Moins fréquente, plus ciblée, parfois numérique, plus encadrée… la visite médicale a connu une véritable mutation depuis le début des années 2000. La Haute Autorité de santé vient de publier un nouveau référentiel de certification, à haut niveau d’exigence.
En l’espace de dix ans, cela n’a pas échappé aux médecins généralistes, la visite médicale (VM) a connu une grande transformation. La première des raisons est la modification du portefeuille des produits de la plupart des laboratoires. Beaucoup des dernières molécules mises sur le marché sont de plus en plus ciblées et parfois primoprescrites à l’hôpital, tandis qu’une grande partie des médicaments, à cible très large, lancés dans les années 1990 et 2000, sont désormais tombés dans le domaine public et ne font plus guère l’objet de promotion. Conséquence : sur cette période, le nombre de délégués médicaux a été divisé par 2.
De 23.821 à 12.282
Selon les chiffres du Leem (Les Entreprises du médicament) – qui leur délivre leur carte professionnelle –, on comptait au 31 décembre 2016, 12 282 salariés chargés de “l’information promotionnelle” sur le terrain. Ils étaient 23 821 en 2004, année où les effectifs étaient au plus haut. À cette époque, on comptait 2 000 nouveaux diplômés par an contre une trentaine aujourd’hui. Est-ce à dire que la VM a vocation à disparaître ? “Nous pensons que l’information promotionnelle sur le médical ne va pas disparaître mais qu’elle va se transformer, répond Pascal Le Guyader, directeur des affaires sociales et industrielles du Leem. Nous prévoyons un besoin de 8 000 à 9 000 collaborateurs d’ici 2020, mais avec des profils différents de la génération actuelle de visiteurs médicaux.”
Beaucoup de laboratoires travaillent actuellement sur la numérisation de la VM par Internet et par téléphone. Un moyen aussi de s’adapter aux contraintes d’agenda des médecins de ville, dont certains préfèrent isoler un moment dans leur temps plutôt que de continuer à recevoir le visiteur médical entre deux patients. “Il y a encore beaucoup de médecins qui apprécient la VM en face à face, car c’est un temps d’échanges qui leur permet de sortir de leur quotidien, estime Pascal Le Guyader. Cependant, il est certain qu’on se dirige, dans le même temps, vers une dématérialisation de l’information car les plus jeunes sont friands des supports digitaux.”
Forme et fond
Par manque de temps ou par principe, le refus de la VM semble en progression chez les plus jeunes médecins. Mais selon une étude du Leem de 2012, 72 % des médecins y sont toujours favorables. Moins fréquente, la VM évolue aussi dans la forme. “Dans les prochaines années, la VM sera sans doute moins centrée sur le médicament, car nos molécules s’inscrivent dans un environnement de plus en plus global”, confirme Pascal Le Guyader.
L’exemple type est sans doute le diabète pour lequel la prise en charge passe désormais par des dispositifs médicaux de plus en plus connectés, que les visiteurs médicaux présentent aussi aux médecins. “Le rôle du visiteur médical est de faire la promotion du médicament, personne ne le nie, ajoute Pascal Le Guyader. Néanmoins, le visiteur apporte surtout une information au médecin qui va lui permettre de comparer les molécules pour une même pathologie et de faire le meilleur choix thérapeutique pour ses patients. Il ne faut pas oublier que le visiteur médical présente aussi les conditions de prise en charge du médicament par l’assurance maladie, les effets indésirables, les contre-indications et le bon usage. Tout cela contribue à une meilleure information du médecin.”
C’est dans ce contexte qu’une nouvelle “charte de l’information promotionnelle” a été signée entre le Leem et le Comité économique des produits de santé (Ceps), en charge, au sein du ministère de la Santé, des relations avec l’industrie et notamment des négociations des prix en 2014, dix ans après la première qui avait créé l’obligation de certification de la VM.
