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“Les jeunes ne sont pas contre la médecine libérale, ils n’ont juste pas les clefs”

Auteur d’une note pour le Think Tank Terra Nova (catalogué à gauche) sur le “pari de la jeunesse en médecine de ville”, Willy Jager* explique pourquoi il faut donner plus de place à l’expression et la représentation des futurs et jeunes médecins, dans la négociation conventionnelle et dans les Unions régionales de professions de santé. Pour les aider à faire le choix anxiogène d’une installation en médecine libérale, et parce qu’ils vont devenir majoritaires défend-il.

 

Egora : Vous faites le constat que la médecine libérale a mauvaise presse auprès des jeunes médecins. Que voulez-vous dénoncer exactement ?

Willy Jager : On a l’habitude de parler de la crise de l’exercice libéral, et j’ai essayé de m’intéresser à cette question avec le regard des jeunes générations. On constate qu’au cours des premières années d’exercice, on ne dénombre que 10 % de jeunes médecins ayant choisi d’emblée ce mode d’exercice lors de leur inscription à l’Ordre, ce qui est assez loin d’un plébiscite. Mais si on observe les choses sur une période un peu plus longue, on voit qu’au bout de 10 années d’exercice, ces jeunes médecins sont 40 % à exercer en libéral, ce qui correspond à la moyenne nationale. Cette moyenne met donc dix ans à être atteinte. Cela prouve que les jeunes médecins ne sont pas contre la médecine libérale ou dans une profonde défiance vis-à-vis d’elle, mais qu’ils n’ont-ils peut être pas les clefs qui leur auraient permis de se lancer d’emblée dans cet exercice. C’est sur ces dix années-là que j’ai voulu concentrer mon travail.

Vous estimez qu’une des idées pour mettre le pied à l’étrier de ces jeunes vers la médecine libérale, serait d’agir sur leur représentation collective. Comment ?

Je précise que je pars d’un principe rigoureusement inverse de celui soutenu par la Cour des comptes, ou par les signataires d’une proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, déposée à l’Assemblée. Je ne crois pas à la coercition. Je crois à la négociation et à la capacité des acteurs de participer à l’élaboration de leur cadre de régulation. Cela dit, je me suis demandé ce qui manque aux jeunes professionnels pour avoir un cadre adapté. Cette question m’est venue à la lecture du communiqué très critique que les internes et jeunes médecins ont publié à la signature de la convention médicale de 2016. Je ne comprenais pas leurs critiques  et c’est en réalisant qu’ils étaient exclus de la représentation syndicale – ce qui les empêchait dans la pratique de participer à la construction d’un cadre conventionnel qui leur aurait mieux convenu – que je me suis dit que la première pierre qui pouvait être posée, c’était de permettre aux remplaçants, aujourd’hui exclus et aux jeunes installés dans les dix premières années d’exercice, d’y participer. Et ce, quel que soit leur mode d’exercice, salarié ou libéral, puisque ces années sont marquées par un important basculement.

Ensuite, je préconiserais également d’instaurer au sein des unions régionales, un collège regroupant les jeunes et futurs médecins où on intègrerait les étudiants en médecine, les internes et les chefs de clinique.

Ces propositions ont provoqué un véritable tollé, au sein de la plupart des organisations syndicales de praticiens libéraux. Vous vous y attendiez ?

Non, et je trouve cela dommage. Des médecins, jeunes mais pas tous, m’ont dit “enfin”. Enfin, on brise l’omerta sur ce sujet où on a cherché à faire passer cette demande comme une revendication corporatiste, alors qu’on se trouve dans une situation où, selon les projections effectuées par la Drees, les moins de 45 ans vont devenir majoritaires dans le corps médical d’ici 2035-2040. Donc, on se retrouverait dans une situation ubuesque où ceux qui viennent décider du cadre de régulation et conclure la convention médicale, non seulement ne sont plus majoritaires, mais en plus viennent décider à la place de ceux qui le sont. Cette proposition a été perçue comme un pavé dans la mare alors qu’il ne s’agit que de propositions de bon sens.

Vous soulignez également la montée en puissance de l’exercice mixte, qui peut devenir le mode d’exercice dominant à moyen terme. Or, là encore, cette donnée n’est pas vraiment prise réellement en compte par les syndicats médicaux ou les unions régionales des professions de santé (Urps), qui font un préalable de l’exercice libéral majoritaire.

Aujourd’hui, le corps médical se partage entre les ARS pour tout l’aspect hospitalier, et les Urps pour le versant libéral de l’exercice, ce qui organise une scission de fait où l’exercice mixte n’est jamais traité. J’aurais tendance à choisir la négociation conventionnelle plutôt qu’une décision qui viendrait d’en haut, d’une ARS, parce qu’il m’apparaît que les décisions doivent être d’abord acceptées par le corps médical, pour passer ensuite dans les pratiques.

