La ministre de la Santé a reçu la rédaction d’Egora au ministère, pour expliquer la philosophie de son plan de lutte contre les déserts médicaux. Il impose plusieurs changements de paradigme, en confiant notamment aux médecins la co-responsabilité de l’accès aux soins sur le territoire, et en cherchant non plus à recruter à tout prix un professionnel dans une zone sous-dotée, mais à y “projeter du temps de soignant”.

Lire : Ce que prévoit le plan de lutte contre les déserts

Egora.fr : Aux côtés du Premier ministre, ce qui accroît sa portée au-delà du strict domaine médical, vous présentez un “plan de lutte contre les déserts médicaux”, qui veut pallier les effets de la désertification médicale en cours. À qui s’adresse ce plan ?

Agnès Buzyn : Ce plan s’adresse aux citoyens mais également aux médecins, aux professionnels de santé en général et aux agences régionales de santé [ARS]. C’est un plan qui va faciliter la recherche des solutions permettant de redonner du temps de professionnel de santé sur les territoires qui en ont besoin. Ce plan constitue un changement de paradigme, en ce sens qu’au lieu de chercher forcément à recruter un médecin dans un territoire sous-doté, il vise plutôt à y projeter du temps de soignant. Les aides et des primes à l’installation font naturellement partie du plan, nous y consacrerons 200 millions d’euros sur les cinq prochaines années. Mais nous considérons que la recherche de l’installation en tant que solution unique ne répond pas totalement aux besoins des citoyens en terme d’accès aux soins. Il est en outre compliqué de demander à un médecin qui a fait 10 ans d’études et passé deux concours difficiles de venir s’installer là où il n’a pas envie d’aller.

L’exercice médical a par ailleurs changé, il y a le souhait de concilier vie professionnelle et vie personnelle. On sent bien que miser tout sur l’installation d’un médecin par village est une manière réductrice de concevoir ce que peut être l’offre de soins dans un territoire. Nous voulons assurer à une population donnée qu’elle va être couverte par une offre de soins de qualité. C’est ce que j’ai appelé une forme de responsabilité territoriale des médecins de la région. Au travers de ce plan, je veux inciter les professionnels de santé hospitaliers et libéraux à s’organiser entre eux pour trouver des solutions innovantes de projection de temps médical sur le territoire sous-doté.

 

Comment ?

On va favoriser des exercices mixtes entre la ville et l’hôpital, par exemple en créant à destination des jeunes professionnels 300 postes de médecins partagés entre un exercice en ville et l’hôpital. Nous favoriserons également des exercices multi-sites dans différents cabinets médicaux une ou deux fois par semaine permettre que des spécialistes viennent dans une maison de santé donner du temps médical. En fait, on ne réfléchit plus en termes d’installation ou de densité de médecins, mais en termes de responsabilités territoriales des acteurs de santé sur un territoire.

Le deuxième changement de paradigme, c’est que nous ne proposons pas une solution toute faite en provenance du ministère, mais un panel de solutions et de facilitations d’exercice diversifié. Beaucoup de verrous réglementaires vont être levés, notamment tout ce qui concerne l’exercice mixte. Nous faisons confiance aux acteurs de terrain, et nous allons leur demander de trouver, pour chaque territoire, l’organisation la plus adaptée permettant de répondre aux besoins de santé d’un village, d’une communauté de communes lorsqu’il y a des difficultés. Notre intuition est qu’il ne peut pas y avoir qu’une seule solution. Tous les territoires ont des problématiques différentes, les solutions ne peuvent être les mêmes en ville, en zones péri-urbaines, en haute montagne ou dans une île des DOM. Il faut impérativement qu’on donne un panel d’outils aux professionnels de santé pour qu’ils imaginent eux-mêmes les solutions les plus adaptées à leur territoire.

 

Au travers d’une loi ?

C’est inscrit dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018, qui crée un fonds pour l’innovation, notamment organisationnelle, lequel permettra d’accompagner toutes les organisations innovantes, éventuellement par des financements au parcours, lorsque les professionnels s’organisent pour rendre plus efficient un parcours de santé, et se partagent les tâches. Ce fonds est doté de 20 millions d’euros plus 10 millions d’euros à la main des ARS via le fonds d’intervention régional  [FIR]. Et, accompagnant cet article qui donne un cadre expérimental pour cinq ans aux innovations organisationnelles, nous ajoutons toutes les dérogations réglementaires.

