Humiliée, malmenée, mais jamais réellement formée, Solange Baudo, alias SoSkuld, a fini par abandonner son rêve de devenir infirmière lorsque tous ses stages ont tourné au cauchemar. Devenue dessinatrice après avoir exercé six ans en tant qu’aide-soignante, elle a réalisé à la lecture d’Omerta à l’hôpital que ce qu’elle avait vécu était une forme de maltraitance institutionnalisée des étudiants en santé. Aujourd’hui, SoSkuld et Valérie Auslender publient aux Editions Michalon une bande-dessinée illustrant les témoignages recueillis par cette dernière dans son ouvrage choc. Extraits.
Moi, le punching ball |
La grosse de la chambre trois – 1/3 |
La grosse de la chambre trois – 2/3 |
La grosse de la chambre trois – 3/3 |
Tenir, coûte que coûte – 1/2 |
Tenir, coûte que coûte – 2/2 |
Le pénal |
“Je n’oublierai jamais mon premier stage” : le témoignage de l’auteur
Propos recueillis par Aveline Marques
“C’était en 2007. Mon tout premier stage, en Ehpad. Je ne l’oublierai jamais celui-là. Impatiente d’apprendre, j’arrive dans un établissement assez ancien. On me dit d’aller trouver l’aide-soignante du service, qui est entrain de faire les toilettes dans son couloir. Je me présente, lui dit que je suis en première année d’école d’infirmière. Elle me regarde et me dit : “Tu vas faire les 7 toilettes du couloir là, si tu veux apprendre le métier il faut bosser. Allez hop, tu te débrouilles !” Je rentre timidement dans une des chambres et je vois une résidente attachée au lit, couverte d’excréments, qui est entrain de crier, manifestement démente. C’était abominable. Je retourne voir l’aide-soignante pour lui demander ce que je suis censée faire. Et là elle me dit que je suis une “incapable”, “pas faite pour faire ce métier”. Ce stage de trois semaines a été très compliqué. L’aide-soignante était assez odieuse avec les patients. J’ai vraiment vu l’envers du décor, ça a été assez violent. Je n’ai pas validé le stage parce que je me suis ramassée à la mise en situation professionnelle (MSP). Mais j’ai persévéré.
J’ai mis des années à me reconstruire
J’ai fait différents stages, dans différents services… En tout, il doit y en avoir trois qui se sont passés normalement, avec des équipes très encadrantes qui m’ont appris beaucoup de choses. Le reste, je suis tombée sur des équipes en souffrance, on m’ignorait, on ne me formait pas, on faisait des jugements de valeur sur ma personne, plutôt que sur le travail : “trop naturelle”, “trop spontanée”… D’un stage à l’autre, j’essayais de corriger ce qui n’allait pas mais je ne savais plus comment me comporter et je ne validais pas mes MSP. Au bout d’un moment, je me suis dit : “je suis trop idiote pour faire ce métier”. J’allais me faire exclure… alors j’ai posé ma démission.
Je ne suis pas sortie indemne de ces études. J’ai mis des années à me reconstruire. J’ai bossé 6 ans en tant qu’aide-soignante. Au début, quand j’ai exercé en Ehpad, j’ai retrouvé les conditions de mon premier stage. Ce n’est que les trois dernières années, en orthopédie à l’hôpital public, que je me suis épanouie.
Il ne faut pas nier la responsabilité individuelle dans tout ça : il y a des personnes qui peuvent être ou devenir méchante. Mais cette maltraitance s’explique vraiment par la précarité des conditions de travail. On demande aux soignants de faire du chiffre, de travailler en total désaccord avec les valeurs pour lesquelles ils ont choisi de faire ce métier. Soit on arrête, soit on se plie aux exigences, on abandonne ses idéaux et on se comporte de manière exécrable envers les élèves, les collègues voire les patients parce qu’on est frustré.
Un esprit de bizutage permanent
Le milieu est aussi imprégné d’un esprit de bizutage permanent, surtout en médecine : “A mon époque, c’était pire. Si t’es pas capable de tenir, c’est parce que t’es pas fait pour ça.” La force de caractère est glorifiée, alors que ce qui compte, c’est la solidarité de l’équipe et l’humanité que l’on va mettre dans les soins. Comment voulez-vous apprendre un métier correctement et prodiguer des soins de qualité quand on vous humilie ?
En lisant Omerta à l’hôpital, j’ai été bouleversée. Je me suis rendu compte que ce que j’avais vécu, ce n’était pas normal, ni entièrement de ma faute. Que je me suis faite éjecter du système parce que je ne rentrais pas dans le moule alors que j’avais d’autres qualités : les patients étaient contents de mes soins ! Et je me suis rendu compte que je n’avais pas vécu le pire. Que la maltraitance était généralisée, et qu’elle pouvait s’expliquer.”
Omerta à l’hôpital – Illustré, Valérie Auslender et Soskuld, Ed. Michalon, avril 2018, 16 euros.
Source :
www.egora.fr
Auteurs : SoSkuld et Aveline Marques
Sur le même thème :
“Mon frère était mort pendu depuis la veille”: récits d’humiliations d’étudiants en santé
“L’externe, elle aime quand on lui passe par derrière” : quand l’humour carabin va trop loin
Paces, ECN : “Tout le monde ne rentrera pas en médecine, c’est pas open bar”
Le jour où j’ai bu une bouteille d’alcool à 11h du matin, j’ai décidé d’arrêter la Paces