Alors que de nouvelles mesures étaient attendues pour faire face à cette troisième vague d’épidémie de Covid-19, la question de la fermeture des écoles restait suspendue à toutes les lèvres ; médecins, enseignants, politiques et parents s’opposant sur le bien-fondé de la mesure. Dans son allocution télévisée mercredi soir, le président de la République a opté pour une solution en demi-teinte : les élèves auront une à deux semaines de cours à distance et deux semaines de vacances unifiées sur tout le territoire à partir du 12 avril. Si certains médecins saluent aujourd’hui une mesure de freinage indispensable, d’autres estiment qu’elle ne sera pas suffisante et risque d’altérer la santé mentale des jeunes. Egora ouvre le débat.

 

“Asséner le fait que l’école n’est pas un lieu de contamination est un contresens scientifique”

 

Le Dr Djillali Annane, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), plaide depuis plusieurs mois pour une fermeture des établissements scolaires. Une mesure qui vient d’être prise pour 3 à 4 semaines minimum et qu’il juge indispensable, alors que le taux d’incidence chez les jeunes ne cesse d’augmenter.

 

Egora.fr : Dans une tribune publiée dans Le Monde, vous plaidiez pour une fermeture stricte et immédiate des écoles afin de freiner la circulation du virus. Etes-vous satisfait de la décision prise par Emmanuel Macron ?

Dr Djillali Annane : Clairement, c’est la mesure que nous demandions pour les élèves, et ce, depuis fin janvier. On demandait à ce que tout le monde soit en vacances en même temps, d’anticiper sur le démarrage des vacances et, éventuellement, d’ajuster la durée des congés en fonction du contrôle de l’épidémie. Le président de la République a dit que tout reviendrait à la normale d’abord le 26 avril puis début mai, souhaitons-le. Mais si la circulation du virus est toujours aussi intense dans quinze jours, il faudra bien évidemment allonger la durée des vacances. Ce serait, je pense, une grave erreur que de ne pas le faire et de rouvrir les écoles. Tous les efforts qu’on aurait faits alors au mois d’avril se verraient malheureusement réduits à presque néant.

En France, nous avons les vacances d’été quasiment les plus longues du monde, rien ne nous empêche de décaler le début de cette pause estivale pour qu’il y ait le moins d’impact possible sur l’acquisition des connaissances et des compétences par les élèves.

 

 

Certains praticiens et chercheurs assurent toutefois que l’école joue un rôle mineur dans la transmission du virus…

On voit bien que sur les deux dernières semaines, le taux d’incidence a pratiquement doublé dans la tranche d’âge qui va jusqu’à 9 ans. Celle des 10 à 18 ans représente aujourd’hui l’une des tranches d’âge pour lequel le taux d’incidence est le plus élevé. Dans mon service, aujourd’hui, j’ai des parents hospitalisés qui ont été contaminés par leurs enfants. C’est une réalité. C’est commettre une erreur que de vouloir s’obstiner à dire : ‘Ces enfants-là n’ont pas été contaminés à l’école, ils l’ont été à la maison et ont ramené le virus à l’école’. Ça n’a pas de sens. C’est comme chercher à savoir qui de la poule ou de l’œuf est arrivé en premier : ce n’est pas le sujet. Vous avez des enfants qui sont contaminés et contaminants. Peu importe l’endroit où ils sont contaminés, lorsqu’ils sont à l’école, ils vont contaminer autour d’eux.

Quand les politiques assènent le fait que les écoles ne sont pas des lieux de contamination, c’est un contresens scientifique. Les données scientifiques existent et sont nombreuses. Il n’y a qu’à regarder autour de nous. L’Angleterre a pu mettre fin à la vague épidémique de façon drastique parce qu’elle a fini par fermer les écoles. Je rappelle qu’au début de l’épidémie, l’Angleterre avait mis en place un confinement avec les écoles ouvertes, et ça n’a pas suffi à arrêter la vague. Ensuite, leurs experts n’ont cessé de nous alerter sur le variant qui touche des sujets plus jeunes, nous disant que les jeunes sont contaminants dans les écoles, ce qui était beaucoup moins vrai il y a un an avec la forme originelle du Covid.

 

Pourquoi les précédents protocoles n’ont pas été efficaces sur le plan sanitaire ?

Nous avons dépisté beaucoup moins que ce qu’il aurait fallu, beaucoup moins que nos voisins européens. Pour des tas de raisons. D’abord parce qu’on a mis du temps à faire arriver les tests salivaires dans les écoles. Par ailleurs, on sait bien que le prélèvement dans la fosse nasale est un prélèvement désagréable pour les enfants et souvent moins bien toléré que chez les sujets adultes. Pour être efficace et assurer une surveillance parfaite, le dépistage devrait être quasi quotidien ou au moins un jour sur deux. Et cela, on voit bien que c’est difficilement atteignable.

