Avec Véronique Wallon, à l’époque directrice générale de l’ARS Rhônes-Alpes, le Dr Jean-François Thébaut de la Haute autorité de santé, a été désigné par Marisol Touraine pour co-diriger le groupe de travail qui a donné naissance aux Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en plein conflit contre la loi de Santé. Ce médecin cardiologue raconte cette épopée et défend son bébé, aujourd’hui au cœur de la refondation du système de santé.
Quelle était votre mission ?
Dr Jean-François Thébaut : Nous avons été désignés par Marisol Touraine pour diriger l’un des groupes de concertation – il y en avait cinq – autour de cette loi. Contrairement à d’autres groupes de travail, nous bénéficions de beaucoup de souplesse car notre mission était de proposer une organisation territoriale qui convienne aux parties prenantes. Nous avons mené entre janvier et février 2015, une trentaine d’auditions : toutes les représentations syndicales libérales jusqu’aux Ordres, aux Urml, aux étudiants, aux élus territoriaux et aux patients du CISS. Nous avons également reçu les autres libéraux de santé. Bref, tout le monde. Nous avons également organisé deux réunions plénières avec tous les syndicats médicaux représentatifs.
Quel était l’état des lieux lorsque vous avez commencé vos travaux ?
Nous avons fait plusieurs constats. D’une part, que la notion de parcours de soins, de santé, n’était pas définie d’un point de vue réglementaire. Nous l’avons fait et cette définition a été incluse dans les premiers articles de la loi de Santé. Ensuite, nous avons acté le fait qu’autant l’équipe de soins était bien définie dans les établissements hospitaliers, autant elle ne l’était pas en ambulatoire. Nous avons donc défini ce qu’était une équipe de soins et notamment de soins primaires et c’est aussi entré dans la loi. Ensuite, avec Véronique Wallon, nous avons fait cet autre constat que les territoires sont extrêmement variables d’un endroit à l’autre, d’un mode de répartition à l’autre. De même, les populations peuvent aller de quelques dizaines à quelques centaines de professionnels sur une même zone. Et ces territoires, en fait, ils…
existaient depuis longtemps et la plupart des ARS les avaient déjà délimités en tant que territoires fonctionnels, autour d’un hôpital, d’une clinique, d’une maison de santé, entre deux Nationales, autour d’une gare enfin bref, ils sont de natures extrêmement variables. Donc, nous nous sommes mis d’accord d’emblée pour dire que nous n’allions pas définir un territoire en tant que tel, nous avons choisi volontairement une définition floue, qui est de dire que le territoire se définit selon ses fonctionnalités, ses habitudes, l’histoire. La notion de communauté s’est imposée.
Deuxième prérequis : on ne définit pas un territoire par avance, comme cela a été fait par les GHT (groupes hospitaliers de territoire), c’est lui qui s’autodéfinit. La troisième condition est le principe du volontariat, avec une forme juridique qui s’imposera d’elle-même, toute seule. On ne voulait pas fabriquer un mécano administratif, comme celui utilisé pour le service territorial de santé au public, rejeté par les libéraux.
Quel était votre objectif ?
Notre objectif était que, sur un territoire, les professionnels s’organisent entre eux avec le soutien de l’ARS et de l’assurance maladie car ils auront à dresser un diagnostic territorial (acquis, manques, déficits, etc.) leur permettant de répondre à une demande populationnelle et d’assurer la continuité des soins sur son territoire. Ce qui signifie, tenir des médecins traitants à disposition et assurer une articulation avec les différentes spécialités de manière à avoir des filières de prise en charge pré établies, pour que les patients aient d’autres recours que les urgences ou les pompiers. Dans mon esprit comme dans celui de Véronique Wallon, il fallait que le cadre soit suffisamment souple et préparé à l’avance, pour qu’on puisse dire aux promoteurs : “Signez-là, voilà ce qu’il faut faire, c’est clef en main”, car les médecins ont autre chose à faire de que monter des dossiers.
Reconnaissez-vous votre bébé dans le modèle qui a été présenté par le président de la République. Déjà, à l’Elysée, on veut en changer le nom, ils n’aiment pas le sigle…
Oui, je reconnais tout à fait notre bébé. Je sais qu’ils n’aiment pas le nom. On a cherché, mais on n’en a pas trouvé d’autre. Dans une communauté, il n’y a pas de hiérarchie, cela désigne des gens qui travaillent ensemble. A l’époque, ce nom a plu, il a été mis dans la loi de Santé. Maintenant, on le trouve un peu trop compliqué. Mais c’est le concept qui est important.
