Commander un médecin à domicile comme on commanderait un chauffeur privé. C’est la promesse faite par deux applications, qui vont se lancer à Paris dans les prochaines semaines. Aux commandes, des start-up qui entendent répondre à une demande de service des patients et à un besoin de flexibilité des jeunes médecins. Bouleversant les règles du soin non programmé, marchant sur les plates-bandes de SOS médecins, la démarche laisse sceptique.

 

C’est l’histoire d’un jeune Parisien malade qui a du mal à trouver un médecin disponible pour une consultation à domicile. “C’était en 2015. Le seul site de prise de rendez-vous en ligne que je connaissais à l’époque me proposait des disponibilités que 48 heures plus tard. Avec mon coloc, Florian Ghého, médecin urgentiste, on s’est dit que c’était dingue qu’il n’y ait rien qui permette de faire venir un médecin directement chez soi en sachant dans combien de temps il va arriver et combien ça va nous coûter”, relate Pierre Blanchard, diplômé en ingénierie du patrimoine. C’est ainsi que l’idée de l’appli Docadom a germé dans l’esprit des deux trentenaires*. Après deux ans de réflexion et de développement, elle sera lancée dans le 18e arrondissement de Paris “tout début mai”, avec une vingtaine de “médecins partenaires”.

 

Uber

Sur le modèle d’Uber, elle promet aux patients de commander une visite à domicile en moins de deux heures et “en trois clics”: un pour se géolocaliser, un pour entrer les coordonnées bancaires et un pour confirmer la prise en charge. Un algorithme déniche et informe le médecin disponible le plus proche, calcule le temps d’attente et le tarif prévisionnel de la consultation, en fonction de l’heure. Le service sera disponible de 8 heures à minuit, dans un premier temps. “On estime que si un patient a besoin de consulter en nuit profonde, c’est que cela relève de l’urgence. Sinon, ça peut attendre le matin”, précise Pierre Blanchard.

Manque de pot, une autre start-up a eu la même idée, issue elle aussi d’une mauvaise expérience personnelle : le malaise d’une personne âgée un dimanche matin, un médecin urgentiste qui tarde à arriver, le Samu appelé dans l’après-midi, l’issue fatale dans la nuit. Portée par la SARL Synapse, l’appli MedaDom sera lancée d’ici la fin du mois dans le 17e arrondissement de Paris, puis dans les communes de l’ouest parisien. Là encore, le patient pourra solliciter une visite en quelques clics, mais il devra notifier le motif de la consultation, du simple renouvellement d’ordonnance à l’urgence. L’algorithme préviendra les médecins disponibles aux environs, qui auront 90 secondes pour répondre à la demande. A la différence de Docadom, MedaDom offre la possibilité au patient d’accepter ou non le médecin, après avoir consulté son profil et les tarifs pratiqués. “Il était important de laisser au patient le libre choix du médecin, c’est un principe fondamental de la déontologie”, explique le Dr Charles Mimouni, biologiste médical et co-fondateur de la start-up**.

 

Visites de “confort”

Une fois la prise en charge validée par les deux parties, le médecin contacte le patient pour caler son intervention, qui peut être immédiate si besoin. Au médecin d’en juger et d’en assumer la responsabilité. MedaDom fonctionnera 24h/24. Elle répondra aux demandes de soins non programmés mais aussi aux simples visites “de confort”. La start-up proposera ainsi aux patients de faire venir un médecin sur leur lieu de travail. “Les gens sont loin de leur médecin traitant, et s’ils veulent consulter ils sont obligés de prendre une demi-journée”, relève le Dr Mimouni.

Dans les deux cas, on met en avant la nécessité de désengorger les urgences saturées par la bobologie, faute de médecins traitants disponibles. Mais on se défend de concurrencer les généralistes. “C’est un complément de prestations qu’ils n’arrivent pas à fournir. Ils ne prennent plus de nouveaux patients et ne se déplacent plus que rarement au domicile, pour leurs patients âgés”, souligne le Dr Mimouni. “Si c’est pour un renouvellement d’ordonnance ou un check-up, les médecins généralistes restent les personnes à contacter en priorité”, insiste Pierre Blanchard.