 

 

Après la première vague, je me souviens que tout le monde disait qu’il allait falloir révolutionner la façon dont on vit, transformer les écoles, collèges et lycées, mettre fin aux classes avec 35 élèves, ne plus utiliser de salles vétustes dans lesquelles il n’y a pas de ventilation… Tout cela n’a pas eu lieu. De la même façon que dans les hôpitaux où on s’était promis d’arrêter de faire des économies, de modifier la gouvernance et les mécanismes de fonctionnement de ces établissements, de redonner du sens au métier de soignant. Il fallait aussi redonner du sens au métier d’enseignant. Nous n’avons rien fait de tout ça. On se retrouve donc un an après dans une situation où l’épidémie est en partie non-contrôlée parce que les mêmes conditions permettant la dissémination du virus qui ont prévalu il y a un an, prévalent aujourd’hui.

 

La santé mentale des jeunes ne risque-t-elle pas de se dégrader avec cette nouvelle fermeture des établissements ?

Dans mon interprétation de la situation, la dégradation de la santé mentale de tout à chacun et en particulier des jeunes est moins liée aux confinements ponctuels qu’on a vécus qu’à la pandémie et au virus lui-même, ainsi qu’aux restrictions des libertés permanentes que l’on a depuis un an. Ces restrictions sont dues à une stratégie qui consiste à vouloir vivre avec le virus, que le président de la République a d’ailleurs souhaité réaffirmer hier. Je pense que c’est de l’obstination déraisonnable. C’est bien le fait de vouloir vivre avec le virus qui nous cause tout cela. Pour ceux qui ont un travail, notre vie a été résumée à : maison, boulot, dodo ; pour ceux qui n’en ont pas : maison, maison, maison.

Si on reste dans cette stratégie, on va reconfiner, et une fois qu’on aura réduit la circulation du virus, on va le laisser se propager et remonter petit à petit à des niveaux inquiétants. D’ailleurs, ce n’est pas vrai d’imaginer que la vaccination va arrêter la propagation du virus. On le voit en Israël. Dès lors qu’ils ont essayé de lever quelques restrictions, l’épidémie est repartie, malgré la vaccination. Les Etats-Unis sont en train de vivre la même chose.

 


 

“L’idée que les enfants seraient des contaminateurs “en cachette” est de l’ordre du fantasme”

 

Le Dr Christèle Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie et cheffe des urgences pédiatriques au CHU de Nantes (Loire-Atlantique), alerte sur les conséquences de la fermeture d’écoles sur la santé mentale des jeunes, en particulier des adolescents.

 

Egora.fr : Dans un avis publié le 29 mars, vous appeliez à ne prendre la décision de fermer les écoles qu’en dernier recours. Comment avez-vous accueilli les annonces d’Emmanuel Macron ?

Dr Christèle Gras-Le Guen : Les mesures annoncées par le Président hier sont certainement en lien avec les préconisations que nous avions pu faire dans les régions où le virus circule beaucoup et où les établissements étaient tenus de fermer les classes les unes après les autres. Avec le taux d’admission en réanimation et la circulation virale qui augmentaient, on était dans une situation qui ne laissait pas apercevoir d’autres alternatives. C’est indiscutable. Par contre, dans des régions comme la mienne, le Grand Ouest, où le virus circule beaucoup moins, c’est plus discutable.

 

En tout cas, ce qui paraît intéressant, c’est qu’on ait pu trouver une solution où, finalement, les fermetures de classes ne vont porter que sur quelques jours avant les vacances. Cet “arrangement” devrait permettre à la fois de ne pas priver les enfants de jours d’école de manière trop importante, notamment pour les plus jeunes, et concilier l’urgence de la situation dans des zones où le virus devenait plus que menaçant.

 

Les enfants sont-ils véritablement moins contaminateurs que les adultes ?

On voit bien qu’il y a beaucoup d’inquiétudes sur le fait que les enfants puissent être des contaminateurs sournois entre guillemets, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas malades mais répandent pourtant le microbe. C’est même plus que de l’inquiétude, c’est du fantasme à ce stade. Les chiffres des tests salivaires, qui ont enfin commencé à être faits dans les écoles, montrent un taux de contamination de 0,5% sur plus de 200.000 tests déployés. L’idée que les enfants seraient des contaminateurs “en cachette”, et dont il faudrait se méfier comme la peste, est de l’ordre du fantasme. Bien sûr, personne ne discute le fait qu’il y ait des enfants qui soient infectés, et contagieux, mais ce nombre d’enfants infectés par rapport au nombre d’adultes est beaucoup plus faible. La fréquence de la maladie chez les enfants reste bien plus faible. Il faut qu’on arrive à sortir de cette angoisse terrible. Pour ça, le seul moyen, c’est de les tester une à deux fois par semaine s’il le faut. Le gros des contaminations se fait vraiment de l’adulte vers l’enfant. Ce ne sont pas eux les dangers.

