A 30 ans, elles ont déjà sacrifié plusieurs années à leurs études. A l’aube d’une longue carrière, leur vie personnelle reprend le dessus. Avec la féminisation des études de médecine, il n’est plus rare de voir poindre des petits ventres rebondis sous les blouses des internes et jeunes diplômées. Mais dans les services, sept mois de galères les attendent. Témoignages.

 

“C’est facile de dire qu’on est enceinte pour ne pas faire de gardes.” Une remarque que Marie*, 30 ans, n’est pas près d’oublier. Interne en endocrinologie, la jeune femme est enceinte lorsqu’elle entame son 4e semestre. Une grossesse “programmée” : “je ne voulais pas tomber enceinte avant les ECN, ni avant d’arriver à la moitié de mon internat”, raconte-t-elle. Marie travaille du lundi au vendredi de 9h à 19h, plus un samedi sur deux. Des longues journées passées “la plupart du temps debout”, auxquelles s’ajoutent deux heures de transports quotidiennes. Et des gardes de 24 heures. “On peut en être légalement dispensée à partir du deuxième trimestre (voir encadré). Moi, j’en ai fait tant que ça allait, jusqu’à trois mois et demi de grossesse. La dernière garde prévue, je l’ai redonnée à une amie : j’avais passé celle d’avant à vomir”, se souvient-elle.

 

“C’est très mal vu d’être enceinte”

A partir de là, les relations avec les autres internes de l’hôpital se tendent. “Il y avait une interne de moins sur le planning…” La jeune femme encaisse et assume ses missions jusqu’au 7e mois. “J’avais beaucoup de contractions, on m’a dit qu’il fallait que j’arrête. J’ai dû rester un mois sans bouger”, relate la jeune maman, qui a perdu un semestre avec son congé maternité. Elle relativise : “Il y a des spécialités où c’est plus dur d’être enceinte, comme en chirurgie. C’est un milieu plus masculin, plus compétitif et il y a plus de gardes. C’est très mal vu d’être enceinte.”

Le cas de Marie n’a plus rien d’exceptionnel. Féminisation des études de médecine oblige, les grossesses se multiplient. Dans leur enquête sur la santé mentale des étudiants et jeunes médecins, les syndicats se sont penchés sur cette nouvelle donne. “La question était de savoir si cette féminisation avait un impact sur les risques psycho-sociaux et en termes d’organisation des services”, rapporte le Dr Ludivine Nohales, psychiatre et secrétaire générale de l’ISNCAA (Intersyndicat national des chefs de clinique et assistants). Les chiffres surprennent : sur 14 971 étudiantes et chefs de clinique assistantes répondantes, 917** rapportent une grossesse actuelle ou passée, soit 8.5% d’entre elles.

Et parmi elles, plus de la moitié (54,4%) n’ont bénéficié d’aucun aménagement de planning (plus de consultations en bureau, temps de repos…). “C’est un chiffre qui nous interpelle… Il faut aller plus loin dans l’analyse des données pour voir quelles sont les conséquences en termes de santé physique (fatigue) et mentale (anxiété, dépression)”, commente Ludivine Nohales. Pour la psychiatre, une chose est sûre : “la grossesse n’est pas prise en compte dans les services… jusqu’au jour où ça ne va plus et que la femme enceinte ne peut plus travailler à cause de la fatigue ou des contractions”, constate-t-elle. Avec, en bout de courses, des accouchements prématurés.

 

“Quand on veut faire un bébé, on ne choisit pas un stage avec des gardes”

Tout comme Marie, Isabelle*, interne en médecine générale de 29 ans, espérait tomber enceinte avant de s’installer, pour pouvoir bénéficier d’un congé maternité. La jeune femme sait qu’elle peut demander à être en surnombre sur un stage (voir encadré). “Mais au moment de la répartition, je ne savais pas que j’étais enceinte”, raconte-t-elle. Manque de pot : une autre interne, enceinte de trois mois, est déjà en surnombre et dispensée de garde. Cette deuxième grossesse n’a donc “pas été très bien accueillie”. “En gynéco, on était cinq internes de MG, que des femmes. On avait des demi-gardes aux urgences, de 18h à minuit. Je leur ai dit que j’allais faire mon quota”, rapporte Isabelle. Côté hiérarchie, c’est le silence radio : “le chef de service ne s’intéressait qu’aux internes de gynéco, nous les MG, on était des bouche-trous.” Le nez dans le guidon, la future maman s’épuise. “Le dernier mois, j’étais plus fatiguée, oui, mais je ne m’en rendais pas forcément compte. J’ai eu des contractions assez tôt, mais ça allait au niveau du col”, se rappelle-t-elle. Au rendez-vous du 7e mois, la sage-femme met le hola : “elle m’a dit que le bébé était vraiment très bas, qu’il appuyait sur le col et qu’il fallait s’arrêter.” Isabelle prévient ses co-internes par SMS. L’une d’entre elles ne se donne pas la peine de répondre, l’autre lui reproche de ne pas avoir signalé qu’elle était fatiguée. “Elle m’a lancé : ‘quand on veut faire un bébé, on ne choisit pas un stage avec des gardes’.” Sa fille nait quinze jours plus tard, à 33 semaines d’aménorrhée, “plutôt en bonne santé”. “Elle n’a pas eu besoin d’assistance respiratoire et a passé 10 jours en couveuse le temps d’apprendre à réguler sa température. Elle est restée hospitalisée 3 semaines et demi en tout.”

 

“Les internes ne sont pas payées à dormir”

En vingt ans, alors que les études se sont féminisées, rien n’a changé. En témoigne Joëlle*, MG de 44 ans, trois grossesses à son actif : une en tant qu’interne, une en tant que remplaçante, une en tant que médecin installée. La première a été aussi dure que la dernière. En stage dans un CH local, la jeune femme est la seule interne du service de médecine polyvalente, où l’activité est soutenue et les gardes ne sont pas en option. “On m’a fait comprendre que je mettais en difficulté l’établissement si je ne faisais pas les gardes.” Des gardes qui couvrent tout l’hôpital (sauf les urgences), plus la maison de retraite, soit 150 lits. Joëlle fait face, entre inquiétude et bienveillance des équipes. Le chef de service lui ménage un petit temps de repos après les gardes : “il ne me réveillait que le lendemain, un peu avant midi pour les transmissions”, se souvient-elle. Un aménagement qui lui vaudra une remarque acerbe d’une infirmière : “les internes ne sont pas payées à dormir”, rapporte Joëlle.

La fatigue et la menace d’accouchement prématurée à 6 mois, ce n’est pas ce qu’elle retient. “Le plus lourd à porter, c’était l’absence de soutien, insiste-t-elle. J’avais l’impression d’emmerder tout le monde, rien qu’en étant enceinte. J’étais un grain de sable dans une organisation qui n’est pas faite pour ça.” La deuxième grossesse, à côté, est une partie de plaisir. “J’étais remplaçante. J’ai pu gérer ma charge de travail. Je me suis ménagée : je ne faisais pas de garde. J’ai travaillé jusqu’à 36 semaines et accouché à 38, comme une fleur.” CQFD. “On est comme tout le monde, on a envie d’avoir des enfants. Les études s’allongent, mais pas la fertilité “, remarque Joëlle. “Les grossesses ne sont plus ponctuelles, elles deviennent courantes. On ne peut plus ne pas les voir”, conclut le Dr Nohales.

 

*Les prénoms ont été modifiés.
**19 étudiants de 1er cycle, 74 externes, 524 internes et 300 chefs de clinique/Assistants hospitaliers universitaires et assistants des hôpitaux.

 

En cloque, mode d’emploi

Surnombre : En cas de grossesse, l’interne qui prend part à la procédure de choix de stage peut demander à effectuer celui-ci en surnombre auprès de l’ARS, sur justificatif. Un poste en surnombre permet l’ajout d’un poste supplémentaire au nombre de postes déterminés par la commission d’évaluation des besoins de formation pour un lieu de stage agréé ou auprès d’un praticien agréé – maitre de stage. Le surnombre permet de ne pas perturber le bon fonctionnement du lieu de stage, notamment par l’aménagement des conditions de travail. Si l’interne quitte le service en cours de semestre, l’équipe demeure complète.
Quant aux chefs de clinique et assistants, si le congé maternité ne leur permet pas de justifier de deux ans d’exercice effectif, elles peuvent demander à être maintenues en fonction en surnombre.

Stage validant ou non validant : le stage peut être validant (au moins 4 mois effectués sur 6) ou non validant. Dans ce dernier cas, l’interne choisit le stage indépendamment de son rang de classement.

Dispense de garde : A partir du 3e mois de grossesse inclus, l’interne est dispensée de faire des gardes de nuit. Quant aux chefs de clinique, un avis du médecin du travail ou un certificat médical est nécessaire.

Congé maternité : il est d’une durée égale à celle prévue par la législation de la sécurité sociale.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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