 

Si la création de ce fonds a été saluée, le corps médical regrette la faiblesse de sa dotation de 30 millions d’euros.

C’est ouvert, nous verrons s’il y a besoin de plus, ce n’est pas une enveloppe fermée, c’est une première réserve. Ce fonds a vocation à augmenter dans les années qui viennent. Notre objectif, c’est que cela fonctionne, pas de faire des économies sur les innovations territoriales. Il faut déjà faire émerger toutes ces initiatives, et je doute qu’elles soient toutes prêtes à l’expérimentation au 1er janvier 2018. Mais si tel est le cas, j’en serais ravie.

 

Pour ces initiatives dont vous parlez, comment faire concrètement pour qu’elles se développent, comment travailler avec les professionnels, quel sera le lien entre vous et les professionnels sur le terrain ? La convention médicale, une autre structure ?

Le plan fait entrer la télémédecine et la télé-expertise dans le droit commun, et cela sera négocié dans le cadre de la convention médicale avec la Cnam.

 

La télémédecine, c’est maintenant ?

Oui. Mais cela demande une règlementation. Je pense que tout ne peut pas faire l’objet de télémédecine. Nous saisissons la Haute Autorité de santé [HAS] pour définir les actes qui peuvent entrer dans la télémédecine et ceux qui ne le peuvent pas. Par exemple, pour quelqu’un qui a très mal au ventre il est difficile d’envisager une téléconsultation. Il faut poser la main sur le ventre. Il y a des symptômes ou des pathologies pour lesquels il faut toucher le malade. À l’inverse, dans un suivi de traitement d’antidépresseurs, pour interroger un malade sur ses symptômes, je pense que la téléconsultation peut être un outil très utile. Par exemple en psychiatrie. Je demande qu’on cadre bien ce qui peut faire l’objet de téléconsultation.

J’ajoute qu’avec ce plan nous changeons la gouvernance. Il y aura une gouvernance partagée avec les acteurs. La concertation a déjà commencé avec les professionnels, que ce soient les fédérations hospitalières, les syndicats de médecins ou de professionnels paramédicaux, les Ordres, tout le monde a été embarqué dans cette concertation. Ils sont partants, ils adhèrent tous à cette idée de responsabilité territoriale.

Il va falloir ensuite embarquer les gens de terrain. Nous allons mettre en place un comité de pilotage stratégique, dans lequel il y aura les élus : les Associations des maires de France, des départements de France, des régions de France, etc., les deux sénateurs qui ont rédigé un rapport sur la démographie médicale et les fédérations hospitalières, les Ordres, les syndicats, etc. pour bien suivre le déploiement de ce plan sur le terrain. Nous nous attelons aujourd’hui à l’élaboration d’indicateurs forts de l’accès aux soins sur le terrain, et le plan rendra compte chaque année de ces indicateurs. L’idée, c’est que ce plan soit dynamique et qu’il s’alimente des besoins du terrain. C’est-à-dire que si on voit apparaître des blocages, nous rajouterons des mesures.

Ensuite, nous allons nommer trois délégués territoriaux, une sénatrice Mme Elisabeth Doineau, un député M Thomas Mesnier et un professionnel de santé le Docteur Sophie Augros, qui vont se déplacer en région pour travailler avec les acteurs de terrain et avec les ARS, afin d’emmener tout le monde dans cette nouvelle manière de penser. C’est-à-dire qu’il n’appartiendra plus au ministère de décider de l’offre de soins, ce seront vraiment les acteurs de terrain organisés qui nous font remonter des propositions. Il y aura des animations en région, et les ARS auront un rôle de pilotage, car on va leur demander d’aider, de faciliter, d’accompagner les innovations, puis de réglementer. Ce qui représente aussi un changement de paradigme pour elles.

 

Plusieurs rapports se sont prononcés pour une certaine forme de coercition à l’installation dans les zones de faible démographie médicale. Quelle est votre position sur le sujet ?

Je ne crois pas à la coercition à l’installation. Je pense que l’on ne peut pas forcer de jeunes médecins qui font en moyenne douze ans d’études et qui passent des concours extrêmement difficiles à s’installer là où ils n’ont pas envie d’aller. Ces personnes s’engagent dans cette profession car elle est libérale. La coercition aurait pour conséquence que ces médecins se détourneront pour faire autre chose, dans l’industrie pharmaceutique ou en médecine du travail par exemple, mais ils ne s’installeront pas. On peut faciliter l’installation des médecins, être incitatifs au travers de mesures financières, très bien, mais la coercition, cela ne peut pas fonctionner.