 

 

Les résultats préliminaires de l’étude VIGIL, menée par des psychiatres, indiquent par ailleurs que l’essentiel des contaminations d’enfants ne se font pas au sein des établissements scolaires.

Cette étude portait sur une population d’enfants qui avaient des symptômes d’infection virale et qui étaient vus en consultation par des pédiatres. Parmi ces enfants, on a essayé d’identifier ceux qui étaient effectivement Covid+ et, ensuite, de savoir où ils avaient pu contracter la maladie. Ce que l’on a vu, c’est qu’un grand nombre d’entre eux avaient des cas contacts autour d’eux qui étaient beaucoup plus fréquemment présents au sein de la famille qu’à l’école. Les chiffres vont paraître assez rapidement. C’était un de nos arguments pour dire : ‘fermer les écoles, oui, pour calmer la fureur populaire, la vindicte de certains syndicats d’enseignants, pourquoi pas, mais on n’est pas sûrs que cela suffise pour freiner l’épidémie’.

 

D’autant que, selon vous, les enfants vont être confrontés à un risque accru de contamination dans leur foyer…

A l’école, les seuls adultes qu’ils fréquentent sont masqués et prennent des précautions draconiennes, donc le risque de contamination par les adultes dans les établissements scolaires est mineur. Avec les écoles fermées, les enfants vont se retrouver dans des milieux familiaux où ils risquent d’être contaminés parce que les adultes ne seront, eux, pas confinés. Les adultes qu’ils côtoient continuent pour certains à se rendre au travail. Le président l’a redit hier : la plupart des contaminations se font dans le milieu professionnel. A ce titre, il a incité fortement au télétravail, j’espère que ce sera suivi des faits.

Il y a aussi une inquiétude autour des adolescents qui lorsqu’ils fréquentaient leurs établissements scolaires avaient un cadre, le port du masque notamment, mais ne vont pas forcément respecter les mêmes protocoles s’ils se retrouvent entre eux. Je n’ai qu’un seul souhait, c’est que cela fonctionne. Je n’en suis pas persuadée à ce stade.

 

Craignez-vous une nouvelle vague liée à la santé mentale à l’issue de ces fermetures d’écoles ?

Ce qui était très spectaculaire, c’était le confinement d’il y a un an où les adolescents en souffrance qui fréquentaient nos urgences ont complètement disparu de nos radars pendant les deux mois d’isolement. On était étonnés mais agréablement surpris. Et puis il y a eu un revers de la médaille terrible. On s’est aperçus a posteri qu’ils avaient disparu de nos radars mais qu’ils n’allaient pas mieux et ils n’avaient pas eu de soins, ils n’avaient pas consulté. Certains d’entre eux avaient été confinés dans des conditions difficiles, voire insoutenables avec un regain de violences intrafamiliales, pour les familles les plus en difficulté, ou de tensions intrafamiliales qui ont fait que dès la rentrée scolaire, et particulièrement en octobre-novembre, on a commencé à avoir des signaux inquiétants. Ce contexte n’a fait qu’aller crescendo jusqu’à aujourd’hui. Faute de pouvoir les accueillir dans les services de pédopsy, ces jeunes en souffrance sont accueillis dans les services de pédiatrie, totalement transformés en grands hôpitaux pédopsychiatriques. Sur les 36 lits de l’unité dans laquelle je travaille, 25 sont occupés par des enfants pour des motifs pédopsy. C’est absolument énorme.

 

 

Cette fois-ci, on est sur nos gardes. On n’est pas la fleur au fusil comme il y a un an. On va donc attentivement surveiller les effets de cette nouvelle période de fermeture des écoles, même si ce n’est pas véritablement un confinement. C’est un moindre mal.

 

Si la situation ne montre pas de signes d’amélioration d’ici 3 à 4 semaines, que préconisez-vous ?

Les chiffres vont être importants à suivre. Il faut qu’ils soient les plus objectifs possibles pour éviter ce que l’on a vécu ces derniers temps avec des discussions qui sont de l’ordre de la conviction intime et qui ne sont pas du tout basées sur les données scientifiques. Il faut se baser sur les faits et pas sur des algorithmes mathématiques ou sur des prédictions qui ont le mérite d’exister mais qui ne tiennent pas compte des réalités de terrain. Dans quatre semaines, il faudra rediscuter mais on a beaucoup d’arguments pour montrer que la fermeture des écoles est anecdotique dans la gestion de la pandémie, comme l’exemple de l’Allemagne où les écoles sont fermées depuis des mois et où, pourtant, le virus flambe.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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