Le Dr Maxime Gignon est professeur de santé publique à la faculté d’Amiens (Picardie). Dans un billet de blog, il réagit à la polémique suscitée par le mauvais classement de l’Université d’Amiens aux ECN. Plutôt que de taper sur les professeurs ou sur les étudiants, il propose une optimisation des ECN en imaginant deux préparations différentes en fonction des choix de carrière des carabins. Nous publions un extrait de son blog, suivi des explications de son auteur.
 

 

“Pour vous livrer, le fond de ma pensée, je proposerais volontiers des parcours individualisés au cours du second cycle. Un pour ceux qui déclarent vouloir être classés dans les 2000/3000 premiers, et un autre pour les autres dont l’ambition n’est pas forcément de ’réussir’ ces ECN mais d’apprendre la complexité de leur futur métier. Ma proposition, que j’apporterai aux discussions pédagogiques locales, serait d’aborder les ECN différemment en prenant en compte le projet professionnel de l’étudiant et son objectif de classement qui en découle. En complément du “tronc commun” du second cycle des études médicales, pour le premier groupe, coaching personnalisé par un groupe d’enseignants dédiés, conférences supplémentaires.

Pour les seconds, plus de stages et de simulations pour développer leurs compétences techniques et non-techniques. Il ne s’agit pas “d’abandonner” ces étudiants mais de leur proposer une offre de formation moins captive des modalités de préparation des ECN. Nous sommes actuellement dans un entre-deux, où nous demandons aux enseignants de préparer une promotion d’étudiants dont une bonne partie n’ont pas l’ambition nécessaire pour performer à ce classement, ce qui est également très démotivant pour les enseignants. Par ailleurs des étudiants ambitieux qui se sentent insuffisamment accompagnés dans leur projet. Nous pourrions ainsi nous auto-évaluer sur notre capacité à accompagner nos étudiants à atteindre leurs objectifs. Nous avons ici, un modèle à repenser et je sais que nous sommes plusieurs, prêts à s’engager dans ce sens. Je ne parle pas ici de réformer les ECN ! C’est un autre débat. Et même si ces ECN sont critiquables, il faudra de toute façon un processus de sélection quel qu’il soit, pour permettre l’accès aux spécialités et aux villes pour lesquelles il y a plus de demandes que d’offres de postes.

Je suis intimement convaincu que le critère de classement des UFR de Médecine (s’il doit en exister un) devrait se base sur la capacité des facultés à accompagner leurs étudiants dans la réalisation de leur projet professionnel. Ce qui devrait nous importer, ce n’est pas tant le nombre d’étudiants placés dans les 500, 1000, 2000 premiers aux ECN mais le nombre d’étudiants qui ont atteint leur objectif de spécialité et de ville. Nous pourrions ainsi bâtir un classement basé sur des unités d’épanouissement personnel de nos étudiants, critère indispensable pour soigner et éviter le fameux burn-out qui ne manquera pas de guetter nos jeunes confrères, déjà épuisés par ces études.

Je terminerai en citant J. Hamburger : “A vouloir enseigner trop de médecine, on n’a plus le loisir de former le médecin.” “

“Nous avons un second cycle obnubilé par les résultats aux ECN”

 


 

Egora.fr : Vous proposez de séparer les étudiants qui se préparent aux ECN en deux groupes. Pouvez-vous expliquez votre réflexion ?

Maxime Gignon : Ma réflexion part d’un constat. Chaque année on nous propose un classement des facultés basé sur les rangs de classement des étudiants aux ECN. Or, notre faculté est de manière chronique parmi les dernières au vu de ce critère. J’estime que ce classement aux ECN ne veut pas dire grand-chose dans le sens où il faut prendre en compte la motivation des étudiants pour réussir les ECN. Je vais m’expliquer en prenant un exemple. Dans notre faculté, nous avons une bonne partie des étudiants qu’ils veulent faire de la médecine générale en Picardie qui est leur région d’origine.

