Réquisitioné pour une garde, un médecin de Charente épuisé a fait un malaise cardiaque. Depuis des mois, les généralistes réclament la fin de la PDS entre 20h et minuit. “Combien faudra-t-il encore de médecins dans cet état d’épuisement professionnel, de stress, pour que les autorités réagissent ? Et en plus, pour trois actes qui pourraient être traités différemment. C’est intolérable, on a l’impression qu’on nous prend pour des moins que rien.” Ce lundi, pour protester contre leur ARS, ce sera journée santé morte.
 

 

Président de l’Association des médecins effecteurs de permanence des soins (Ameps), le Dr Alain Thiburce explique la raison de la colère de ses confrères.

 

Egora.fr : Pourquoi organisez-vous cette journée santé morte en Charente ?

Dr Alain Thiburce : Nous avons créé en juillet dernier, l’Ameps (association des médecins effecteurs de la Charente) et nos craintes sur la démographie médicale charentaise se confirment. A nos yeux, il n’y a plus aucune nécessité d’assurer des gardes du soir entre 20h et minuit, puisque cela ne sert plus à rien, il n’y a plus d’appels. Cette contrainte n’ajoute qu’une pénibilité supplémentaire à l’exercice de nos confrères déjà submergés. Ce que nous redoutions est arrivé : des confrères sont épuisés. Et maintenant, ils sont réquisitionnés. Le week-end de la fête des Pères, l’un de nos confrères a fait un malaise cardiaque à la suite d’une garde de journée assez dure, qui s’est ajoutée à son travail de la semaine.

Comment organisez-vous cette garde ?

Tout le territoire en Charente n’est pas équipé de maisons médicales. Nous avons essayé de mettre au point un système de consultation dans un point fixe, au cabinet habituel du médecin, de 10 à 12 h et entre 17 et 19 heures par exemple. Entre ces créneaux, ce sont des zones de repos relatifs où le médecin est joignable chez lui. Nous avons 15 secteurs, avec un médecin de garde par secteur. Il faut savoir que 230 effecteurs sur nos 285 médecins ne se sont pas portés volontaires pour les gardes entre 20h et minuit. Ce confrère avait été réquisitionné sur un week-end qui n’était pas normalement le sien, il en a hérité par tirage au sort. Sur ce grand secteur, plusieurs confrères ont été exemptés pour raison de maladie, ce qui induit une surcharge de travail pour les autres.

Comment expliquer qu’il ne puisse pas y avoir de dialogue avec l’ARS ?

Le dialogue, nous l’avons eu ! Une commission a été créée, nous avons répété que les gardes du soir ne servaient à rien puisqu’on ne comptabilise que trois actes en tout, en moyenne en Charente, durant cette plage de temps. On estime qu’il y en a 1,75 à Angoulême, 0,75 sur Cognac et périphérie et le reste pour toute la Charente. Les urgences sont réglées par le Samu et le Smur, il reste des actes de médecine générale dont on estime qu’ils pourraient attendre ou bien être dirigés vers l’un des cinq centres hospitaliers de Charente. Nous estimons que pour ces actes de médecine courante, qui découlent souvent du fait que les patients n’ont pas pu voir de médecins – ce qui va arriver de plus en plus fréquemment – les malades pourraient tout à fait se diriger vers le centre hospitalier le plus proche. Mais il est vrai que le problème du constat de décès n’est pas réglé. Ils ne veulent pas déplacer une équipe Smur pour cela et nous renvoient le problème à chaque fois.

Mais la solution retenue par l’ARS est extrêmement couteuse !

Oui, 50 euros multiplié par 15 pour trois actes tous les soirs = 750 euros par nuit. Et en plus, pour trois actes qui pourraient être traités différemment. Il s’agit parfois d’un simple mal aux dents… Si l’intervention d’un médecin est nécessaire, pourquoi ne pas envoyer la garde ambulancière pour amener le patient vers le centre hospitalier ? A l’occasion d’une précédente réunion, nous avons proposé de flécher ces 750 euros économisés vers le service des urgences d’Angoulême, pour étoffer la garde. Eh bien non, refus. On nous dit qu’il fallait que quelqu’un puisse se déplacer sur le terrain, alors que sur le département d’à côté, régi par la même ARS, personne ne fait la garde entre 20h et minuit. Nous avons même proposé un deal à l’hôpital de Cognac : vous nous prenez le 0,75 appel du soir et nous, nous irons faire une permanence le week-end, dans une maison médicale à côté des urgences du centre hospitalier. Les hospitaliers étaient d’accord, mais cela n’a pas pu se faire car la contrepartie, c’était l’arrêt des gardes du soir.

Donc, c’est le dialogue de sourds ?

On est tous choqués par le problème cardiaque subi par ce confrère, et en colère. Combien faudra-t-il encore de médecins dans cet état d’épuisement professionnel, de stress, pour que les autorités réagissent ? De nombreux confrères vont partir incessamment en retraite, comment allons-nous faire ? On est saturés, la Charente a une démographie catastrophique : 0,8 généraliste pour 1000 habitants, contre 1,34 dans la France entière. Nous ne pourrons plus prendre de patients. On essaie de ne pas refuser de patients, mais plus de la moitié de cabinets médicaux de Cognac ne prennent plus de nouveaux patients. On ne sait pas comment on va faire. Nous journées sont de plus en plus difficiles, préoccupantes, et malgré cela, on termine à 20 heures et on nous réquisitionne pour aller jusqu’à minuit ! C’est intolérable, on a l’impression qu’on nous prend pour des moins que rien. Nous avons demandé une audience auprès du préfet, pour qu’il réfléchisse à la situation. Car il engage sa responsabilité au cas où des problèmes surviendraient chez un professionnel réquisitionné qui a déjà produit douze heures d’activité intense. On est là pour faire de la médecine générale, mais il faut qu’on l’organise mieux.

Donc, lundi 4 juillet, ce sera journée santé morte.

Les cabinets médicaux seront ouverts, pour assurer la permanence des soins, car les patients ont besoin de nous. Mais un répondeur expliquera que les cabinets seront ouverts le lendemain, et qu’en, cas d’urgence, il faudra se tourner vers le 15. On veut que le système évolue, mais on n’est pas là pour embêter nos patients. Il faut s’assoir autour d’une table et réfléchir. Trouver une organisation pour le week-end, le samedi, le dimanche et jours fériés et le soir jusqu’à 21 heures, pour les patients qui n’ont pas de médecins. L’ARS a proposé de ne plus maintenir que cinq points de garde en Charente, mais avec visites incompressibles sur un secteur immense. C’est une proposition intolérable que nous avons tous refusée, nous lancer sur les routes à 23 heures … Alors du coup, pour être certaine de nous avoir sous la main, l’ARS nous réquisitionne tous, y compris les week end alors que nous sommes volontaires !

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne