes pratiques concernant la facturation. Ce plan prévoit des contrôles pédagogiques (un suivi les mois suivant le début d’activité) et préventifs mais aussi des “actions de contrôle visant à détecter des pratiques de facturation déviantes voire fautives ou frauduleuses”. D’après le rapport, cet accompagnement vise à “améliorer la connaissance des infirmiers libéraux qui s’installent sur les règles régissant leurs relations avec l’Assurance maladie pour éviter les anomalies et les éventuels indus”. Estimation des économies : 80 millions d’euros.

 

 

Un parcours insuffisance cardiaque

Dans le volet prise en charge, 35 millions d’euros d’économies sont attendues, dont 15 millions avec l’instauration d’un parcours insuffisance cardiaque dans le cadre d’une approche pluriannuelle et ambitieuse de gestion du risque centrée sur les pathologies cardiovasculaires. Concrètement, la Cnam veut mieux informer et sensibiliser les patients, alors que plus de 1,5 million de personnes sont concernées. L’insuffisance cardiaque a par ailleurs entraîné 165.000 hospitalisations l’an passé et représente un coût de prise en charge d’environ 3 milliards d’euros. Le but est également d’accompagner les professionnels de santé en leur transmettant un outil de diagnostic territorial, des profils établissements et des indicateurs de mesure d’impact.

 

Les centres de santé dans son viseur

Volet très important de ce rapport, la lutte contre les fraudes et les abus pourrait permettre de dégager 150 millions d’euros, estime l’Assurance maladie, qui évalue à 2,5 milliards d’euros le coût des fraudes détectées, qui ont été stoppées et sanctionnées, depuis 2005. De fait, la Cnam a diffusé un nouveau plan national 2021-2022 de lutte contre la fraude, les fautes et les abus, avec, à l’horizon fin 2021, de nouveaux programmes nationaux à visée fraude “exclusivement”. Dans son viseur entre autres : le trafic de médicaments – elle note une hausse de 3,4 milliards d’euros des préjudices détectés et stoppés (vols, falsifications d’ordonnances, etc.), les centres de santé ophtalmologiques mais aussi la fraude à la LPP.

La Cnam souhaite mieux évaluer les risques de fraude au cours de l’année 2022, “avec une méthodologie affinée”, une estimation chiffrée et mise à jour régulièrement. Elle se fixe d’ores et déjà l’objectif d’établir une première estimation chiffrée de la fraude sur un certain nombre de risques déjà cartographiés pour septembre 2021. Cela lui permettra notamment “d’orienter le plus efficacement possible ses actions de contrôles-contentieux”.

Tout un pan concerne également la lutte contre les détournements du modèle des centres de santé par certains gestionnaires, notamment, indique le rapport, s’agissant des centres de santé spécialisés en soins dentaires ou ophtalmologiques. La Cnam appelle à doter les pouvoirs publics de davantage de moyens de régulation, et expose une série de mesures afin de mieux “contrôler l’installation et le conventionnement” de ces structures, ainsi que la mise en œuvre de “sanctions conventionnelles financièrement dissuasives”.

 

 

L’Assurance maladie suggère tout d’abord d’instaurer un conventionnement “explicite” des centres de santé, voire d’envisager “de revenir à un régime d’autorisation ‘explicite’ par l’ARS”. Côté dissuasion, le rapport recommande que les structures qui ne souhaitent pas adhérer à l’accord national ou qui sont déconventionnés suite à une sanction se voient appliquer “les tarifs d’autorité”, et non plus aux tarifs opposables. Par ailleurs, la Cnam propose que le mécanisme de déconventionnement d’urgence puisse leur être appliqué. A ce jour, en effet, il n’est applicable qu’aux professionnels de santé libéraux.

Dans un rapport interne, dont le Figaro a fait état en avril dernier, la Caisse nationale d’Assurance maladie estimait à près de 22 millions d’euros le préjudice des fraudes et activités fautives relevées en 2020 dans les centres de santé, en particulier dans certains centres d’ophtalmologie. Elle observait notamment que les facturations de l’examen de la vision des couleurs avaient été multipliées par 170 en 2020, alors qu’elles étaient restées stables chez les professionnels libéraux.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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