Luc Duquesnel, Président « Les Généralistes CSMF », salue la création du Fonds d’intervention organisationnel, inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018. Pour tous les médecins généralistes qui rêvent d’aller de l’avant, il imagine les opportunités nouvelles qui pourront émerger de cette innovation.

 

L’interview que le directeur général de la CNAM a accordé au Concours Médical (repris par egora.fr), concernant la mise en place d’un fonds pour l’innovation organisationnelle ouvert aux professionnels de santé libéraux vous a particulièrement intéressé. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Eh bien, parce qu’au travers de cette interview, il y a la reconnaissance que les professionnels de santé libéraux, sur le terrain, sont à l’origine de projets innovants et de nouvelles prises en charge. Il y a aussi une prise de conscience des problèmes auxquels ces professionnels libéraux sont confrontés. Ce sont des choses que l’on dit depuis des années, que nous disions auparavant dans le cadre des maisons et des pôles de santé et on sent désormais que ces problématiques sont reconnues. Nous nous heurtons à des problèmes d’ordre réglementaire, de nomenclature ou de rémunération qui ne correspondent pas aux réorganisations professionnelles envisagées. Ces difficultés se rencontrent aussi à l’occasion de prises en charge différentes de patients, éventuellement pluriprofessionnelles. Comme les autres professionnels libéraux, les médecins libéraux sont confrontés à des problématiques qui sont parfois insolubles pour mettre en place leurs projets.

Tout le monde reconnaît qu’aujourd’hui, pour des raisons diverses mais qui sont surtout démographiques concernant les généralistes, on doit modifier nos prises en charge. La population évolue, elle vieillit, elle est polypathologique, elle demande l’intervention de la pluri professionnalité. Aujourd’hui, pour ce type de patients, nos modes de rémunération doivent évoluer. Je relève, dans cette interview, à la fois la reconnaissance de tout ce que je viens de décrire, la reconnaissance du travail du terrain et la volonté d’aller de l’avant.

C’est la fin des carcans ?

On a le sentiment que s’ouvre une ère nouvelle et que le directeur de l’Assurance Maladie travaille main dans la main avec la Directrice Générale de l’Offre de Soins (DGOS), Cécile Courrèges, animé par la volonté de permettre à tous ceux qui sont porteurs de projets, d’évacuer les cadres contraignants. Pour ceux qui ont envie de faire bouger les choses, il y a une période intéressante qui s’ouvre devant nous.

Je trouve que l’on entend trop que les professionnels sont arc-boutés sur leur mode d’organisation actuel, qu’ils ne veulent pas changer. Je trouve qu’au contraire, ce fonds est une réelle avancée et je dirai que 2018, au travers du PLFSS, des changements intervenus au gouvernement et au ministère de la Santé et à la DGOS, en lien avec l’Assurance Maladie, rassemble les conditions pour le démarrage d’une ère nouvelle. J’ai l’impression que les pièces du puzzle s’assemblent progressivement.

Ainsi, si on veut mettre en place des projets qui répondent aux besoins d’un territoire, ce qui va générer des économies car la mauvaise organisation coûte cher, on pourra réfléchir à faire fi de la réglementation pour travailler dans un cadre dérogatoire. Ces projets, une fois retenus, devront bien sûr obtenir les financements nécessaires et ils devront aussi être évalués. Et si cette évaluation démontre que ce projet répond aux objectifs fixés et qu’il est performant, elle permettra de déboucher sur une généralisation afin de proposer ce projet à l’ensemble des professionnels de santé libéraux.

Mais la grosse problématique pour nous, c’est que nous ne sommes pas habitués à mener ces démarches. On ne sait pas comment monter les projets, répondre à des appels à projets et puis on n’a pas le temps. Il y a toute une méthodologie à apprendre et nous avons besoin d’être accompagnés aussi bien pour écrire les projets que pour les mettre en œuvre. Et dans cette interview, on note que l’Assurance Maladie a pris conscience de ce problème. Les arguments que nous avions fait valoir depuis des années ont été entendus. Aujourd’hui, nous avons une écoute. Mais ce n’est pas pour autant que tout va changer, tout de suite, demain matin. Les réflexions ne seront plus individuelles mais elles seront collectives au niveau d’un territoire.

Le fonds bénéficiera d’une enveloppe de 20 millions, plus 10 millions du Fonds d’intervention régional (FIR). D’aucun considère que c’est bien peu, les candidats risquent d’être nombreux, y compris dans les établissements hospitaliers.

On sait bien que des milliers de projets ne vont pas sortir tout d’un coup. Ensuite, avant de mettre en avant le niveau insuffisant de l’enveloppe, il faut d’abord monter les projets en gardant à l’esprit qu’en organisant mieux, on peut faire des économies. Tous ces projets-là, en théorie, ils s’autofinancent à court, moyen ou long terme. Les médecins qui vont monter un projet permettant de prendre en charge les soins non programmés, pourront éviter aux patients de se retrouver à l’hôpital à 250 euros la prise en charge, sans parler des hospitalisations qu’on aurait peut-être pu éviter. C’est vrai qu’il ne s’agit pas des mêmes enveloppes, mais cela peut évoluer. Dès l’année suivante, on peut imaginer que l’argent ne sera plus prélevé sur le FIR. Dans mon département, on a étendu l’organisation de la permanence des soins au samedi matin. Bien sûr, cela nécessite un financement dédié sur le FIR, mais ce projet génère d’emblée des économies supérieures au coût de son financement. Tous les patients qui allaient aux urgences, parce que leur médecin ne travaillait pas, sont maintenant pris en charge sur la garde ! Par la suite, il faut veiller à ne pas bloquer le financement FIR sur des expérimentations qui durent 10 ans…

ACI, ACIP et maintenant fonds organisationnel pour les innovations. Comment les choses vont-elles s’harmoniser entre ces divers dispositifs ?

L’Accord conventionnel interprofessionnel (ACI) fonctionne très bien, et la dernière négociation a eu pour but de permettre à toutes les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) d’y adhérer. A la limite, l’ACI pêcherait un peu pour les structures les plus matures qui ne sont pas financées à hauteur des nombreuses actions qu’elles mènent. Ensuite, il y a les 85 % des médecins généralistes restant. Je crains malheureusement que la voie de l’Accord cadre interprofessionnel (ACIP) ne soit pas la bonne et qu’elle échoue une nouvelle fois, ne parvenant pas à un accord entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et l’Union Nationale des Professionnels de Santé (UNPS). Mais si on regarde dans le rétroviseur, on a expérimenté un nouveau mode de rémunération avec l’avènement des MSP, qui s’est ensuite transformé en un accord conventionnel. On peut tout à fait imaginer que demain, ce soient les équipes de soins primaires et les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) qui expérimentent un nouveau mode de financement ouvert à ceux qui ont envie.  Et qu’ensuite, dans un deuxième temps, on pourra envisager un accord conventionnel.