Si les traités de médecine et de chirurgie du XVIIIe siècle recèlent les racines de la “clinique française”, il n’est pas toujours simple ou aisé de les consulter. Ensemble, remontons le temps, à l’aide de ces extraits d’ouvrages anciens, à la fois instructifs, révélateurs, et parfois distrayants. Une rubrique à découvrir sur Egora tous les mois.

 

Cet article est rédigé par le Pr Jean-Claude Nouët, ancien PU-PH et vice-doyen de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP).

 

L’extrait : La saignée

Un traitement universel aux indications multiples !

 

“Toute saignée produit quatre effets. […]

1°-La saignée évacuatrice est celle où l’on se propose de désemplir les vaisseaux en diminuant le volume de sang de la quantité qu’il en sort par l’ouverture du vaisseau. Elle détend toutes les parties, rend aux solides leur ressort & leur élasticité, et fait que les liqueurs sont plus broyées, plus brisées et plus divisées par la contraction des artères ; que le sang circule plus aisément jusque dans les plus petits vaisseaux […]. Le sang se dépure par ce moyen, les embarras se lèvent & les remèdes agissent plus efficacement.

2°-La saignée révulsive est celle où l’on se propose de détourner de certaine partie le sang qui s’y porte en trop grande abondance. Pour produire cet effet, il faut piquer la veine qui répond à l’artère la plus éloignée du lieu malade. On détermine vers les parties les plus éloignées de la partie malade une plus grande quantité de celui qui coule dans la partie malade, qui reçoit le sang des vaisseaux opposés à celui que l’on saigne.

3°-La saignée dérivative est celle où l’on se propose de déterminer vers une partie une plus grande quantité de sang que celle qui y passe. Pour produire cet effet, il faut ouvrir la veine dans l’endroit même où l’on veut augmenter l’abondance de sang. Car l’ouverture de la veine fait que le sang trouve moins de résistance dans cet endroit que dans les autres parties ; c’est pourquoi il s’y porte en plus grande quantité.

4°-La saignée spolliative est celle où l’on se propose de diminuer la quantité proportionnelle de la partie rouge du sang. Les saignées fréquentes produisent cet effet, parce que la partie blanche se répare beaucoup plus promptement que la partie rouge. Elles se produisent plutôt dans les gros vaisseaux que dans les petits, parce que les gros vaisseaux contiennent à proportion plus de parties rouges que les autres.”

 

Extrait tiré de Principes de Chirurgie, Georges de La Faye, professeur et démonstrateur royal en chirurgie, ancien directeur de l’Académie royale de chirurgie, M.DCC.LXXIII (1773), p. 494 à 496.

Note historique : L’exemplaire des Principes de Chirurgie porte cet ex-libris intéressant : “Ce livre appartient à M. Cordeil, grenadier à pied de la garde impériale 1ère comp. 1ère bat. Celui qui le trouveras auras la bontée de me le rendre s’il veut être un bon garçon. Paris le 3 8bre 1810 Cordeil, Entré au Corps le 11 9bre 1806.”

 

 

Décryptage

En France, à la fin du XVIIIe siècle s’imposait encore la conviction que les maladies ont pour cause les défauts de la composition et de la distribution du sang. Les autorités médicales professaient que le sang est composé d’une partie “blanche”, issue du chyle intestinal, et d’une partie “rouge”, mêlée dans les vaisseaux mais séparée dans le sang extravasé. Dans la blanche avaient été vus de petits corps arrondis incolores, dits “globules”, qui virent au rouge lorsqu’ils “se groupent par six”, et s’accumulent dans la partie rouge. Le sang était réputé être produit en quantité variable et en qualité plus ou moins bonne par l’arrivée du chyle, être déversé dans les vaisseaux, et propulsé par le cœur jusque dans les moindres vaisseaux, où les globules n’entraient pas. Seule la partie blanche était destinée à se répandre dans les organes par les vaisseaux les plus fins, la partie rouge, plus ou moins épaisse, restant dans les vaisseaux plus gros.

La maladie supposée être à combattre par la saignée faisait éliminer un sang de mauvaise qualité ou favoriser l’afflux d’un sang nouveau, déterminer quelle veine à ouvrir (pli du coude, cheville, cou), choisir quel côté, droit ou gauche, du corps pratiquer la saignée, estimer quelle quantité de sang faire couler. Ces erreurs fondamentales s’appuyaient sur des arguments et des raisonnements eux-mêmes faussés.

 

 

L’extrait choisi en est un exemple : les étudiants devaient avoir quelques difficultés à comprendre les subtilités de tels galimatias… Le corps des professeurs de médecine finira par accepter la démonstration de la circulation sanguine de William Harvey, pour une part grâce à l’intervention du roi Louis XIV, lui-même victime d’innombrables saignées, qui, en 1672, chargea son chirurgien, Pierre Dionis d’enseigner la théorie circulationniste au Jardin royal des plantes médicinales (actuel Jardin des plantes). La saignée traditionnelle ne disparaîtra totalement qu’au milieu du XIXe siècle.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Pr Jean-Claude Nouët

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