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« Si les médecins pouvaient avoir un assistant médical à temps plein, il n’y aurait plus de problèmes d’accès aux soins »

Après des mois de tractations en 2019 sur l’avenant 7 portant sur les assistants médicaux, de nouvelles négociations se sont ouvertes début janvier. Mesure phare du plan « Ma Santé 2022 » visant à améliorer l’accès aux soins, il y a urgence, pour le Dr Luc Duquesnel, Président Les Généralistes-CSMF, à agir. Les assistants médicaux, ajoute-t-il, sont la principale clé pour répondre à la problématique actuelle. Même si de nombreux freins subsistent.

 

Les négociations conventionnelles ont repris début janvier. Quelles sont vos priorités en ce début d’année 2020 ?

Lors de la dernière Commission Paritaire Nationale de la Convention Nationale des médecins, il a été décidé d’ouvrir une réflexion sur les assistants médicaux. Aujourd’hui, on s’aperçoit que le nombre de contrats signés par l’ensemble des médecins libéraux, et tout particulièrement des médecins généralistes, est faible. En janvier 2020, seulement 259 contrats ont été signés dont 88% par des médecins généralistes. Si on prend un équivalent temps plein (ETP) pour un médecin généraliste, il y a eu seulement 53 contrats signés.

Nous avons des problèmes d’accès aux soins qui s’aggravent et qui vont encore s’aggraver dans les cinq à dix ans à venir. On l’avait dit dans la négociation conventionnelle l’an dernier et je tiens à rappeler que c’est seulement lors la dernière séance qu’on avait obtenu la proposition de la CNAM d’avoir un ETP pour un médecin généraliste. Les Généralistes-CSMF était le seul syndicat à porter cette demande dès le début de la négociation en janvier 2019. Car c’est celui-ci qui permet réellement d’augmenter sa patientèle. Les autres, que ce soit 1/2 ETP ou 1/3 ETP, servent surtout à améliorer les prises en charge des patients atteints de pathologies chroniques et à faire, entre autres, des examens médico-techniques : des électrocardiogrammes, des spirométries, des bilans mémoires. Bref, tout ce qu’on ne fait souvent pas par manque de temps.

 

L’augmentation de la patientèle est un enjeu majeur dans le cadre des assistants médicaux. Comment faire pour que les médecins prennent plus de patients ?

La solution, c’est d’avoir 35 heures par semaine, une aide à la consultation avec un assistant médical qui, dans ce cas, sera souvent une infirmière. Dans ce cas, on peut prendre en charge en moyenne 20 à 30% de patients en plus, sans avoir à travailler plus. Cela répond clairement à la problématique actuelle. Nous avons dit à la CNAM que, dans les territoires où il y a des problèmes d’accès aux soins, si les médecins volontaires pouvaient avoir un aide-soignant ETP… Alors il n’y aurait plus ces problèmes d’accès aux soins. Les seuls patients qui n’auraient pas de médecins traitants seraient ceux qui n’en cherchent pas.

 

Vous souhaitez faire évoluer rapidement ce texte. Quels sont les freins qui subsistent encore ?

Cela fait six mois que nous travaillons sur le terrain pour inciter les médecins généralistes à embaucher. Certains freins ne relèvent pas de la convention médicale. Le principal, c’est que les médecins généralistes ne veulent pas être l’employeur de nouveaux salariés. C’est pourquoi nous avons réfléchi à la création de groupements d’employeurs tant au sein d’URPS qu’au sein des conseils départementaux. D’autant qu’aujourd’hui, même pour ceux qui sont regroupés dans des maisons de santé pluridisciplinaires et qui sont en SISA, ces structures n’ont pas la possibilité d’embaucher des assistants médicaux. Il y a donc d’autres groupes de travail, au ministère, pour travailler sur cette question.

Le deuxième frein majeur, c’est la peur du changement et surtout, l’absence de retour d’expérience : il n’y a rien de plus parlant pour les médecins que d’avoir des témoignages d’autres généralistes. Certains consultent d’une certaine manière parfois depuis plus de vingt ans… Tous les retours qu’on a de médecins généralistes, avec par exemple des assistants médicaux ETP dans le cadre de l’aide à la consultation, c’est : “je ne reviendrai jamais en arrière”.

Et puis, il faut aussi prendre en compte la problématique immobilière. Un ETP pour un médecin généraliste, 35h par semaine, nécessite de modifier son cabinet médical. Il faut l’agrandir. Certains médecins ne peuvent clairement pas le faire parce qu’ils ont une contrainte immobilière. On ne peut pas pousser les murs ! Ou cela nécessite des investissements, cela veut dire chercher quel investisseur peut le faire.

 

Vous saluez toutefois des avancées suite à la reprise des négociations la semaine dernière. Quelles sont-elles ?

La façon la plus immédiate de répondre à tous les patients qui n’ont pas de médecins traitants et de prendre en charge le soin non-programmé, c’est de ne pas les limiter aux zones d’intervention prioritaire (ZIP) pour l’embauche d’un ETP par médecin. Il y a des milliers de français sans médecin traitant dans des zones qui ne sont pas classées en ZIP. Aujourd’hui, ces zones représentent 5.300 médecins généralistes. Ce qu’on a décidé début janvier, c’est d’élargir au-delà de ces zones d’intervention prioritaires. On passerait ainsi à 8.400 médecins généralistes, potentiellement susceptibles de pouvoir embaucher un ETP.