Niveau de connaissances
Ce texte a été traduit par la Haute Autorité de santé (HAS) dans un référentiel de certification “de l’activité d’information par démarchage ou prospection visant à la promotion du médicament”, autrement dit la VM au sens large, puisqu’il inclut également les autres professions de santé (pharmaciens, infirmières, sages-femmes) et toutes les formes de contacts entre les industriels et les professionnels de santé, y compris les congrès et les enseignements postuniversitaires.
Ce nouveau référentiel complet, qui a été publié début avril par la HAS, sert de guide aux organismes certificateurs qui ont pour mission de vérifier la conformité des pratiques des industriels avec les principes de la charte. “On renforce l’idée que les industriels sont partie prenante du bon usage du médicament, explique Anne-Sophie Grenouilleau, cheffe de projet, responsable des questions relatives à l’information promotionnelle à la HAS. Le principe de base est que le visiteur médical doit donner au médecin les informations sur les données de sécurité du médicament et ne pas parler que des bénéfices.” Un principe partagé. “La certification permet de montrer que les laboratoires ont des pratiques de promotion conformes à la charte, approuve Pascal Le Guyader. C’est quelque chose de très structurant qui donne des gages de sérieux, et prouve que les visiteurs médicaux sont à jour de leurs connaissances.”
– 12 282 salariés
– Moyenne d’âge : 45 ans
– 73 % de femmes
– Carte professionnelle délivrée par le comité paritaire de la VM au sein du Leem qui s’assure de leurs diplômes et de leurs évaluations par leur entreprise
En effet, un point important du référentiel est le contrôle du niveau de connaissances des délégués. Ceux-ci doivent désormais être initiés annuellement par leur entreprise, et des actions de formation doivent être entreprises en cas d’insuffisance. “Les salariés vont être évalués sur leur connaissance des produits qu’ils présentent chaque année et non plus seulement au moment du lancement du produit, précise Anne-Sophie Grenouilleau. De plus, ils seront aussi évalués sur leur connaissance plus large de l’environnement du médicament, ce qui devrait également contribuer à une meilleure qualité de l’information donnée au médecin.” Les visiteurs médicaux doivent ainsi connaître notamment sur le bout des doigts les règles de prescription et de bon usage, les modalités de prise en charge par l’assurance maladie, les principes d’organisation du système de soins et les principes de la pharmacovigilance. Par ailleurs, “les messages que les délégués médicaux vont transmettre aux médecins doivent être faits avec au moins un des supports validés a priori par l’Agence nationale de sécurité du médicament”, ajoute Anne-Sophie Grenouilleau.
À noter aussi que même si c’est “relativement rare”, en cas de plaintes sur des pratiques promotionnelles qui ne respecteraient pas les règles, “les organisateurs certificateurs doivent s’assurer que l’entreprise a mis en place des mesures correctives”.
Zéro cadeau
Enfin, sur l’aspect déontologique de la visite, la charte va au bout de la logique de la loi “anticadeaux” de 1993, qui avait déjà été amplifiée par la loi Bertrand de 2011. Elle étend le champ d’application des interdictions et instaure de nouvelles obligations de transparence via le site transparence.sante.gouv.fr, qui recense pour chaque médecin les avantages en nature et en espèces de montant supérieur à 10 euros.
Une ordonnance adoptée en janvier dont les dispositions entreront en vigueur au plus tard en juillet 2018 précise encore plus clairement la double interdiction d’accorder et de recevoir des “avantages”. Elle reprend de fait un point de la charte : “La personne exerçant une activité d’information par démarchage ou prospection ne doit ni proposer aux professionnels de santé de cadeaux en nature ou en espèces faisant ou non l’objet d’une convention, ni répondre à d’éventuelles sollicitations dans ce domaine”. Exit donc des cabinets médicaux les stylos et autres blocs-notes remis par les visiteurs. “Un des principes de la charte, c’est le zéro cadeau, même de valeur négligeable, rappelle Anne-Sophie Grenouilleau. Il ne sera plus non plus possible de remettre des échantillons de dispositifs médicaux, de produits cosmétiques et de compléments alimentaires, comme c’est déjà le cas pour le médicament.” Des limitations très fortes ont aussi été mises en place sur les invitations à déjeuner qui ne peuvent être qu’impromptues ou les collations offertes dans les hôpitaux.
