L’épidémie de Covid aura marqué la fin de leur externat, leurs ECNs et le début de leur internat. Néos-internes depuis le 2 novembre, la nouvelle promotion 2020-2021 des futurs praticiens a fait ses premiers pas au plus fort de la deuxième vague. Entre prise de responsabilité tant attendue et appréhension de devenir des “acteurs” du soin dans un contexte bouleversé. Témoignages.
“Avant de commencer, j’étais partagé entre l’excitation de pouvoir enfin être formé à ce métier parce qu’avant, c’est du bachotage et quelque part, de la révision un peu bête… Et en même temps, il y avait cette appréhension concernant les responsabilités qu’on imaginait devoir avoir, alors qu’on avait le sentiment de ne pas avoir les connaissances nécessaires. Sans compter le Covid”, lance tout de go Axel. L’internat, ce futur urgentiste enthousiaste, l’attendait avec impatience. Loin d’être refroidi par l’épidémie, le jeune homme a rejoint les urgences d’un hôpital parisien le 2 novembre dernier, gonflé à bloc.
Comme lui, la promotion de nouveaux internes 2020-2021 a fait ses premiers pas au plus fort de la deuxième vague. Le premier jour, lors de leur accueil, tous ont été prévenus par leurs chefs de service : le pire est à venir, le pic étant attendu pour mi-novembre. “Quand on est arrivés, les chefs nous ont expliqué qu’il y avait un plan d’action avec des grades, qu’il fallait rester flexibles, qu’il fallait se préparer à ce que nos collègues tombent malades, reprendre des gardes ou tomber malade nous-même”, raconte Agathe, interne en médecine générale, également en stage dans un service d’urgence francilien. A ce moment, en effet, les données de Santé Publique France n’augurent rien de bon : les admissions quotidiennes en service réanimation dépassent les 400 patients par jour, le nombre de lits déployés augmente pour faire face à l’afflux, les malades hospitalisés sont plus de 25.000 et plus de 46.000 nouveaux cas positifs quotidiens sont recensés par l’agence sanitaire.
Services en tension, perspectives incertaines et stress du début d’internat… difficile pour tous les internes de prendre leurs marques sereinement. Mais, à les entendre, ils s’y étaient préparés. Malgré l’accumulation de ces délicates problématiques, le virus n’a été ni facteur de surcharge, ni un “problème”. A commencer par Roméo*, interne en anesthésie-réanimation. “Avec ma spé, je savais que ce serait comme ça”, reconnaît le jeune homme, pour qui le plus fatiguant a finalement été le protocole sanitaire “chronophage”. Pour le reste, il a été “très bien accueilli”. “On a pu avoir une période d’observation, nécessaire”, précise-t-il.
Car finalement, après une rapide augmentation des cas de Covid, le confinement notamment, a permis d’éviter le pic de malades redouté pour le 20 novembre. Ses effets se sont aussi fait ressentir aux urgences, où travaille Agathe. “Avec le confinement, le flux aux urgences a réduit. C’est confortable quand on commence et qu’on est pas très rapides, de ne pas être submergés par les patients qui attendent de voir le médecin. Finalement, mon début d’internat dans un stage que je redoutais s’est bien passé”, se réjouit la future généraliste.
Reste donc les inquiétudes “classiques” de néos-internes qui font leurs premiers pas à l’hôpital. Et sur ce point, tous sont unanimes : le plus difficile, c’est la bascule entre l’externat et l’internat, et avec, le sentiment de ne rien savoir. “En passant interne, on se rend compte que tout ce qu’on a appris est remis en question”, lâche Chloé, interne en médecine générale dans le Grand Est, en stage en cabinet. “Pendant l’externat, j’ai essayé d’apprendre le mieux possible et le plus de connaissances. Et là, notre stage détruit les bases qu’on a. Déjà que, quand on débute en tant qu’internes, on se sent nul parce que tout ce qui est pratique dans notre exercice on ne sait pas le faire… J’ai le sentiment de ne pas avoir plus de connaissances qu’un étudiant qui vient de réussir sa première année”, ajoute la jeune femme un peu désabusée qui se décrit un brin “perfectionniste”.
“Les premiers jours, c’était compliqué parce que j’avais l’impression d’avoir oublié ce que j’avais appris lors de mes études et de ne pas réussir à mettre en pratique les connaissances théoriques que j’avais face aux patients”, renchérit Agathe. “Le niveau de connaissance bascule brutalement et c’est vrai que j’étais un peu perdu au début. Je me suis senti observateur comme en deuxième année en stage”, explique de son côté Roméo. “Ça a vite changé mais au début je regardais comment ça se passait”, se souvient-il.
La prescription, premier cheval de bataille
“Avec ou sans Covid, c’est nouveau pour nous d’être des acteurs principaux de la prise en charge et plus ‘passifs’ comme les externes. Au début, ça fait pas mal flipper”, poursuit l’anesthésiste-réanimateur. Même s’ils sont supervisés, la responsabilité de la prescription est l’élément qui a le plus inquiété et dérouté les futurs praticiens. Axel ne le cache pas : la première prescription en autonomie a été “super stressante”. “ Au début, je ne prenais pas de risques, dès que j’avais une prescription à faire, j’allais voir le senior et je lui expliquais ce que je comptais faire. Maintenant ça va, mais je vais quand même vite lui demander de vérifier. Je commence à prendre confiance dans les situations que j’ai déjà vues plusieurs fois. Sur les choses spécifiques, moins”, détaille le carabin. “Il ne faut pas se tromper dans les doses, dans les médicaments. Quand on fait quelque chose, on sait que ça a un impact immédiat sur le patient”, ajoute Roméo, qui précise aussi que le fait d’être confronté quasiment uniquement à des patients Covid dans son cas rend quelque part les choses “plus faciles”. “La prise en charge est codifiée dans notre cas”, ajoute le futur anesthésiste-réanimateur.
Pour Chloé, c’est une gymnastique un peu différente qui l’a chamboulée : la DCI des médicaments, par laquelle elle jurait jusque-là… Qu’il faut transposer avec le nom des médicaments utilisés par les patients. “Par exemple, le Doliprane on sait que c’est du paracétamol. Certains médicaments dont mes patients me parlaient, je ne connaissais pas le nom du générique, mais la DCI, oui. Sauf que dans la vraie vie, personne ne parle en DCI”, illustre la jeune femme. “En fait, il faut trouver sa place dans de nouvelles responsabilités tout en acceptant qu’on ne sache pas tout et que les connaissances théoriques qu’on a, c’est difficile de les mettre en pratique concrètement. On apprend le nom du médicament à donner pour une maladie mais quand il faut le prescrire à la bonne dose, de la bonne façon et que l’infirmière ait tout ce qu’il faut pour ensuite l’administrer aux patients, c’est plus compliqué. Souvent les infirmiers me posent des questions dont ils savent plus la réponse que moi”, explique Agathe.
A cela, s’ajoute la prise en main des logiciels, parfois un peu compliquée. “Au début, je posais énormément de questions”, poursuit la future généraliste en riant. “On appréhende le logiciel de prescription, on n’est pas habitués donc tout peut être très compliqué. On veut donner un truc en intraveineux, le logiciel le propose en comprimé… En fait, on sollicite beaucoup pour des questions très pratiques mais qu’au final on n’apprend pas ailleurs”, résume-t-elle.
Prise de confiance
Plus d’un mois plus tard, cela va mieux pour les nouveaux internes. Axel, lui, estime être entré dans ce qu’il considère être une “troisième phase”. “J’ai le sentiment que je commence vraiment à apprendre l’internat, ce que c’est que la fonction d’interne. Au début, il y a la période de découverte qui est angoissante, et puis on prend ses marques, on est plutôt à l’aise. Et on nous demande vraiment de prendre nos responsabilités dans les prescriptions à la fois d’examens complémentaires ou de traitements. Il faut être plus sûr de soi, même si on est toujours encadrés, aidés par les médecins seniors”, explique-t-il. Même constat pour Roméo, qui estime avoir mis une bonne semaine pour “basculer” et vraiment “assimiler” les premières informations.
