Développée suite à la découverte des rayons X en 1895, la radiologie va faire ses preuves en tant que discipline durant la Grande guerre. Portée par des pionniers tels Marie Curie, qui n’hésite pas à monter au front pour en faire la démonstration, la radiologie se révèlera une aide précieuse pour les médecins, confrontés à de nouveaux types de blessures.

 

Article publié initialement le 21/10/2017.

 

“Après la Guerre, il n’y avait plus un hôpital, une clinique ou un sanatorium qui n’avaient pas au moins une installation de radiologie, expose le Dr René Van Tiggelen, médecin-colonel radiologue et conservateur du Musée belge de radiologie. La guerre a boosté la discipline.”

A la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914, la radiologie n’a pas vingt ans. La première radio réalisée grâce aux rayons X par le physicien allemand William Röntgen le 8 novembre 1895 -la main de sa femme- a été rapidement diffusée dans le monde entier. “Pour la première fois, une connaissance scientifique s’est répandue par les journaux et les télégraphes. En deux mois de temps, la planète était au courant. Et comme tous les physiciens travaillaient sur les tubes cathodiques, ils ont immédiatement reproduit l’expérience dans leur institut”, raconte le Dr Van Tiggelen.

 

“Tu déshonores le corps des hôpitaux en devenant un photographe”


Crédit : BIU santé

Les applications médicales sont évidentes : fractures, corps étrangers, mais aussi tuberculose. La radiologie entre à l’hôpital, portée par des pionniers tels Antoine Béclère, qui crée le premier laboratoire de radiologie à l’hôpital Tenon (Paris) en 1897. Ce qui lui vaudra cette remarque acerbe de la part d’un collègue : “Tu déshonores le corps des hôpitaux en devenant un photographe”. “Beaucoup d’hôpitaux n’avaient même pas encore l’électricité. Vous imaginez la difficulté de tous ces pionniers pour faire les examens ?”, relève le Dr Van Tiggelen.

Bien avant la guerre, lors des grandes manœuvres estivales, les deux premières voitures radiologiques sont présentées à l’Etat major français. Les Allemands sont présents et en prennent bonne note, tandis que les Français “décident de ne pas décider”, note le médecin-colonel. Résultat : au début du conflit, alors que l’ennemi est équipé de voitures hippomobiles et d’une vingtaine de voitures automobiles de radiologie, l’armée française n’en possède pas une seule. “A l’Etat major, on achetait d’abord des canons et des munitions, puis on pensait au service médical. Ça n’a d’ailleurs pas beaucoup changé…”

 

Marie Curie entre en scène

Les premiers affrontements sont meurtriers. Les nouvelles armes produisent de nouveaux types de blessures. Quelque 10 500 médecins sont mobilisés, mais parmi eux… peu de radiologues et de chirurgiens. Surtout, la chaine sanitaire est inadaptée : après avoir reçu des soins rudimentaires, les blessés sont évacués vers les hôpitaux de l’arrière, au terme d’un périple de plusieurs jours propice au développement des infections. “Il n’y avait pas d’antibiotiques, rappelle le Dr Van Tiggelen. Un éclat de shrapnel s’infectait toujours, ce qui aboutissait à une lymphangite, une gangrène, voire la mort.”

C’est là que Marie Curie entre en scène. Forte de ses deux Prix Nobel, la physicienne lève des fonds et équipe une cinquantaine de voitures radiologiques. Avec sa fille de 17 ans, Marie Curie monte au front pour démontrer comment les appareils à rayons X permettent de repérer les fractures, localiser les éclats d’obus et guider les gestes des chirurgiens.

Début 1915, la chaine sanitaire est réorganisée, notamment grâce au radiothérapeute Claudius Régaud. Les chirurgiens expérimentés sont dépêchés au front, des radiologues et manipulateurs radio sont formés. Quelque 200 voitures radiologiques sont envoyées en renfort durant les offensives, aux côtés de voitures de pharmacie et de chirurgie.

 

 


Crédit : Musée du Val de Grâce

 

Les médecins, victimes collatérales de la radioscopie

Mais la radioscopie, qui demande un long temps d’exposition, fait aussi des victimes : les manipulateurs radio et médecins. Nombre d’entre eux présentent des dermites et sont amputés d’un doigt, d’une main, voire d’un bras suite à la guerre. “On savait que les rayons X étaient dangereux mais il faut le voir pour le croire… Ce n’est qu’avec la guerre qu’on commence à étudier la radioprotection”, relève le Dr Van Tiggelen.

“Grâce ou à cause de la Guerre” encore, la radiologie se perfectionne. Les troupes américaines importent les tubes de Coolidge, qui font de meilleurs clichés que les tubes de Crookes, ainsi que les films en nitrate de cellulose, qui permettent de réaliser des grands formats radiographiques. “Avant ça, vous imaginez le nombre de plaques de verre qui ont été cassées pendant le transport ?”, relève le médecin colonel. Les 18 000 clichés réalisés pendant la Première Guerre mondiale seront d’ailleurs développés gratuitement par les frères Lumière.

Quant au Dr André Bocage, il invente une nouvelle technique en 1917 afin de déterminer la profondeur des corps étrangers. Lassé des fastidieux calculs de trigonométrie réalisés avec le compas de Hirz, le dermatologue développe la tomographie conventionnelle, brevetée en 1921. De son côté, le physicien Paul Langevin parvient à localiser un bateau coulé dans la Seine grâce aux ultrasons, posant les bases de l’échographie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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