 

L’atlas de l’Ordre prévoit une baisse conséquente du nombre de médecins généralistes à l’horizon 2025, 25 % d’effectifs perdus depuis 2007. Que faire pour contrer la désaffection des jeunes envers la médecine générale ?

Nous sommes en train de renforcer la formation de la médecine générale. La médecine générale est devenue une profession qui dispose de professeurs d’université qui sont formés à une pratique, à la recherche et à la formation des jeunes. Elle devient plus attractive. Nous allons faciliter la découverte de cette profession et de la pratique libérale sur les territoires par des postes de praticiens attachés mixtes entre l’hôpital et la ville. Nous allons favoriser la découverte de cette spécialité par des stages d’externes en médecine libérale et dans les zones sous-dotées. Nous faciliterons la formation des jeunes au sein de ces territoires dans un cabinet médical ou des maisons de santé pluriprofessionnelles avec des médecins généralistes qui seront maîtres de stage.

Nous allons également augmenter le nombre de places à l’internat pour la médecine générale, de façon à favoriser cet exercice. Aujourd’hui, il y a tout un tas de mesures qui vont permettre de rendre cette profession de plus en plus attractive et de plus en plus en lien avec l’université. Nous favoriserons la recherche en médecine générale. Tout cela, ce sont les souhaits des jeunes généralistes de s’impliquer dans la recherche en soins primaires.

 

Un des éléments de la désaffection de la médecine générale tient à la rémunération des praticiens libéraux. Ils se situent, sur ce plan, quasiment en queue de peloton des spécialités médicales, et en bas de la hiérarchie de l’Union européenne. Que pouvez-vous leur proposer ?

Je suis très sensible à cette question de rémunération. Je trouve que l’on ne valorise pas suffisamment l’exercice du médecin. On valorise dans le système de santé beaucoup plus les actes techniques. Je pense qu’il faut retrouver un bon équilibre. Ce qui a été négocié dans la convention médicale de 2016 me paraît aller dans le bon sens, avec une revalorisation des actes et des consultations complexes. Nous pouvons continuer à aller dans ce sens. Et puis je souhaite diversifier la rémunération des médecins, favoriser des rémunérations autour de la coordination des soins, autour du parcours de soins et autour de la pertinence des soins. Je pense que les médecins généralistes ont un rôle à jouer et pourraient bénéficier d’un complément de revenu par ce biais de rémunération innovante que j’essaie de favoriser dans le PLFSS que je présente cette année.

 

Cela pourrait-il prendre pour cadre la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) ?

Aujourd’hui, la Rosp concerne des objectifs chiffrés de santé publique, comme l’orientation vers l’arrêt du tabac ou le nombre de frottis ou de vaccins. Ce rôle est important, et je pense qu’il faut le renforcer. Il ne s’agit pas de remplacer la Rosp, mais de la compléter par des rémunérations innovantes autour du parcours. C’est autre chose.

 

Dans le cadre du fonds d’innovation ?

Oui, cela sera dans le cadre des 30 millions d’euros que nous dédions à ce fonds qui vise à favoriser des rémunérations innovantes.

 

Vous voulez développer les pratiques avancées. Qu’entendez-vous par là ? Les médecins et autres professionnels de santé sont réticents. Comment les rassurez-vous ?

Il existe déjà un dispositif général puisque nous allons vers la formation d’infirmières en pratiques avancées. C’était dans la loi de 2016. Les premières formations pour ces pratiques avancées débuteront en septembre 2018. Ces infirmières seront formées pendant deux ans par un DU de pratiques avancées. L’idée c’est qu’un certain nombre d’actes puissent être délégués à ces infirmières formées. Cela permettra aux médecins de récupérer du temps médical. On voit bien qu’il y a tout un certain nombre d’actes, assez normés et routiniers, qui pourraient tout à fait être partagés dans le cadre d’une meilleure coopération entre les différents professionnels soignants. Le suivi d’une hypertension artérielle ou d’un diabète, par exemple, peut être délégué. Mais ça n’est pas le cas pour tout. Ce que l’on appelle la pratique avancée aujourd’hui, c’est la capacité qu’ont certains professionnels formés à s’emparer d’actes ou de suivis normés dans leur pratique.

 

Comment tout cela va-t-il s’articuler en termes de rémunération ?

Aujourd’hui, il y a le cadre général de ces infirmières en pratiques avancées qui seront formées et qui auront évidement une rémunération qui sera discutée au sein du ministère.

