Indispensables dans la crise liée au coronavirus, les professionnels de soins palliatifs sont mobilisés en appui des équipes dans les services Covid. Ils tentent de guider les soignants face aux problématiques de fin de vie et d’éthique qui se posent inévitablement. Le Dr Olivier Mermet, président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) et le Dr Ségolène Perruchio, chef de service de soins palliatifs à l’hôpital Rives de Seine (Île-de-France), analysent, pour Egora, ce difficile rôle à la lumière de plusieurs crises qui s’entrecroisent.

 

16 avril 2020 : Le nombre de cas Covid-19 à l’hôpital commence tout juste à baisser, alors que l’annonce du déconfinement a été faite trois jours plus tôt par Emmanuel Macron. Malgré cette note positive, les professionnels de santé ont été confrontés, depuis le début de l’épidémie, à des décès en nombre. A ce jour, près de 18.000 personnes en France ont succombé au coronavirus.

“Tri des patients”, “espérance de vie”, “services saturés”, “pas assez de place”… Dans les médias, les questions d’éthique ont tourné en boucle ces dernières semaines. Comment, qui soigner alors que certaines régions ont été débordées par l’afflux de cas graves.

Dans ce contexte, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) s’est très vite mobilisée pour venir en aide aux professionnels de santé. “Cette épidémie fait se confronter à la mort beaucoup de services qui n’ont pas l’habitude. Je ne parle pas de la réanimation, je parle des services plus classiques. Ils sont moins habitués à la prise en charge de la fin de vie et à parler de la mort. Pour certains, cela peut être violent”, témoigne le Dr Ségolène Perruchio, chef de service de soins palliatifs à l’hôpital Rives de Seine (Île-de-France) et responsable du collège des médecins de la Sfap.

 

 

La Sfap a donc tenté d’apporter des repères éthiques et méthodologiques pour proposer un cadre face à cette situation exceptionnelle. “Cela va être des conseils pratiques, techniques sur la prise en charge médicamenteuse, par exemple. Nous avons édité des fiches. Mais surtout, cela passe par un accompagnement des équipes de soignants concernant l’aide à la prise de décision, à la réflexion éthique et sur la collégialité. C’est important que les décisions soient prises de façon collégiale. Surtout quand on parle de limitation ou d’arrêt de traitement. Il faut une réflexion pluriprofessionnelle avec l’avis de chacun dans l’objectif premier de soulager les personnes”, explique le Dr Olivier Mermet, médecin généraliste dans l’Allier et président de la Sfap, qui insiste également sur la nécessité de ne pas “étiqueter” des patients “trop vite”.

Depuis un mois à l’hôpital Rives-de-Seine, où exerce le Dr Perruchio, une antenne palliative a été déplacée pour. être installée au milieu du service Covid. “On est avec les soignants, les équipes : cela fait avancer les choses. Si on pouvait faire ça en permanence, il y aurait un vrai changement de regard sur les soins palliatifs, l’accompagnement, la maladie”, raconte-t-elle.

Mission première des soins palliatifs : guider, donc, la prise en charge. “L’une des particularités des patients Covid, c’est qu’il y a beaucoup de formes avec des détresses respiratoires, donc beaucoup de besoin en réanimation. L’idée, pour nous, c’est de rendre les patients plus confortables sur le plan respiratoire. Sur le plan médicamenteux, on a les morphiniques qui apaisent un peu la sensation d’oppression thoracique. On peut utiliser en association avec les morphiniques des benzodiazépines, plus anxiolytiques, car quand on est essoufflé, on est angoissé, quand on est angoissé, on est essoufflé. Il y a une forme de cercle vicieux”, développe le Dr Perruchio.

Dans le cadre des patients qui évoluent plus mal et font des détresses respiratoires, les professionnels peuvent être amenés à endormir leurs patients “pour qu’ils ne se rendent pas compte de ce qui est en train d’arriver et qu’ils n’aient pas d’effroi généré par la situation. Il faut les apaiser jusqu’à les endormir si on n’a pas réussi à les apaiser avant”, résume-t-elle.

 

Pas de bénéfices à envoyer certains patients en réanimation

Face à l’afflux de patients, les besoins de place en réanimation ont explosé. “Il y a donc plus de patients pour lesquels on se dit qu’il n’y aurait pas de bénéfices à les y envoyer. Ils ne survivraient pas, précise le médecin. Les réanimateurs disent que des patients, même à 50 ans, pourront mettre des mois à s’en remettre. Donc quelqu’un de 90 ans aura extrêmement du mal à s’en remettre ou ne s’en remettra jamais…”

 

 

Mais, agacée par le terme “tri”, le Dr Perruchio tempère le débat. “Oui, il y a un tri. Le mot est très laid, qu’on soit bien d’accord. Mais ce tri ne se fait pas que pendant cette épidémie. C’est la réalité de tous les jours : il y a en permanence des patients qui ne vont pas en réa parce qu’on pense qu’ils n’y survivraient pas et ne pourraient pas en sortir. Ce sont des situations qui existent de tout temps. C’est la loi de la médecine.

Rebondissant sur le sujet, le Dr Olivier Mermet est également préoccupé par la situation dans les Ehpad. “Il faut insister sur le fait que les patients qui sont actuellement dans ces établissements doivent pouvoir bénéficier d’une évaluation individuelle de leur état et pas standardisée. Ce n’est pas parce qu’on est en Ephad qu’on ne justifie pas, parfois, d’une hospitalisation. Il y a des personnes qui peuvent être hospitalisées pour certains traitements, de l’oxygène par exemple, à des doses qui ne peuvent pas être administrées en Ehpad.”