Je ne veux pas stigmatiser la médecine générale, c’est pareil pour d’autre spécialités notamment la santé publique, mais le ratio entre le nombre de postes offerts et le nombre d’étudiants qui optent pour cette spécialité permet de l’avoir plus facilement. La réflexion est la même pour la Région. La Picardie est réputée pour ne pas être attractive. A tort selon moi, mais c’est un fait. Bilan, les étudiants ne sont pas particulièrement motivés et l’on sait qu’il faut une motivation importante pour réussir les ECN. Beaucoup d’étudiants se contentent d’arriver dans la deuxième partie de classement parce qu’ils savent que ce résultat leur permettra d’atteindre leurs objectifs personnels.

A partir de là, je propose de rendre plus optimale la préparation des étudiants. Le second cycle prépare tous les étudiants aux ECN. On en fini à réduire le deuxième cycle uniquement à la préparation de cet examen. D’autant que les ECN ne servent pas évaluer les compétences des étudiants mais uniquement à les classer pour leur permettre un classement au mérite. Nous avons ainsi un second cycle obnubilé par les résultats aux ECN alors que je ne suis pas sûr que les étudiants aient le besoin d’arriver bien classés pour réaliser leurs projets professionnels.

Je pense que les facultés devraient plutôt être évaluées sur leur capacité à accompagner les étudiants dans leurs projets. C’est en cela que j’estime qu’il faudrait un double parcours, que l’on pourrait appeler parcours personnalisé. Nous ferions un bilan avec les étudiants au début du second cycle pour évaluer leurs motivations par rapport à leurs objectifs de classement. Si un étudiant nous dit qu’il souhaite faire radiologie à Paris, nous pourrions concentrer nos forces et tout mettre en œuvre pour l’aider à atteindre son objectif. Cela passerait par plus de conférences, du coaching personnalisé…

A contrario, nos étudiants qui veulent faire de la médecine générale en Picardie et qui se disent “si j’arrive 5000ème ça me suffit”, ce n’est pas pour autant qu’il faut les abandonner. Bien au contraire. Pour eux, il faudrait faire plus de simulations, mieux valoriser les stages hospitaliers, leur donner l’occasion de participer à plus de consultations médicales. Pour eux, il ne faut pas que le second cycle soit du temps perdu, d’où l’idée d’optimiser leurs compétences.

Je n’ai pas l’ambition de réformer les ECN mais de repenser notre rapport aux ECN. Il faut adapter l’offre de formation en fonction des objectifs des étudiants.

Comment réagissent les étudiants à vos propositions ?

Au cœur du mois d’août, j’ai eu assez peu de retours ! Mais j’aimerais beaucoup parler de cette réflexion avec mes collègues enseignants et avec les étudiants.

J’ai eu quelques retours d’étudiants responsables nationaux qui me disaient que mes propositions faisaient revenir à l’ancien internat. Ça n’était pas du tout mon idée. Je ne veux pas qu’il y ait de formation à deux vitesses. Je dis juste que classer des facs sur les résultats des étudiants ne veut rien dire puisque il y a des étudiants qui, d’une certaine manière, refusent de concourir. Ils vont participer aux ECN parce que c’est obligatoire mais ils n’ont pas l’ambition d’arriver premier. A partir du moment où nous avons une masse critique d’étudiants qui ont pour objectif d’être dans la deuxième partie du classement, de toutes façons nous ne pouvons pas concourir à armes égales avec d’autres facultés. Ces dernières ont des étudiants qui veulent faire des spécialités très prisées parce que c’est valorisé dans leur formation, ou veulent rester dans leur région qui est elle-même très prisée et donc ils sont très motivés.

Je ne veux pas remettre en cause les ECN. Je veux juste penser notre rapport aux ECN différemment dans la pédagogie médicale au sein de la faculté.

Comment réagissez-vous face aux déclarations des étudiants, dans le Courrier Picard, qui incriminent clairement les enseignants dans leur échec aux ECN ?

Je pense que ces propos sont probablement l’expression d’une frustration. Il y a beaucoup de propos qui étaient infondés et injustes. Il s’agit de réactions qui sont de l’ordre du passionnel et ça n’est pas ce qui m’intéresse. Je trouve que ça n’est pas constructif.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin