« L’interview qui tue » n°5
 Lionel Barrand
Président du Syndicat National des Jeunes Biologistes Médicaux (SNJBM).

1. Lionel Barrand, tu es président du SNJBM, tu as fait tes études et exerces à Strasbourg. Déjà une question qui brûle les lèvres de tout généraliste : est-ce difficile quand on choisit la Biologie comme spécialité de faire le deuil de ne plus examiner de patient et de ne plus véritablement avoir de colloque singulier ?
Quel rapport a-t-on vraiment avec les patients aujourd’hui en tant que biologiste ?

Non ce n’était pas difficile car on garde un contact proche lors des prélèvements ou du conseil sur les résultats biologiques. En revanche, ce qui était difficile c’est de devoir expliquer à l’entourage qu’un biologiste médical ce n’est pas celui qui étudie les baleines !

2. Parle-nous de l’expérimentation que tu montes avec la CSMF sur la prévention des maladies cardio-vasculaires.

C’est une expérimentation ambitieuse – et pour l’instant unique – pour améliorer le dépistage primaire des maladies cardio-vasculaires à travers le calcul systématique du SCORE de risque cardio-vasculaire.
Après réalisation des examens biologiques et calcul de ce risque, le patient est conseillé et orienté par le biologiste médical après concertation avec les cardiologues et médecins généralistes. Il ne faut plus qu’il y ait de patients à risque qui s’ignorent et que tous soient suivis par le médecin généraliste et le cardiologue si nécessaire. L’objectif ?
Que la France devienne le pays européen avec le moins d’événements cardiovasculaires par personne.

3. Pendant la crise Covid19, les biologistes sont devenus les VIP des groupes whatsapp de médecins, sollicités pour expliquer comment fonctionnent les PCR ou pourquoi les sérologies sont fiables ou non ?
Comment as-tu vécu cet attrait soudain de tes collègues pour la physiologie et l’immunologie ?
Fredonnais-tu chaque matin les paroles de la chanson de Serge Gainsbourg, « Elisa » ?

Exactement ! D’un côté, nous étions très heureux d’être au cœur du système de santé et surtout de consolider les liens avec nos confrères. Cette période a vu naître ces groupes whatsapp ou toutes les spécialités se serraient les coudes, échangeaient sur leurs pratiques et on se débrouillaient avec des bouts de ficelles pour gérer la crise.
D’un autre côté, on avait juste envie que ça s’arrête car nos équipes étaient exténuées (et nous aussi) avec les coups de fils, l’augmentation des horaires pour répondre à la demande, l’organisation avec des instructions qui changeaient tous les jours, le problème du manque de réactif, le stress des patients etc…
Mais à posteriori oui nous sommes heureux d’avoir pu contribuer !

4. Pour toi, quelle est la place du biologiste dans son lien avec l’équipe de soins primaires ?
Comment doit-il s’intégrer dans la CPTS, et par quelles actions ?
Cela va-t-il être plus naturel après la Covid19 ?

Il doit être au cœur du dispositif puisque les résultats biologiques participent à plus de 70% des diagnostics et c’est bien de pouvoir réaliser la prise en charge du patient en ambulatoire et le plus rapidement possible. Il peut également participer sur des outils de communication et coordination avec partage des résultats bio dans le DMP, les soins non programmés, le calcul de score de risque dans des pathologies comme la maladie rénale et les maladies cardio-vasculaire avec orientation du patient selon le risque et en accord avec les professionnels du secteur.
Il pourra également travailler sur l’évolution de l’antibiorésistance, réaliser des formations médicales sur les nouveaux examens disponibles (dépistage HPV avec nouvelles techniques moléculaires par exemple), ou la pertinence des prescriptions biologiques.
Oui ce sera nettement plus naturel, le biologiste médical a été invité dans tous les groupes whatsapp et réseaux de toubibs donc j’espère que ce n’est plus celui qui a les yeux rivés sur le microscope (ou qui va au golf l’après-midi…) mais bien un spécialiste du diagnostic biologique !

5. Donner les TROD à faire aux pharmaciens ne vient-il pas totalement brouiller ce message de travail en équipe par l’absence de protocole et l’impression qu’on déshabille Paul pour habiller Jacques ?
En quoi est-ce dangereux ? Comment éviter de passer pour des adeptes du « schéma ancien du médecin omniscient et omnipotent » pour reprendre les propos du Pr Guy Vallencien ?
En tant que membre de Jeunes Médecins, expliques-nous en quoi ces évolutions sont tout sauf modernes ?

C’est du grand n’importe quoi, les autorités et le Ministre ne savent plus quoi inventer pour se faire bien voir ! Tout cela est démagogique et fait pour créer de la zizanie entre les corps de métier. Certains lobbys (industriels et syndicats) poussent dans ce sens dans un objectif purement mercantile et bien loin de la santé publique.
La biologie est une spécialité médicale, et la sérologie – surtout celle-ci – est particulièrement complexe d’interprétation, si le patient ne comprend pas bien l’examen, il risque de lever à tort les mesures barrières.
On ne comprend pas comment les pharmaciens d’officine seraient devenus du jour au lendemain experts en diagnostic biologique Covid…
A chacun son expertise, je n’interprète pas les scanners cérébraux de mes confrères radiologues et n’opère pas les appendicites pour être plus “moderne”. Par ailleurs, les résultats ne seraient pas connectés à la plateforme SIDEP pour l’épidémiologie, la HAS recommande de contrôler le test en laboratoire qu’il soit positif ou négatif, et il n’y a pas de problème d’accès à un prélèvement sanguin au laboratoire.
C’est donc incompréhensible et inadmissible. Les biologistes hospitaliers, libéraux et les internes sont d’ailleurs montés au créneau : si l’arrêté paraît, on demandera à vendre des médicaments dans les laboratoires et on arrête le cirque de l’accréditation.

6. La biologie est particulièrement touchée par la lourdeur administrative – accréditation par le Cofrac- l’augmentation des coûts et les besoins de regroupement.
Quel est selon toi la piste à suivre pour éviter de tous finir rachetés par les fonds d’investissement et en être les salariés – on ne dira pas esclaves pour rester corrects ? Haha, la question est orientée mais j’aime bien !

Premièrement, il faut assouplir voire supprimer l’accréditation pour rester sur des normes de bonnes pratiques professionnelles et non sur des normes industrielles dont la finalité est le regroupement financier, la démédicalisation et la déshumanisation de notre métier.
Mieux vaut mettre du temps à faire des interprétations biologiques que d’attester la lecture de documents qui ne nous servent à rien au quotidien. Deuxièmement, il faut revoir les règles de gouvernance dans les laboratoires – surtout dans les grands groupements financiers – et respecter la loi qui précise que ce sont les biologistes médicaux qui co-dirigent.
En pratique, il y a des holdings et autres montages infâmes permettant aux actionnaires non-biologistes de prendre le pouvoir dans l’intérêt parfois inverse des patients (sans parler du bien-être des biologistes…).
Nous sommes d’ailleurs en procès sur ce sujet et on aimerait bien que l’Etat et les Ordres nous aident à retrouver notre indépendance professionnelle car en pratique un biologiste peut se faire virer du jour au lendemain lorsqu’il vote dans le sens inverse à celui donné par des actionnaires non-biologistes !

7. Finalement, la problématique de l’indépendance du biologiste face au financier est bien plus large. Aujourd’hui vous, demain les radiologues, après les cliniciens ?
Comment d’après toi s’organiser pour garder notre indépendance ?

Il faut se serrer les coudes, dans toutes les spécialités, et reprendre du poids dans toutes les instances de gouvernance en ville comme à l’hôpital. Il ne faut pas que les assurances privées et mutuelles dirigent les cliniques ou puissent mettre la pression sur le médecin salarié ou associé.
Il faut que la loi reste intransigeante et surtout qu’elle soit appliquée partout.
Le médecin a une indépendance professionnelle inaliénable et il ne peut y avoir remboursement différencié du patient selon qu’il aille chez un médecin membre d’un réseau de soins ou d’un autre. Ensuite, il faut détricoter tous les montages opaques et avoir une transparence sur les pactes d’associés dans lesquels se cachent parfois des clauses anti-déontologiques.
Les Ordres et ARS doivent réagir mais en biologie de nombreuses ARS craignent les grands groupes de laboratoires, et certains de ces groupes ont même menacé à titre individuel et en contentieux des salariés de certaines ARS.
Ces pratiques d’un autre temps doivent s’achever et nous devons reprendre la main.
Nous pouvons également nous organiser en indépendant pour monter des réseaux – sans forcément partager l’actionnariat – pour être plus forts et décider entre nous.
Ce qui se passe en biologie médicale ne doit pas se produire dans les autres spécialités, soyons vigilants !

Propos recueillis par le Dr Mickaël RIAHI