Pour ces patients les plus gravement atteints, le Dr Mermet préconise un traitement adéquat, “nécessitant parfois le recours à des produits type Rivotril”. “ Il s’adresse notamment à quelqu’un dont on sait que le pronostic va être défavorable très rapidement pour lui éviter de ressentir un moment terrible. C’est un produit qui va soulager le patient et c’est un produit parmi d’autres”. Le président de la Sfap appelle aussi à ne pas hésiter à solliciter les équipes de soins palliatifs avant de mettre en place de tels traitements.

 

Prendre le temps de discuter collégialement 

Une autre difficulté et nécessité aux yeux de ces professionnels des soins palliatifs :  prendre le temps d’avoir des discussions collégiales. “La seule manière qu’il soit juste, humain et éthique de prendre une telle décision, c’est d’avoir du temps pour réfléchir, se poser et que ce ne soit pas arbitraire, affirme le Dr Perruchio. C’est avant tout pour le patient, pour qu’il ait la moins mauvaise décision possible. Et aussi pour les soignants, car c’est un rôle majeur des soins palliatifs de les soutenir”. “On lutte pour ça : il faut que la décision se prenne de façon collégiale avec l’équipe qui prend en charge habituellement ce patient”, renchérit le Dr Mermet.

Mais voilà, cette crise Covid s’ajoute à la crise des hôpitaux, pour laquelle des milliers de soignants partout en France ont manifesté pendant plus d’un an, demandant notamment plus de moyens et plus de lits. “Même dans les équipes qui ont théoriquement plus de moyens, les postes ne sont pas toujours pourvus. On a tous déployé des astreintes 24h/24, des permanences le week-end mais avec pas grand monde pour avoir le maximum de présence”, glisse Ségolène Perruchio.

 

 

En ville comme à l’hôpital, les professionnels et les structures de soins palliatifs manquent pour encadrer au mieux la fin de vie. “Les services se réorganisent malgré tout. Il y a un volontarisme de tous les soignants pour trouver des solutions pour accompagner au mieux leurs patients et maintenir les liens avec leurs proches”, tient à souligner le Dr Mermet. “Dans les Ehpad, il y a des expériences avec des présences médicales plus importantes en intégrant, dans certaines régions, des médecins libéraux, des IDE, la Réserve sanitaire. Idéalement il faudrait la présence d’une infirmière 24h/24 dans ces établissements. Il y a aussi la possibilité de coopération avec des services d’hospitalisation à domicile qui vont apporter les compétences techniques, éventuellement le matériel nécessaire. Les unités mobiles gériatriques peuvent aussi être en lien. Tout cet ensemble doit faire un réseau d’appui aux équipes pour qu’elles puissent accompagner au mieux les patients.”

Alors le système de soins palliatifs tel qu’il existe est-il adapté à une telle crise sanitaire ? “Je ne sais pas s’il y a un service hospitalier ou autre qui est adapté à une telle crise sanitaire”, répond d’emblée le président de la Sfap. “Ceci dit, nous sommes aussi conscients qu’il y a des structures du domicile qui ont été fragilisées ces derniers mois. Notamment avec la disparition de beaucoup de réseaux de soins palliatifs qui étaient destinés aux soins à domicile et aux Ehpad. Typiquement, dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes, tous ces réseaux ont été fermés par les ARS…” regrette-t-il.

“Mon avis très personnel, c’est qu’il n’y a pas du tout assez de soins palliatifs partout. Je parle d’avoir la ‘conscience’ que malgré une médecine qui est très puissante, très avancée, l’homme reste mortel et vulnérable, estime pour sa part le Dr Perruchio. Cette crise nous montre à quel point on est vulnérables et à la merci d’un virus minuscule, invisible et qui, pourtant, se propage dans le monde entier et met à mal l’économie mondiale. Il faut plus de soins palliatifs dans les formations initiales, continues… La mort est au bout de notre chemin à tous, au bout de ceux de nos patients. Il faut garder à l’esprit la qualité de vie qui ne doit jamais être perdue.” 

Les médecins attendent donc plus de moyens, et placent leurs espoirs dans le plan annoncé par Agnès Buzyn, lorsqu’elle était ministre de la Santé. “Tout est mis en pause face à cette crise, mais il sera important dans ce futur plan, de réfléchir à un maillage territorial permettant d’éviter toutes les zones blanches pouvant exister et que des médecins puissent se retrouver dans des situations palliatives complexes sans pouvoir être soutenus, aidés et conseillés”, appuie Olivier Mermet.

 

 

Les soins palliatifs aussi déroutés par l’épidémie

Malgré leur expertise et leur réorganisation, les professionnels de santé des soins palliatifs ont, eux aussi, été déroutés par cette épidémie. “On est sur une maladie pour laquelle 95% des gens passent le cap. Nous, en soins palliatifs, on est habitués à prendre en charge des patients dont on sait d’emblée que la maladie n’est pas curable, un cancer très évolué, une maladie neurodégénérative”, analyse le Dr Perruchio.

“Dans le cas du Covid, certains patients sont déjà très altérés de base. On va donc proposer une prise en charge d’emblée purement palliative. Pour d’autres, on va aller jusqu’au bout dans une prise en charge réanimatoire. Et puis, il y a une part d’entre-deux : des patients qui sont trop âgés ou ont trop de comorbidités pour bénéficier d’une prise en charge respiratoire si jamais leur état s’aggravait, mais pour autant une partie de ceux-là vont passer le cap, poursuit-elle. Le positionnement des équipes de soins palliatifs est donc un peu particulier. Nous sommes sur une prise en charge de confort et on sait rarement à l’avance comment ça va évoluer.” 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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