 

Astreinte non payée

Si la demande des patients ne fait aucun doute -700 personnes se sont déjà inscrites pour tester MedaDom-, la participation des médecins, elle, interroge. Qui sont ces médecins capables de se déplacer à la minute, sans que l’astreinte ne soit payée ? Essentiellement des jeunes généralistes thésés mais qui ne se sont pas encore installés. “90% attendent entre 4 et 6 ans après leur thèse avant de s’installer. Il y a une grosse période de nomadisme”, relève Charles Mimouni. “A Paris, il n’y a plus d’installation, mais les remplacements explosent, pointe Pierre Blanchard. Les jeunes diplômés ont peur de se sédentariser et ne veulent pas finir leur longue journée par la comptabilité et l’administratif.”

Docadom leur propose de s’occuper de tout: la start-up fournit la trousse médicale, le véhicule, la gestion de la comptabilité, de l’administratif, le téléphone, etc. Seul impératif : adhérer à l’association où les médecins se regroupent pour constituer le cabinet. Mais la start-up compte aussi dans ses rangs des médecins installés. Les premiers devront payer à la fin de chaque mois une facture représentant 20% des honoraires perçus, tandis que les seconds, qui se contentent d’utiliser le logiciel et l’appli, s’acquitteront de 10% des honoraires.

 

Tarifs secteur 1

Même modèle économique du côté de MedaDom. La rémunération se fait directement du patient au médecin et la start-up prélève “des frais de mise en relation forfaitaires”: 1 euro par consultation pour les patients, 5 euros pour les médecins. Un médecin qui se mettrait en disponibilité un dimanche ou en nuit profonde a toutes les chances d’enchaîner les visites, met en avant Charles Mimouni. Les start-up demandent aux médecins de pratiquer des tarifs de secteur 1. Dans le cas de MedaDom, les dépassements exceptionnels répondant à des demandes “non médicales” devront être écrits noir sur blanc sur le profil du médecin.

Du côté des principaux concernés -les remplaçants, la démarche laisse sceptique. “Ce n’est pas le modèle qu’on défend, commente le Dr Sophie Augros, présidente de l’intersyndicale ReAGjir  (Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants). On va manquer de médecins généralistes dans les années à venir et on a déjà du mal à répondre à la demande, alors dégager du temps médical pour ça… Les visites à domicile sont essentielles pour les personnes âgées fragiles ou pour celles qui sont bloquées par une lombalgie aiguë, par exemple. Pour les premiers, il y a les médecins traitants, pour les seconds il y a la régulation médicale.” Pour la jeune femme, ces applis remettent en cause “toute l’éducation des patients faite par les médecins”: “une demande immédiate n’appelle pas forcément une réponse immédiate”. Encore moins pour une visite de confort.

Même perplexité du côté d’SOS médecins, qui assure déjà les soins non programmés dans la capitale. Le Dr Serge Smadja, président de SOS médecins Grand Paris, voit d’un bon œil la création d’une appli. “C’est une modalité opérationnelle qui va améliorer la prise en compte de la demande”, approuve-t-il. D’ailleurs, SOS médecins lancera la sienne à la rentrée. “Mais une appli n’est pas une machine à fabriquer les médecins. Ce dont on manque, c’est de médecins”, martèle Serge Smadja. Le modèle économique est-il viable sur le long terme? La promesse de frais réduits suffira-t-elle à attirer ces médecins “mercenaires”? Le président d’SOS médecins Paris en doute. Mais il déplore surtout l’absence de régulation, qui est “le pivot de la garde”. Dans le cas de Docadom, le médecin se déplacera sans même avoir établi un contact préalable avec le patient. “A un clic, ils répondront par un délai”, pointe-t-il, rappelant que 20% des quelques 500 000 appels reçus par SOS Paris en 2016 n’ont donné lieu qu’à du conseil. “Ne pas hiérarchiser les demandes, ça me paraît irresponsable.” A mille lieux des “valeurs et principes” de SOS médecins.

 

* Rejoins depuis par Marc Postel-Vinay, interne en médecine générale.

** Aux côtés de son fils, Eli-Dan Mimouni, externe en 6e année, et Alexandre Bellage, co-fondateur de la start-up Optimiam.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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