Vous insistez sur la notion de volontariat. Mais on explique à l’Elysée, que l’adhésion d’un professionnel à une CPTS sera un prérequis pour accéder à des rémunérations forfaitaires, des aides pour les assistants médicaux, un soutien à l’exercice coordonné, des formations etc. La pression va devenir si forte qu’il n’y aura pratiquement plus d’autre choix pour un professionnel que d’y adhérer, s’il veut exercer correctement…
Oh, là, pas si vite. La première chose est de constituer une communauté, qui va se donner des objectifs et des moyens. Pour ces objectifs, il y aura un cahier des charges minimal proposé par les ARS – c’est le rapport Wallon sur les CPTS. A côté de cela, l’Etat, via les ARS, ou les collectivités territoriales ou la CNAM pourra donner des moyens supplémentaires, mais sous conditions. Et le Président de la république l’a dit : si on donne des assistants médicaux, il y aura des indicateurs en échange pour montrer qu’ils servent à quelque chose. Invité à l’université d’été de la CSMF, le directeur de la CNAM, Nicolas Revel a confirmé que la contrepartie à cette aide, serait l’obligation pour les médecins, de prendre de nouveaux patients. Je ne suis absolument pas choqué si en contrepartie d’aides, des suivis d’indicateurs sont mis en place. Cela fait partie de la règle du jeu. A partir du moment où on se lance dans ce type d’organisation, il doit y avoir une contrepartie, et il y en aura d’autant plus qu’il y a beaucoup de financements ou d’aides.
Au gouvernement, ils sont très pressés. Emmanuel Macron veut la fin de l’exercice isolé en 2022 et 1000 CPTS d’ici-là…
Ce sont des phrases politiques. Quelqu’un qui est en CPTS ne va pas quitter son cabinet, mais il va être inscrit dans une logique pluriprofessionnelle. Voilà ce que veut dire le Président, les gens travailleront de manière vraiment coordonnée. Prenez un village, les professionnels de santé se connaissent et se réunissent de temps en temps, ils mettent en place des protocoles de soins entre eux et ils tissent des relations avec les spécialistes alentours, notamment d’imagerie et ils constituent des filières – même si le mot est historiquement connoté – permettant, par exemple, en cas de petit trauma, aller directement chez le radiologue sans passer par les urgences.
La prise en charge des soins non programmés comme première priorité des CPTS, c’est une hiérarchie qui vous convient ?
Je n’ai fait que cela toute ma vie en tant que cardiologue ! Nous n’avons jamais refusé une urgence. Un soin non programmé, c’est un patient qui dit qu’il n’a pas dormi de la nuit, qui est essoufflé et qui veut voir le docteur. C’est une question d’organisation. Les médecins tels qu’ils sont aujourd’hui organisés dans leurs cabinets, ils ne peuvent…
pas recevoir des personnes en plus car ils ont trop de travail. On ne peut rien leur imposer en plus, il faut une nouvelle organisation. De même, on ne peut pas imposer à un médecin d’aller faire des visites la nuit alors qu’il a travaillé toute la journée et qu’il retravaillera toute la journée le lendemain. C’est absurde, inhumain. Il faut trouver d’autres solutions. Il n’y a pas un pays au monde où on ose réclamer cela à des gens, il n’y a qu’en France qu’on voit cela.
On voit bien que ces CPTS suscitent des convoitises. On ne sait pas quel sera le rôle des ARS, de l’assurance maladie. Les élus veulent leur part, les syndicats…
Les ARS ne connaissent rien aux libéraux, contrairement aux CPAM. Le directeur de la CNAM veut une convention pour les CPTS et un financement pérenne.
Claude Leicher, l’ancien président de MG France préside la Fédération des CPTS ?
Ce qui signe un succès du concept…
Mais d’autres professionnels de santé voient d’un mauvais œil la mainmise des médecins sur les CPTS.
On ne va pas faire de langue de bois : la prise en charge des patients se fait sur prescription médicale. Il faut une coordination, qui peut ne pas être opérée par un médecin, mais le point de départ, c’est une prescription médicale. Chacun à sa place, dans son rôle. Il n’est pas question de mettre une hiérarchie salariale ou autre entre les acteurs. On est entre libéraux et chacun fait son boulot, mais le patient est d’abord pris en charge sur prescription médicale.
A cet égard, ce qui va être très important dans cette organisation, c’est le DPC. Ce sera fondamental pour que les spécialistes en médecine générale, avec les autres spécialistes, les pharmaciens, les infirmiers et les kinés travaillent ensemble, sans hiérarchie se connaissent. Et le rôle du pharmacien sera extrêmement important, fondamental même, car il sera le premier professionnel de santé que voit le patient en sortant de l’hôpital avec son ordonnance.
Source : www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne