Luc Duquesnel, le président des Généralistes de la CSMF (ex UNOF) explique pourquoi son syndicat vient d’intégrer la Fédération des soins primaires, qui sera officiellement lancée jeudi prochain. Aux côtés de MG France, pour les médecins traitants, il y défendra l’exercice coordonné avec d’autres professionnels de santé. En attendant, il pose un regard très critique sur les programmes santé des candidats à la présidentielle. 
 

 

Egora.fr : Les généralistes de la CSMF deviennent le 10ème membre fondateur de la Fédération des soins primaires et siègeront donc, pour les médecins généralistes libéraux, aux côtés de MG France. Ce rapprochement s’est-il facilement organisé ?

Dr Luc Duquesnel : Nous savions qu’une fédération des soins primaires était en train de se créer et pour nous, il s’agit d’un sujet totalement dans l’actualité puisque cela concerne aujourd’hui, le cœur de métier du médecin généraliste et du médecin traitant. On ne pouvait pas imaginer ne pas faire partie de cette fédération en cours de création.

Il y a une loi qui a défini les équipes de soins primaires et les organisations qui se mettent en place ; tout ce qu’on fait de plus en plus depuis 20 ans, cet exercice coordonné qui se reproduit plusieurs fois dans la journée, c’est un travail chronophage mais non rémunéré, mais c’est la garantie d’une bonne prise en charge coordonnée en ambulatoire et c’est ainsi qu’on peut éviter des hospitalisations. Mais je pourrais dire de la même façon, que les généralistes de la CSMF sont aussi actifs au sein de la fédération française des maisons et pôles de santé. Aujourd’hui, entre 15 et 20 % de médecins généralistes libéraux ont décidé de se regrouper avec d’autres professionnels de santé pour exercer ensemble. C’est un type d’exercice qui a été choisi par certains d’entre nous et le syndicat participe aux négociations autour de l’ACI (accord cadre interprofessionnel). Le métier du médecin généraliste est vraiment en train de changer.

Comment expliquer le fait que Les généralistes de la CSMF n’ont pas tout de suite rejoint le groupe des membres fondateurs de la FSP ? Il y a eu de tiraillements ?

Une partie des membres fondateurs faisait partie d’un collectif créé il y a deux ou trois. Et je sais que certains d’entre eux trouvaient gênant que l’on ne compte qu’un syndicat de généralistes parmi les fondateurs, alors qu’il était connu de tout le monde que nous étions présents sur ce dossier. Dans la façon de travailler au quotidien, il n’y a pas des généralistes de la CSMF qui travaillent d’une certaine façon, et des généralistes de MG France, d’une autre. Nous sommes confrontés aux mêmes situations.

On a beaucoup dit que la FSP serait une fédération construite autour MG France seule

Non. Nous travaillons déjà au sein de l’Union nationale des professions de santé (UNPS), où l’on retrouve bon nombre de membres fondateurs. Je pense que cela correspond à un besoin. On ne peut imaginer que les généralistes de la CSMF soient absents de ce qui constitue les différentes strates de notre métier. Depuis quatre ans environ que je siège à l’UNPS, je note qu’il peut y avoir des conceptions un peu différentes de l’exercice coordonné, mais qu’il n’y a pas 36 façons de prendre en charge un patient polypathologique à domicile. Les missions sont les mêmes. Mais pour nous, et c’est peut-être notre spécificité, ce n’est en rien une opposition à la coordination entre les équipes de soins primaires et les autres médecins spécialistes, nous l’avons démontré à l’occasion de la négociation conventionnelle. Pour nous, c’est complémentaire, cela ne s’oppose pas. La coordination est essentielle, c’est dans la convention médicale, et la coordination entre les acteurs de soins primaire, figure dans l’ACI.

Parmi les membres fondateurs de cette nouvelle fédération, siègent deux structures représentants les centres de santé salariés. Voilà qui nous éloigne un peu du crédo libéral défendu par la CSMF…

Chaque structure défend le mode de fonctionnement de ses adhérents. A noter que dans certains secteurs, il y a eu une implantation historique des centres de santé et qu’aujourd’hui, s’il s’en construit, c’est qu’il n’y a plus d’offre de soins libérale. On ne promeut évidemment pas les centres de santé, mais on prend acte, on ne va pas nier l’existant. Et désormais, les praticiens de centres de santé ont la possibilité réglementaire de participer à la permanence des soins. Nous, ce que nous demandons, c’est que les praticiens libéraux qui se regroupent pour pratiquer un exercice coordonné, puissent bénéficier des mêmes aides que ceux exerçant en centres de santé. En fait, cette fédération regroupe tous ceux qui sont envie d’apporter une réponse à la problématique des professionnels de santé en soins primaires, dont l’immense majorité est constituée de libéraux. Dans un cadre de virage ambulatoire, la coordination à domicile est capitale.

La santé est en passe de tenir une place centrale dans la campagne pour la présidentielle. Quel regard portez-vous sur les programmes des différents candidats, pour l’organisation des soins primaires ?

Tout d’abord, on ne peut que se féliciter que la santé soit au cœur de la campagne, ce qui n’avait pas été le cas il y a cinq ans. C’est une préoccupation très importante des Français. Concernant le financement de la protection sociale, on a un peu tout vu dans les propositions et notamment, l’idée de sanctionner les patients non observant par la perte de leur statut d’ALD, ce qui pose un gros problème éthique. Je ne suis pas là pour sanctionner mon patient, mais pour l’accompagner dans sa maladie. Autre sujet, la définition du panier de soins. Si demain, il y a un désengagement sur le petit risque, quitte à augmenter la part des patients qui pourront bénéficier du tiers payant, cela fera dépendre sa prise en charge des complémentaires santé des patients. Il s’avère qu’on a déjà eu un peu l’expérience de cela, a minima, lorsque les franchise sont apparues où, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, nous avons vu nos patients au fil de mois, se plaindre que nos consultations étaient de moins en moins bien remboursées. Les franchises s’accumulant, ils n’étaient plus remboursés que de 3 ou 4 euros, alors ils venaient moins souvent et surtout, ils arrivaient avec sur un post-it, la liste des problèmes qu’ils avaient à régler. Si on va vers une protection sociale où le petit risque reste à la charge de beaucoup d’assurés sociaux, cela va entraîner un retard de consultations, qui seront plus lourdes au même prix, 25 euros. Les patients hésiteront à aller voir leurs médecins , nous ferons moins de prévention, les prises en charge seront retardées et elles seront plus lourdes, plus coûteuses avec plus d’hospitalisations. Mais je crois que le candidat qui présentait ce programme a pris conscience des risques car la protection sociale, c’est l’ADN des Français, et on voit déjà le rétropédalage qui s’opère. Les propositions vont évoluer d’ici le mois de mai.

Certains candidats évoquent l’hypothèse de salarier les médecins…

Mais les médecins généralistes savent très bien que l’exercice libéral ne sera pas remis en cause ! Par rapport à sa productivité, un médecin salarié dans un centre de santé coûte bien plus cher qu’un médecin libéral dans son cabinet médical. Or, je n’ai vraiment pas l’impression qu’à partir de 2017, l’Ondam va s’ouvrir et que les robinets vont couler à flot pour financer la santé. Certains députés estiment même qu’à partir de l’an prochain, les restrictions seront encore plus fortes, tant pour le monde hospitalier qu’en ’ambulatoire. Ce qui n’empêche pas une réflexion d’être menée autour des forfaits, pour la prise en charge des pathologies chroniques. Ils représentent aujourd’hui 11 % environ de la rémunération du médecin. Mais la négociation conventionnelle a bien montré que pour les médecins généralistes, le compte n’y est pas. 90 % environ de leurs consultations longues et complètes sont aujourd’hui à 23 euros, et le seront demain à 25 euros. Ce n’est pas acceptable, on est aujourd’hui sur un mode de rémunération des médecins traitants qui ne prend pas en compte leur exercice. Il faut prendre en compte aussi le temps de coordination nécessaire lors d’un travail en exercice coordonné. Il faut avancer à tout prix et rapidement vers cela.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne