Pharmacien dans une commune de l’Hérault, Frédéric Abécassis en a assez de passer pour quelqu’un qui s’en met plein les poches auprès de ses patients. Le même produit vendu six fois plus cher selon qu’il est remboursable ou non ? Les différences de prix pour le même médicament d’une officine à l’autre ? Frédéric Abécassis, président du syndicat des pharmaciens de l’Hérault pointe la responsabilité des pouvoirs publics et des laboratoires. Et avance ses solutions.
Egora.fr : Vous protestez contre l’augmentation par les laboratoires du prix des médicaments vendus sans ordonnance. Pour quelle raison ? Quel est l’impact sur les pharmaciens ?
Frédéric Abécassis : C’est un vrai problème. On reproche souvent aux pharmaciens d’augmenter le prix des médicaments non remboursés, alors que la plupart du temps cette augmentation vient des laboratoires. On ne peut pas répercuter systématiquement ces augmentations. Au bout d’un moment, les prix des produits de médication familiale sont trop élevés.
Il y a plusieurs raisons. Il y a la TVA, qui est à 2,1% sur les médicaments remboursés et à 10% sur les non remboursés. Je ne comprends pas. Soit c’est un médicament, et il bénéficie de la TVA d’un médicament, soit ce n’est pas un médicament et il bénéficie de la TVA d’un complément alimentaire, d’un dispositif médical ou autre.
On doit aussi faire face aux laboratoires qui augmentent leurs paliers d’accès à des conditions commerciales. Le laboratoire nous dit que si on achète 500 produits, il nous fait 20% ou 30% de remise. Il nous oblige à commander une grande quantité. Le pharmacien qui va en commander une petite quantité va forcément l’acheter au prix fort. Et chaque année, les paliers augmentent en obligeant les pharmaciens à sur stocker.
Vous réclamez l’encadrement du prix des médicaments non remboursables…
On se rend compte que les laboratoires font strictement ce qu’ils veulent au niveau des prix des médicaments non remboursés. Et quand un médicament existe sous une forme remboursable et non remboursable, les prix sont complètement incohérents. Ce qui veut dire que nous, auprès de nos patients, on passe pour des voleurs, des gens qui s’en mettent plein les poches.
Je prends un autre exemple. Le Gaviscon, boîte de 24, produit remboursé, coûte 1,83€ au prix de vente au pharmacien. Le même produit sous sa forme non remboursable, qui passe en pub télé, et qui est strictement le même, le Gavisconel, on nous le vend 8,25€. On ne peut pas dire que ce sont les pharmaciens qui s’en mettent plein les poches. Je ne comprends pas comment on peut laisser se vendre un produit à 1,83€, et le même produit, sous un autre nom, à 8,25€.
A l’heure où on veut renforcer le rôle des pharmaciens dans la prise en charge du petit risque, cela me paraît paradoxal qu’on ne légifère pas sur ce sujet. Pourquoi le prix de tous les médicaments n’est pas encadré ? Ainsi, chaque Français, selon qu’il habite à côté d’une pharmacie qui a commandé 1 000 unités d’un produit, ou d’une autre qui a moins de fréquentation et qui va en commander 20, pourrait trouver le produit au même prix. Avec cette politique discriminatoire des laboratoires, on a des écarts de prix importants.
Cela fragilise les petites pharmacies, souvent dans des territoires déjà en difficulté, en manque de médecins où les patients sont obligés de recourir un peu plus au pharmacien. Les patients vont penser qu’elles pratiquent des prix scandaleux, alors que c’est dû à la politique pratiquée par le laboratoire.
Concrètement, comment encadrer ces prix ?
A l’heure actuelle, les prix des livres sont encadrés. Pourquoi n’aurait-on pas le même type d’encadrement pour le prix des médicaments qui sont des produits de santé et de première urgence ? Pourquoi la marge des produits non remboursés ne pourrait-elle pas être encadrée de la même manière que pour les produits remboursés ? Le Gaviscon, je l’achète 1,83€ et je le vends 2,89€. C’est l’Etat qui décide de ma marge. On voudrait que le même procédé soit appliqué aux médicaments non remboursés. Les marges des pharmaciens diminuent de plus en plus, mais ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi sur les prix.
Vous proposez aussi la création d’un taux de remboursement à 0% pour une prise en charge par les complémentaires… Expliquez-nous.
Oui. Quand un médicament est remboursé, son prix d’achat et son prix de vente sont imposés, donc la marge est encadrée. Si on créait un taux de remboursement à 0%, cela voudrait dire que le produit garderait le statut de médicament remboursable, mais que la Sécurité sociale ne rembourserait rien. Ça laisserait la possibilité aux organismes complémentaires de rembourser la différence, parce que le prix serait encadré. Ces mutuelles qui aujourd’hui essayent de prendre en charge des paniers de soins auraient la certitude de prendre en charge des produits à un prix contrôlé et cohérent. Ça permettrait aussi de garder un taux de TVA à 2,1%. Et ça ne coûterait strictement rien à l’Assurance maladie. Donc égalité, puisque le prix serait le même partout, solidarité, avec un prix encadré, et gain de pouvoir d’achat.
Emmanuel Macron, mais aussi Marine Le Pen, proposent la vente de médicaments à l’unité. Quel est votre avis sur le sujet ?
Pour moi, c’est l’exemple type de la fausse bonne idée, populaire et populiste. C’est une mesure qui n’est absolument pas fonctionnelle. Certes, il y a quelques conditionnements qui ne sont pas adaptés, mais l’essentiel, c’est que les patients prennent leurs traitements. Vous avez beau délivrer 12 médicaments à une personne s’il lui en faut 12, s’il n’y a pas une éducation derrière et qu’on ne lui explique pas l’importance de l’observance, elle ne les prendra pas. Quid de l’économie, si on n’est pas sûrs de l’observance ? Et les 10 qui resteront dans la boîte n’auront plus de nom, plus de notice, plus de date de péremption… Ils présenteront un danger.
Autre point, la vente de médicaments à l’unité, c’est la fin de la traçabilité. La France est l’un des seuls pays au monde sans contrefaçon de médicaments. Parce qu’on a des blisters, des boîtes, un numéro de série. On a une qualité de dispensation énorme.
Ensuite, rien ne ressemble plus à un comprimé blanc qu’un autre comprimé blanc. Le risque de confusion est majeur.
Oui à l’harmonisation des conditionnements de médicaments. Non à la vente à l’unité.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier
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