Dans le cadre du plan d’accès aux soins, nous voulons valoriser des initiatives innovantes qui permettraient aux professionnels de santé sur un territoire (médecins, infirmières, kinés, pharmaciens…) de mieux coopérer et de pouvoir davantage se répartir entre eux un certain nombre d’actes. Cela serait rémunéré par des financements innovants autour du parcours de soins, par exemple. Cette organisation serait décidée par ces professionnels et pas plaquée par le ministère. Cela viendrait d’une initiative de terrain où l’on aurait décidé de partager un certain nombre de tâches entre différents professionnels de santé. À chaque territoire de trouver ce qui lui convient. En revanche, ce sera expérimental et suivi. Il ne s’agit pas d’expérimentations tout-venant sur tout le territoire, ce sont des expérimentations évaluées.

 

Vous voulez doubler le nombre de maisons de santé pluriprofessionnelles. Vous voulez également accroître le nombre de centres de santé. Or, les maisons de santé figuraient déjà dans la stratégie de santé de votre prédécesseur, Marisol Touraine, avec un succès mitigé. Certaines sont encore vides, désertées par les médecins. Elles coûtent très cher. Comment rendre ces structures attractives pour les praticiens ?

Chaque fois que ces initiatives ont été menées sans projet et sans leader médical, ça n’a pas fonctionné. Il faut d’abord former les jeunes médecins à l’idée de cet exercice pluriprofessionnel. C’est quelque chose qui va se déployer dans le troisième cycle. On voit bien que dans la formation socle il y a des formations dédiées à l’exercice pluriprofessionnel. Il faut leur donner envie. Il faut ensuite leur faire découvrir ces maisons de santé pluriprofessionnelles, c’est pour ça qu’elles vont devenir des lieux de stage. Nous allons multiplier les lieux de stage et le nombre de médecins formateurs dans les maisons de santé. On va y mettre des externes et des internes pour leur donner envie de s’impliquer dans ce type de projet et d’être leaders d’un projet.

Au-delà de ces centres et maisons de santé que nous souhaitons doubler, nous souhaitons favoriser des exercices pluriprofessionnels en réseau. Ça ne passe pas forcement par des murs. Dans ce cas-là, un médecin peut s’organiser avec une infirmière, un kiné ou encore un pharmacien pour trouver une organisation qui permette une couverture territoriale sans forcément être dans la même maison.

 

Que dites-vous à ces médecins qui ont 50 ans, qui n’ont pas envie de quitter leurs cabinets, qui ne sont pas intéressés par les maisons de santé et qui sont exclus de toutes les rémunérations spécifiques intéressantes ?

Justement, le plan va leur permettre d’en bénéficier. On va non seulement favoriser les maisons de santé, conformément à l’engagement du Président de la République, mais aussi favoriser les exercices coordonnés. Il est important pour la sécurité du patient et son suivi dans le cadre du parcours de soins de créer et de formaliser l’exercice coordonné. Le système de santé français n’est pas mauvais. Les médecins ont tous l’habitude de discuter entre eux, mais l’idée c’est de donner la possibilité, à travers des protocoles de coopération simplifiés, d’écrire et de mettre en avant l’exercice coordonné pour entrer dans une responsabilité territoriale. Le médecin isolé a un impact dans sa façon de prendre en charge les patients, et il est important d’avoir une vision territoriale de cela.

Pour vous donner un exemple, nous allons donner la possibilité à un médecin généraliste qui a son cabinet libéral et qui a l’habitude de travailler avec des infirmières, des pharmaciens… de formaliser une organisation d’exercice coordonné, en réseau, de ces professionnels sur le terrain et de formaliser des protocoles de suivi dans lesquels il pourra y avoir des délégations de tâches, par exemple. On pourra dire que le médecin a X patients avec une hypertension artérielle mal contrôlée, et que l’infirmière aura pour vocation de les suivre. Mais il faut que ce soit écrit. Cela rationnalise l’exercice, fait gagner du temps à tout le monde et sécurise. C’est ce que nous voulons favoriser sur le territoire, au lieu d’avoir des professionnels libéraux qui travaillent un peu en silo, qui, même s’ils se connaissent, n’ont pas pensé à protocoliser un suivi de population.

 

Et là encore, il y a un problème de rémunération…

Mais c’est bien pour cela que le plan prévoit un financement. Mais la question c’est aussi de savoir si la rémunération à l’acte permet de rémunérer tous les actes du parcours de soins. C’est une vraie question. D’où l’intérêt du fonds, de l’accompagnement et de l’évaluation que nous allons mettre en place pour savoir exactement quelle est la rémunération la plus adaptée dans le cadre du parcours de soins. Le souci avec la rémunération à l’acte, c’est qu’elle rémunère une personne de façon individuelle, et qu’elle ne s’intègre pas dans une responsabilité territoriale. C’est pour cela que l’objectif du comité est aussi de suivre ces différentes actions d’organisation territoriale pour détecter quelle va être la meilleure rémunération.

 

Vous n’avez donc pas d’idées préconçues…

Surtout pas ! Je veux promouvoir une nouvelle approche. On ne plaque aucune solution. On voit bien que c’est compliqué, que ça ne répond pas à toutes les situations individuelles des territoires. On sait que les professionnels sur le terrain ont plein d’idées, et sont innovants. Il faut que nous facilitions leurs initiatives, en les accompagnant, en les évaluant, en les finançant. Et ce qui marchera, on le déploiera. J’espère donc que dans trois, quatre ou cinq ans nous aurons plein de projets de rémunération partagée autour de la coordination, du parcours de soins, que nous pourrons utiliser comme étant emblématique de ce qu’il faut faire sur le territoire pour le déployer et favoriser la diversification de la rémunération des médecins généralistes.

 

Qu’attendez-vous de l’hôpital ?

Qu’il s’implique ! On voit très bien qu’il y a des hôpitaux locaux avec des praticiens hospitaliers, qui ne seraient pas insensibles à avoir une partie de leur activité en libéral. Aujourd’hui, c’est très compliqué. Si un praticien hospitalier veut passer à mi-temps en libéral, et avoir un cabinet ou s’intégrer dans une maison de santé, il ne peut pas. On va faciliter des exercices partagés, qui permettront par exemple à un praticien hospitalier de passer deux jours par semaine dans un territoire, à 60 km de l’hôpital, pour donner du temps médical. On va proposer tout un tas de dispositifs qui facilitent des exercices très diversifiés pour les professionnels, qu’ils soient hospitaliers ou libéraux. Nous allons valoriser l’hôpital pour le temps donné à l’extérieur. Ça veut dire aussi qu’on va demander aux professionnels d’avoir des réflexions communes autour des responsabilités territoriales.

 

Vous voulez qu’ils enterrent la hache de guerre…

Mais c’est mon obsession depuis que je suis arrivée dans ce ministère ! Mon obsession c’est d’arrêter les fractures entre l’hôpital et la ville, d’arrêter les oppositions stériles. Aujourd’hui, il y a un besoin en soins sur les territoires, les gens n’en peuvent plus, ils sont angoissés. J’ai envie de dire à tous les professionnels, qu’ils soient libéraux, hospitaliers, médecins, pharmaciens, infirmiers : on se retrousse les manches, on se prend tous par la main et on réfléchit à comment on offre sur un territoire les soins dont les gens ont besoin, en arrêtant de se regarder en chiens de faïence, en arrêtant de penser que tel ou tel secteur d’activité appartient à tel ou tel professionnel.

 

Un mot sur le numerus clausus. Quelle est votre position sur le sujet ?

Je suis ouverte à toutes les réflexions. L’erreur que nous avons faite dans la démographie médicale, c’est d’avoir assez peu anticipé les changements d’exercice, l’appétence des jeunes médecins pour un exercice qui concilie plus la vie professionnelle et la vie personnelle. On a pensé ces dernières années le numerus clausus en quantité de médecins et pas en temps médical. D’où cette difficulté que nous avons à rattraper le temps perdu, à former des jeunes médecins qui sont manquants sur le territoire avec dix ans de retard parce que nous n’avons pas anticipé. Je ne voudrais pas me retrouver dans la même situation dans quinze ans : avoir ouvert les vannes parce qu’il n’y a pas assez de médecins, et avoir un exercice médical complètement transformé où l’intelligence artificielle, les algorithmes décisionnels… font que l’exercice de la médecine est complétement différent, avec beaucoup moins d’hôpitaux et moins besoin de lits d’hôpitaux parce que tout se fait en ambulatoire. Donc, avant d’ouvrir le numerus clausus, je veux que nous ayons une réflexion sur ce que sera la profession de médecin à l’horizon 2025.

 

Source :
www.egora.fr
Auteurs : Sandy Berrebi-Bonin, Catherine Le Borgne et Fanny Napolier

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