“Aujourd’hui, je suis moins paniquée quand j’arrive le matin aux urgences et j’ose faire plus de choses par moi-même”, plaisante la future généraliste Agathe. “C’est vrai que j’ai tendance à vouloir l’aval des seniors pour mal de choses et peut-être encore du mal à affirmer complètement mes décisions. Mais, je vois que je progresse, que j’arrive à mieux communiquer avec les paramédicaux, leur dire ce que je souhaite. Évidemment, ça prend plus qu’un mois pour s’adapter à son nouveau rôle d’interne mais je vois une progression. Qui est à son rythme, mais qui est là”, ajoute-t-elle en riant.
Il reste, bien sûr, beaucoup de points de rodage, l’internat est fait pour cela, rappelle Chloé. Pour la jeune femme, le défi de ces prochaines semaines est de trouver un équilibre entre ce qu’elle a appris jusque-là, et l’expérience de la pratique, qui se base souvent plus sur les articles scientifiques. “Un de mes maîtres de stage, généraliste, m’a par exemple posé des questions sur le traitement du diabète ou de l’intérêt de la vitamine D”, explique-t-elle. “Je lui explique ce que j’ai appris, compris. Et en me corrigeant, il m’explique que ce n’est pas ça… Pour reprendre l’exemple de vitamine D, il me dit que ça ne sert à rien d’en prescrire, que les bénéfices sont uniquement pour les femmes en institution qui ne sortent jamais. Nous, on nous a dit que c’est bien de mettre une ampoule en hiver, une ampoule en avril. Il remet tout en question. D’un côté c’est bien car il se base sur les articles scientifiques pertinents. Mais dans le cas des antidiabétiques, il me dit que sur le long terme on ne sait pas si ça a un effet sur la mortalité… Si c ‘est vrai, pourquoi on le fait ?”, s’inquiète-t-elle.
Cette progression devra de plus se faire dans un contexte chamboulé par le Covid, toujours lui, puisque les cours des internes en présentiel ont pour l’instant été suspendus, décalés ou remaniés. Dans le cas de Roméo, la moitié des cours ont été supprimés, principalement ceux de stimulation. Un léger handicap pour le jeune homme qui considère que “tout est mieux pour apprendre”, mais qui rappelle que les cours théoriques ont heureusement été sauvés. Pour lui, la difficulté tient aussi du fait que son exercice, en temps de Covid, est “très répétitif” avec les mêmes patients toute la journée. Outre les gardes, pour tromper l’ennui, il échange ses chambres avec ses co-internes. Agathe, elle, s’inquiète un peu de ne finalement être formée qu’au Covid, ou presque : “Avec le confinement, on voit moins de patients aux urgences hors Covid, de gens avec des pathologies différentes. Si ça dure, on se demande si on ne va pas sécher un peu sur le reste. Il y aura toujours d’autres maladies, d’autres problématiques, mais c’est quelque chose à laquelle on pense”, relativise-t-elle.
Pouloulou, compliqué le début d’internat
Entre pas de cours initiaux (fac ou stage) car covid, pas de simulations car covid, et entre les petites critiques (constructives of course) et les erreurs presque fatales pour le patient, j’suis vraiment pas à l’aise…— Propo-lol (@DonGuych) November 17, 2020
J’ai eu la même problématique il n’y a pas longtemps avec un INR en-dessous de la cible, j’avais pas percuté non plus.
Le début de l’internat vachement chaotique, ou l’été post-ECN qui a grave brainwashé— Lemillion de Paco Rabanne (@DGZ_One) December 2, 2020
Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort
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