C’est une problématique et angoisse bien connue des médecins proches de la retraite : trouver un remplaçant. A bientôt 65 ans, le Dr Bruno Pellegrin, médecin généraliste dans le 9ème arrondissement de Paris recherche désespérément, depuis six mois déjà, un jeune médecin prêt à lui succéder dans son cabinet en juin 2020. Las, le médecin se heurte à de nombreuses contraintes : exercice isolé, patientèle trop nombreuse, plage de consultation trop large, frais de cabinet trop importants… Rien qui n’attire les jeunes médecins d’aujourd’hui. Pour rendre son offre plus attractive, le futur retraité s’apprête pourtant à tout céder gratuitement en espérant trouver un jeune remplaçant qui sera prêt à reprendre le flambeau de la pratique de médecin de famille, telle qu’il l’a exercé pendant une quarantaine d’années.

 

Egora.fr : Vous cherchez à partir en retraite mais ne parvenez pas à trouver de remplaçants. Comment procédez-vous pour chercher votre successeur ?

Dr Bruno Pellegrin : Je dois partir à la retraite en juin 2020 et cherche un remplaçant dès maintenant car je ne veux pas laisser ma clientèle avec un mot sur la porte. Le premier problème que j’ai rencontré, c’est vers qui me tourner pour trouver un remplaçant ? J’ai fait le choix de m’adresser à mes collègues, j’en ai parlé à tous mes correspondants, hospitaliers ou en ville, à la sécurité sociale et j’en ai également parlé de manière plus informelle lors de réunions entre médecins. Je n’ai pas passé d’annonce ni téléphoné au Conseil de l’Ordre. J’ai joué la carte des contacts car je cherche un remplaçant qui soit adapté à mon type de clientèle et qui leur correspondrait le mieux possible. J’ai fait le choix de donner mes contacts, mon matériel, mon réseau et ma part de société. Dans cette mesure, j’aimerais ne pas les donner à n’importe qui.

Quel profil de médecin recherchez-vous idéalement ?

Un médecin généraliste bien sûr, ayant envie de faire de la médecine de famille, de la médecine générale telle qu’on la pratiquait il y a 20 ans. Pas quelqu’un qui veut faire de l’abattage. Quelqu’un qui gardera, comme je l’ai aujourd’hui, un secrétariat téléphonique plutôt que de passer par des plateformes type Doctolib car je trouve ça trop impersonnel et pas très pratique pour les gens qui ne sont pas informatisés.

Et vous ne trouvez donc personne…

J’ai reçu 5 dossiers entre juin et décembre. Une première personne qui avait trois enfants et qui trouvait que je travaillais trop. Je consulte de 9h à 20h le lundi, mardi, mercredi et vendredi et de 9h à 14h le jeudi. Elle ne voulait pas travailler le mercredi et souhaitait finir plus tôt deux jours par semaine. C’était donc incompatible car les frais sont tels que si vous ne travaillez que deux jours et demi par semaine, vous ne pouvez pas payer les frais d’un cabinet à Paris.

La deuxième personne souhaitait un autre généraliste dans le cabinet. Ce n’est pas mon cas, je suis installé avec des spécialistes mais pas d’autre généraliste. Un troisième avait un profil intéressant mais a finalement, signé un contrat avec Anne Hidalgo qui transforme une caserne en grand centre médical. Le quatrième n’a jamais fait suite à nos échanges. Et le cinquième m’a demandé “où est le loup ?”, dans la mesure où je donne ma part de société, ma clientèle et mon matériel. Je ne cache rien du tout, simplement j’ai 65 ans et il est temps que je prenne ma retraite.

Pourriez-vous partir à la retraite sans successeur ?

C’est ce qui risque malheureusement d’arriver ! Au grand dam de mes collègues du cabinet car je dois les prévenir 6 mois à l’avance pour quitter la SCM et ils devraient alors se retrouver à payer mon loyer. Pour cela et pour mes patients, j’ai donc pris la décision, pour l’instant, de ne pas partir à la retraite en juin mais sur les conseils de mes patients, d’essayer de limiter mon activité pour pouvoir me reposer un peu. Je vais essayer de ne plus travailler le vendredi. Je dis bien essayer, car si c’est pour travailler 20% de plus chaque autre jour, ce n’est pas la peine.

Vous êtes pourtant en plein centre de Paris, proche des transports en commun… Vous attendiez-vous à cette situation ?

Oui. J’entends ce qui se passe autour de moi, mes collègues qui ne trouvent personne, mes patients qui me disent que leur ancien médecin traitant est parti à la retraite sans trouver de successeur. On sait qu’on ne trouvera pas.

Le problème c’est qu’aujourd’hui, la consultation à 25 euros ne permet pas de payer des frais fixes de loyer qui sont importants. Dans mon cabinet par exemple, le loyer varie – en fonction de si nous sommes 4 ou 5 – entre 1.600 et 2.000 euros par mois, rien que pour la location. Parmi les autres frais, il faut compter 1.500 euros pour la cotisation Carmf, 1.000 euros pour la cotisation Ursaff, 500 euros pour le secrétariat téléphonique, 100 euros de frais d’abonnement téléphone et internet, 120 euros pour le logiciel. Autant de frais que le successeur devra prendre en charge. Il démarrera sûrement avec une cotisation Ursaff moindre mais tout de même.

Quel regard portez-vous sur l’exercice de la médecine telle que la pratiquent les jeunes médecins ?

Je vois bien qu’entre nos générations, ce n’est pas la même médecine ni la même manière de travailler. La médecine d’aujourd’hui coûte très cher, il y a énormément d’examens complémentaires, elle ne cherche pas à comprendre le patient mais plutôt à trouver tout de suite le diagnostic. Je trouve qu’il y a une grande anxiété par rapport à l’obligation de résultat qui implique une débauche d’examens complémentaires.

Je comprends l’envie de ces jeunes médecins de travailler en exercice regroupé. J’aurais également aimé travailler avec d’autres médecins généralistes, cela permet de se remplacer plus facilement les uns les autres, une certaine modernité… Par contre l’idée de travailler 35h par semaine avec les frais obligatoires, ce n’est pas possible en libéral. La médecine générale est un beau métier qui demande une disponibilité qui ne peut pas être encadrée par 35h.

Je trouve vraiment dommage que le médecin de famille disparaisse. Il y a une grande confiance entre le médecin et ses patients, c’est un travail de fourmis. Il faut aussi dire que c’est une autre génération de patients, qui veut un médecin tout de suite, qui cherche sur Doctolib, qui est peut-être moins attachée au contact.

Comment réagissent vos patients ?

Je ne veux pas qu’ils se retrouvent devant le fait accompli. Depuis le mois de juin, je leur parle de mon futur départ. Je suis certains d’entre eux depuis plus de 30 ans. Cela me fait beaucoup de peine de voir qu’ils sont désemparés. Ils me manifestent leur désarroi. Ils sont très contents que je prolonge mais je suis triste de les quitter, surtout dans ces conditions. J’ai créé un cabinet, j’ai emprunté un capital personnel pour pouvoir faire face aux frais, j’ai créé une clientèle… Et finalement cette valeur est réduite à zéro.

Que comptez-vous faire désormais ?

Je vais prolonger mon activité et finalement ne prendre qu’un remplaçant pour le vendredi et les vacances scolaires. Dans l’espoir que cette personne, si elle s’accroche à ma clientèle, aura envie de me succéder par la suite. Je me remets donc à rechercher un remplaçant pour cette “nouvelle formule”. Donner tout mon travail à n’importe qui, c’est ce qui me ferait le plus de peine.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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