Dans ces zones qui seront définies à l’échelle nationale, il pourra aussi y avoir des spécificités locales. L’idée, c’est de laisser libre, pour 20% des médecins concernés, les décisions au niveau des Commissions Paritaires Locales (CPL). Cela nous semblait très important et avait été refusé l’an dernier. Il n’y a pourtant rien de mieux que les acteurs locaux, tant l’Assurance Maladie qui peut identifier tous les patients qui n’ont pas de médecin traitant et qui en avaient un auparavant ; que les représentants des médecins libéraux, qui peuvent savoir où sont les besoins et où il serait donc utile d’inciter des médecins généralistes d’avoir un assistant médical ETP même si ce n’est pas une ZIP.

Il est très compliqué pour des médecins en exercice isolé de pouvoir embaucher un assistant médical. En quoi les choses ont avancé ?

Jusque-là, on estimait que souvent ils n’avaient pas une patientèle suffisante. Par exemple, ceux qui approchent de la retraite et qui diminuent leur activité se retrouvaient entre le P50 et le P70 alors qu’ils sont dans des zones où il y a de moins en moins de médecins. Ils étaient pourtant volontaires pour engager un assistant médical à 1/3 ou 1/2 temps, mais ne pouvaient pas. Pour ceux-là, on va faire descendre la barre définitivement de P70 à P50 et ils auront la possibilité d’embaucher.

La seconde, c’est que lorsque les médecins isolés prenaient un assistant médical à mi-temps, l’autre mi-temps devait être pris par un second médecin généraliste en exercice isolé, sur le territoire. C’est très gênant parce qu’ils deviennent dépendants d’un confrère qui parfois n’existe même pas. Or, cela concerne des territoires où il n’y en a pas beaucoup. C’est quelque chose qu’on veut revoir. Il faut tout mettre en œuvre pour que ce ne soit pas le texte conventionnel qui soit un frein à l’embauche et permettre de mieux répondre aux demandes de soins des territoires.

 

Vous soulevez des chiffres relativement faibles et plusieurs freins… De manière générale, comment faire pour donner envie aux médecins d’embaucher des assistants médicaux ?

Nous l’avons répété plusieurs fois à l’Assurance Maladie, il faut absolument avoir des retours d’expérience de la part de médecins qui ont sauté le pas. Cela peut être sous la forme de petites vidéos, par exemple. Il faut faire comprendre que ce n’est pas une moins-value dans la prise en charge du patient. C’est pourtant ce que certains pensent : ils se disent “si je passe moins de temps avec mon patient, ma consultation va être de moindre qualité”. Au contraire. Les retours que l’on a des patients en France et dans les pays étrangers, c’est qu’ils estiment qu’ils sont mieux pris en charge et parfois même, avouent avoir confié des choses aux assistants médicaux qu’ils n’avaient jamais dit à leur médecin en vingt ans. Je rappelle que là où la patientèle d’un généraliste français est d’en moyenne 850 patients médecins traitants, celle du médecin allemand est plus proche des 2000 patients médecins traitants avec un assistant médical et une secrétaire, sans travailler plus la semaine. Il faut donc partager cela avec les médecins généralistes qui se posent la question.

D’ailleurs, ces retours de terrain permettent aussi de faire remonter des problèmes très concrets. Par exemple, la possibilité de s’identifier et pouvoir travailler sur AmeliPro en parallèle de son assistant médical. A ce jour, il n’a pas de carte CPS pour les assistants médicaux. Or, si le médecin travaille dans un cabinet et l’assistant médical dans un autre, le médecin ne va pas déplacer sa carte à chaque fois. C’est un problème technique sur lequel travaille l’Assurance Maladie.

 

Ces assistants médicaux doivent d’abord être formés avant de pouvoir travailler en cabinet. Où en sont les négociations sur ce sujet ?

Aujourd’hui, nous n’avons aucune visibilité. Il y a d’un côté les représentants de syndicats de médecins libéraux et de l’autre, les syndicats de salariés. Il n’y a toujours pas eu d’accord sur les modules de formation. On pourrait même imaginer que ces formations ne soient pas mises en place d’ici deux, trois ou quatre ans. On sait que ça n’empêche pas l’embauche des assistants médicaux. Cependant, dans le texte conventionnel, il est prévu que la formation doit être débutée dans les deux ans et terminée dans les trois ans… Si vraiment cela n’avançait pas plus vite, on sera probablement obligés de revoir ces délais. S’ils ne peuvent pas être respectés, ce n’est pas la faute des médecins libéraux.

 

Quelle est la prochaine échéance ?

Nous n’avons pas encore fixé de date pour une prochaine réunion. Nous avons bien avancé, et attendons le retour de l’Assurance Maladie. Il y aura certaines petites modifications à apporter et puis, plutôt que d’en faire un avenant spécifique, pour gagner du temps, nous allons inclure tout cela dans l’avenant 8 qui est en voie de finalisation et qui était également consacré à la télémédecine.

Nous regrettons en revanche que le délai d’application risque d’être de six mois. Il ne l’avait pas été pour l’avenant 7, ce qui nous avait permis de mettre tout en place de manière immédiate. Cela voudrait dire que toutes ces avancées ne pourraient s’appliquer qu’au dernier trimestre 2020. C’est beaucoup de temps de perdu par rapport aux problématiques d’accès aux soins qui existent sur le terrain.