15, 18, 116-117… Pour les patients, il est devenu difficile de se retrouver parmi les différents numéros d’urgence. Un groupe de travail au Ministère planche actuellement sur un Service d’Accès aux Soins (SAS) censé rendre le dispositif de prise en charge des urgences et des soins non programmés plus lisible. Mais les premières orientations, dictées par la crise de l’hôpital, vont à l’opposé des demandes des médecins libéraux. Le Dr Luc Duquesnel, Président des Généralistes-CSMF, fait le point.

 

Quel est le projet du Ministère concernant le SAS et en quoi va-t-il à l’encontre des aspirations des médecins libéraux ?

Il faut rappeler que le SAS, ses outils, ses numéros, impacteront à la fois le soin non programmé aux heures d’ouverture des cabinets médicaux et la permanence des soins ambulatoires. Tout va à vitesse grand V, en lien avec la problématique d’engorgement des urgences. Le groupe de travail sur le SAS est intimement lié à celui sur les urgences, mené par les Drs Carli et Mesnier. Les services d’urgences sont aujourd’hui victimes d’une politique de santé déployée depuis 25 ans, se résumant au tout hôpital : j’ai besoin d’un avis médical 24h/24, je ressens une urgence, je me précipite aux urgences ou je compose le 15. Du fait de la baisse de la démographie médicale, s’est surajoutée une problématique d’accès au médecin généraliste, qui a amplifié le recours aux Services d’Accueil des Urgences (SAU).

Nous avons dit que nous étions prêts à nous organiser sur les territoires, comme nous l’avions fait avec la permanence des soins (PDSa), pour prendre en charge le soin non programmé aux heures d’ouverture des cabinets et à mettre en place des organisations. C’est d’ailleurs dans cet esprit-là que l’on a négocié l’Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI) sur les CPTS. Tous les experts, notamment la mission de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), ont identifié la nécessité de rendre plus lisible pour la population l’accès au médecin généraliste. Il ne faut pas oublier que le patient est un acteur qui, aujourd’hui, fait le choix de se diriger vers l’hôpital ou vers le médecin de ville, ce qui peut générer une mauvaise utilisation du système de santé. D’où l’intérêt, souligné par tous, d’un numéro dédié pour la médecine de ville. Aujourd’hui, c’est le 116 117 dans trois régions : ça peut être un autre numéro, du moment qu’il se distingue du 15. Via l’accord CPTS, on peut financer cet outil, ainsi qu’une secrétaire sur chaque territoire.

Or, que voit-on finalement accoucher ? A côté du numéro des pompiers, un numéro sanitaire – le 113, qui remplacerait le 15… mais serait en fait un 15 bis. Tout ça pour donner le sentiment qu’on prend en compte les demandes des libéraux ! On n’a jamais dit qu’on ne voulait plus de 15, mais qu’on voulait un numéro dédié d’accès aux médecins libéraux. Le Président de la République avait dit qu’il ne voulait plus qu’un seul numéro, rassemblant le médical, les pompiers, voire la police. On était tous d’accord pour dire que si trois numéros c’était trop, un seul ce n’était peut-être pas assez. Donc qu’il en fallait deux, dont un dédié à la médecine libérale.

Or, pour sauver le 15 (qui aurait pu être jumelé avec le 18) et ne pas augmenter la colère à l’hôpital, on sacrifie le numéro dédié aux soins de ville. Par manque de courage politique, on reste dans un système hospitalo-centré. Incompréhension totale des syndicats de libéraux, qui sont unanimes. Très clairement, dans ces conditions, on ne participera pas au SAS.

 

Quelles seraient les conséquences d’un tel dispositif ?

On ne peut pas dire il y a trop de monde aux urgences et maintenir les mêmes moyens d’accès… Les flux d’appels vers l’hôpital et les recours inappropriés aux urgences vont augmenter. Il est question de mettre en place des services de soins non programmés aux urgences, et peut-être de salarier des médecins généralistes… On siphonne les organisations que sont en train de mettre en place les CPTS. C’est un non-sens en termes d’utilisation du système de santé et un non-sens en termes de coût, car cela va coûter encore plus cher. Quand on voit tous les examens complémentaires qui sont faits aux urgences…

 

Quel rôle veulent-ils voir jouer les libéraux dans ce système ?

Tout va arriver au 15, qui aura des listes de médecins vers lesquels transférer les appels. Tout va être géré par l’hôpital. Il est hors de question que l’on participe à ce genre d’organisations, alors qu’on était prêts à s’engager pour une autre organisation des soins ambulatoires. Bien sûr, il y avait aussi la question de la valorisation de ces actes de soins non programmés… Mais les dés sont pipés d’emblée.

Il est très étonnant, par ailleurs, de voir que les pompiers n’ont pas non plus été entendus, alors qu’ils sont des acteurs de terrain. Au bout du compte, seuls les médecins hospitaliers seront satisfaits. Vu la crise à l’hôpital, l’Etat n’ose pas prendre des décisions qui vont à leur encontre, même si elles sont pleines de bon sens.

 

Comment allez-vous vous mobiliser ?

La Ministre veut que le SAS fonctionne en juin prochain : ce sera sans nous ! Ce ne sont pas les Samu-centres 15 qui vont organiser l’accès aux soins non programmés dans nos maisons de santé, dans nos CPTS et dans nos cabinets médicaux.

 

Il est question d’une grève des gardes…

Nous verrons. Nous allons nous retourner vers le terrain. La grève des gardes est une possibilité. Car nous demandons également d’inclure le samedi matin dans la PDSa, comme cela se fait dans certains départements. Ça s’autofinance car cela a été évalué : sur 100 appels, 33 sont envoyés vers le médecin effecteur ; cela veut dire que 67 donnent lieu à des conseils ou à des ordonnances faxées. Et cela revient bien moins cher qu’un passage aux urgences… Non seulement, c’est censé, mais c’est aussi améliorer les conditions d’exercice des médecins généralistes libéraux qui participent à la PDSa. Et il faut aussi revaloriser l’acte de soin non programmé à partir du moment où il a été régulé.

Mais on voit bien que l’environnement n’est pas favorable à la prise de mesures efficaces et efficientes… C’est un combat que vont devoir mener les médecins généralistes, qui sont les principaux concernés et que l’on veut mettre en première ligne.