A vous lire, ressort l’idée qu’il y a obsolescence du modèle, tant dans la représentation que dans la prise en compte des évolutions qui traversent le corps médical.

Je n’irai pas jusqu’à employer le mot obsolescence. Je n’ai pas fait état de mon inquiétude à travers cette note. C’est plus la problématique des inégalités que l’on constate dans notre système de santé, même s’il est globalement bon, qu’elles soient sociales ou territoriale, qui me mobilise.  Il y a trop de problèmes, pour qu’ils ne soient pas pris à bras le corps. Et finalement, face à ceux qui pouvaient taxer d’entrisme, ou de démarche concurrentielle nouvelle, le fait de vouloir accorder de nouveaux avantages à la nouvelle génération, moi j’ai envie, à l’inverse, de prendre à bras le corps cette nécessaire évolution du système de santé pour finalement, accompagner toujours mieux les patients. Tout en étant en conformité avec les aspirations des professionnels.

Marisol Touraine a permis aux délégations de jeunes médecins, de participer avec voix consultative aux négociations conventionnelles, ce qu’ils font en ce moment dans le cadre des négociations sur la télémédecine, à la Cnam et, dans le budget 2018 de la Sécurité sociale. Agnès Buzyn a créé les conditions permettant toutes sortes d’expérimentations, y compris organisationnelles ou tarifaires sur le terrain. Comment jugez-vous ces initiatives, les choses bougent-elles suffisamment à vos yeux ?

Je relève surtout, depuis l’arrivée d’Agnès Buzyn, une reprise du dialogue. On n’est plus dans le contexte des positions dogmatiques défendues par Marisol Touraine sur un certain nombre de sujets. On se trouve dans une situation où, là encore, on croit en la concertation plutôt qu’en la coercition. J’y souscris totalement, ce qui a l’air d’être également le cas des professionnels concernés.

S’agissant des expérimentations, je trouve utile que pour mener des expérimentations et transformer notre système de santé, il faille partir de la base, du terrain, des professionnels qui s’imaginent déjà comme des entrepreneurs de santé et qui se disent prêts à développer un maillage de solutions utiles aux patients et à l’amélioration de notre système de santé. Le fait de progresser à petits pas, c’est toujours une avancée. On a vu bien des modèles conçus à Paris, être inefficaces, appliqués sur le terrain. Cela permet à des professionnels, de mettre le pied à l’étrier sans être contraints par une réglementation imposée.

La politique mise en œuvre par Agnès Buzyn, qui tend à sensibiliser tôt les futurs médecins à l’exercice de la médecine générale, multiplier les stages, les aider dans leur installation grâce à un guichet unique, etc. semble aller aussi ans les sens de vos préconisations...

Eh bien tant mieux ! C’est ce que j’envisage dans cette idée de parcours global de formation et d’installation. On peut avoir un continuum permettant de lever les barrières psychologiques ou sociologiques au fait de s’installer en libéral. Je ne crois pas du tout que l’exercice libéral est mort, contrairement à ce que disent certains. Il y a suffisamment de professionnels qui veulent s’y lancer, y compris parmi les jeunes générations, pour constater qu’il n’est pas mort. Mais il est en train d’évoluer, comme toute chose. Quand on a le sentiment de la bureaucratisation de l’exercice, quand on veut une meilleure qualité de vie avec une meilleure articulation ente vie professionnelle et vie privée, on se trouve dans une situation où on peut accompagner ceux qui le souhaitent. On ne force personne, mais on doit aider ceux qui veulent se lancer, leur fournir cette aide, créer cet écosystème.

Et là, vous appelez toutes les forces à la rescousse, en plus de l’assurance maladie : les mairies, les communautés de commune, les départements et les régions.

Mais tout le monde le fait déjà ! On voit des mairies se mobiliser parce que tous les médecins généralistes vont prendre leur retraite en même temps, des mutuelles financer des maisons de santé pluriprofessionnelles, des ARS lancer des expérimentations sur un certain nombre de sujets, les facultés de médecine, des starts up, se rapprocher de médecins pour proposer des solutions… Mais aujourd’hui, tous ces gens ne se parlent pas et on n’est pas dans cette idée de guichet unique. Or, alors qu’Agnès Buzyn propose un guichet unique pour l’ARS, je pense qu’il ne faut pas qu’il se limite à l’ARS, il doit permettre de coordonner les pouvoirs publics, et des partenaires privés qui peuvent être aussi intéressant, dans une logique d’aménagement du territoire.

 

* Pseudonyme d’un spécialiste des politiques de santé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

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