Patients “dans un abandon extrême”, aînés qui “n’avaient pas pu être examinés, diagnostiqués ou écoutés”… Par une lettre ouverte, le Dr Emmanuel Héau, PH détaché par l’hôpital pendant trois mois à la maison de santé de Château Chinon, interpelle l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté sur la situation sanitaire de cette localité, qui ne compte qu’un seul médecin généraliste pour un bassin de plus de 2 500 habitants.

 

Tribune rédigée par le Dr Emmanuel Héau, spécialiste en médecine générale et tropicale, PH contractuel détaché par l’hôpital à la maison médicale de Château Chinon.
Cette tribune n’engage que son auteur.

 

Lettre ouverte au directeur de l’ARS Bourgogne Franche-Comté

Monsieur le Directeur,

À l’issue d’une mission qui m’a été confiée en tant que PH détaché par l’hôpital à la Maison de Santé de Château Chinon durant trois mois, je tenais à vous remercier de la confiance que vous m’avez témoignée.

Je tenais également à vous faire part de la richesse de cette expérience tant par les enseignements que j’en ai tirés (même après 40 ans d’expérience), que par de nombreuses rencontres avec la population locale dont vous avez la responsabilité sanitaire.

J’ai beaucoup réfléchi sur ce temps médical, sur  ce travail intense, car j’ai constaté une multitude de pathologies et, surtout, l’extrême solitude du seul médecin restant dans ce lieu médical…

Ainsi, je me dois d’attirer votre attention sur la situation sanitaire globale de cette ville faisant partie de votre région sanitaire et qui m’a choqué : du fait de la grave pénurie de soignants (avec un seul médecin généraliste pour un bassin  de plus de 2 500 habitants) et d’offres de soins médicaux en général (psychiatriques et autres spécialités, dentiste, infirmière scolaire et autres intervenants paramédicaux…., de nombreux patients se retrouvent de par cette situation dans un abandon extrême, oubliés, dans l’impossibilité d’accéder aux soins primaires…

Notre pays n’aurait-il plus ce meilleur système de santé du monde tant vanté ?

 

 

Monsieur le Directeur,

J’ai croisé, rencontré et écouté, une population souvent âgée et isolée. Oubliée ?

J’ai vu pendant ces trois mois, entre autres, de nos aînés qui n’avaient pu être examinés, diagnostiqués ou écoutés.

J’ai découvert des pathologies pour lesquelles il suffisait de poser ses mains sur les ventres ou des mollets, de mettre son stéthoscope sur un cœur ou une artère, d’écrire une série d’examens sanguins à réaliser ou une imagerie à faire (qui peut attendre jusqu’à un mois et demi), pour faire un diagnostic et donc augmenter une espérance de vie ou apaiser des désarrois, ce qui est notre mission de soignants.

 

Monsieur le Directeur,

J’ai recueilli, en l’absence d’écoutants professionnels, la détresse de certains étudiants aux idées noires, la violence de récits de suicidés à travers leurs conjoints, la détresse de ces femmes isolées,  veuves, perdues dans un désert…

J’ai constaté un incroyable vide. J’ai vu… J’ai entendu encore et même, après tout ce temps d’exercice de mon métier, j’ai été ému…

 

 

Monsieur le Directeur,

Demain, selon mes contrats professionnels, je reviendrai si vous me le demandez, mais, pourquoi ne pas créer deux postes de détachés hospitaliers à Château Chinon en médecine générale. Pourquoi ne pas multiplier, favoriser les consultations de spécialistes hebdomadaires dans cet hôpital ou cette maison de santé ?

Après tout, je me demande si l’égalité républicaine ne passerait pas par là ?

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments respectueux. “

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Emmanuel Héau

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