Dans la continuité de ces travaux, la HAS souhaite désormais analyser l’impact de la promotion sur les prescriptions médicales, sur la base de la littérature internationale. “Je pense que la visite médicale est un élément de l’information du médecin, mais il doit bien sûr toujours l’analyser avec un œil critique”, estime le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Cet état des lieux de la HAS est attendu pour la fin de l’année.
Jean-Yves Lecoq, secrétaire général et directeur de la communication et de l’excellence opérationnelle des laboratoires GSK France : Je suis de ceux qui pensent qu’avoir un cadre réglementaire bien défini quand on travaille sur la promotion du médicament est quelque chose de très sain. Tout ce qui contribue à améliorer la déontologie d’une profession est une bonne chose. Chez GSK, nous souscrivons totalement aux principes de cette charte, d’autant que nous étions préparés à cette démarche. Un des changements les plus notables de la charte est l’obligation annuelle d’évaluation de nos collaborateurs visiteurs médicaux. Or nous le faisions déjà.
Outre les connaissances scientifiques sur le produit, la charte prévoit aussi un contrôle des connaissances sur les questions liées à l’environnement du produit, notamment les règles de fonctionnement du système de soins. Cela nous semble tout à fait pertinent. Finalement, le plus gros travail pour nous a été de mettre en place un processus qui permet de tracer individuellement les évaluations de nos collaborateurs et les formations reçues pour que l’auditeur puisse en assurer leur contrôle. Encore une fois, même si c’est relativement lourd, c’est quelque chose qui nous semble normal. Quant aux nouvelles conditions de la visite à l’hôpital, nous y sommes entièrement favorables car ce sont des choses que nous avions déjà mises en place.
Sur quels autres points avez-vous fait évoluer le travail des visiteurs médicaux ?
GSK a pris une position atypique sur la VM car depuis deux ans nos collaborateurs n’ont plus aucune rémunération liée à des objectifs quantitatifs de prescriptions. C’est une décision qui a été prise par le groupe au niveau mondial. Au tout début, nos collaborateurs ont manifesté une petite incompréhension et se sont inquiétés de ses conséquences en termes de rémunération. Pour nous, il s’agissait simplement de clarifier le cadre. Quand un médecin reçoit un visiteur de GSK, il sait que la personne qu’il a en face de lui n’a pas d’intérêt économique à ce qu’il prescrive son produit. Nous préférons concentrer les bonus de rémunérations par un encouragement sur les moyens mis en oeuvre par le visiteur, en particulier ses qualifications et sa formation. Le sujet ne fait d’ailleurs plus débat aujourd’hui au sein de notre entreprise.
Les médecins sont de plus en plus surchargés de travail, certains refusent la visite par principe… Comment vous adaptez-vous à ces évolutions de la profession ?
La règle fondamentale est que les visiteurs médicaux doivent s’adapter à la façon dont les médecins veulent organiser la réception de la VM. On observe effectivement chez les jeunes médecins une hausse du refus par principe de la visite et de l’information émanant des laboratoires de manière générale. Mais la grande majorité des médecins acceptent et apprécient la VM car c’est un canal qui permet des explications et du dialogue. Plus nos collaborateurs délivrent une information de qualité et sont connus sur leur secteur, moins ils ont de difficulté à être reçus. Il reste que l’agenda des médecins est très compliqué et qu’ils ont de moins en moins de temps. C’est aussi pour cette raison que nous commençons à travailler sur le champ du digital, avec un projet de visite à distance d’ici 2018.
Avez-vous réduit la fréquence de la VM ces dernières années ?
En valeur absolue, clairement oui. Mais nous avons la chance d’avoir plusieurs produits en lancement ces deux dernières années. Cela suppose d’informer les médecins et d’essayer de les voir régulièrement pour suivre leur compréhension et leurs interrogations.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Véronique Hunsinger
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