Décidément Paris, à la différence de Londres, n’aime pas ses musées médicaux et scientifiques ! Après les fermetures du musée Orfila et du musée de l’AP-HP, c’est au tour du musée Dupuytren d’être sur la sellette. Le patrimoine de la ville est pourtant inestimable alors que manque un grand musée consacré à la santé et aux soins.

 

Article publié dans La Revue du Praticien de mars 2016.

 

Dispersé dans plusieurs musées, Paris possède en matière d’histoire de la médecine un très riche patrimoine qui est pourtant bien mal aimé et très peu protégé. Pour s’en apercevoir, il suffit de comparer la situation avec celle de Londres dont les collections sont remarquablement mises en valeur dans des institutions telles que le Wellcome Museum of the History of Medicine (abrité dans le Science Museum) qui attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs ou encore le Gordon Museum of Pathology très fréquenté par les étudiants en médecine. La plupart des nombreux musées de la ville consacrés à la médecine et la santé sont membres des London Museums of Health and Medecine dont il suffit de visiter le site Internet pour comprendre combien, sur ce sujet, la capitale britannique a de l’avance sur Paris.

Le problème des collections parisiennes est que les tutelles qui en ont la charge s’en désintéressent, pour la plupart, ou les considèrent comme un fardeau. Dans ce contexte, des inquiétudes sont apparues concernant la pérennité du musée Dupuytren, probablement un des plus anciens musée de Paris car fondé en 1835 et toujours situé depuis cette date au 15, rue de l’École-de-Médecine, dans les locaux qui abritent la faculté de médecine de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI). Le considérant vétuste, l’université veut incessamment le fermer et transférer son contenu sur son site de Jussieu où se trouvent déjà d’autres collections scientifiques. Cette décision soulève beaucoup d’émotions et une pétition circule, que plus de 10 000 personnes ont déjà signée, pour maintenir le musée sur son emplacement historique.

Avant le musée Dupuytren, deux des plus beaux musées d’histoire de la médecine parisiens ont été mis en caisse : Le musée Orfila et le musée d’histoire de l’hospitalisation de l’AP-HP. Leur triste sort est bien emblématique de l’incapacité de beaucoup de décideurs (et non des moindres) à comprendre combien ce patrimoine éclaire, à bien des égards, les rapports de la société avec sa santé et constitue de ce fait un formidable outil pédagogique.

 

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Le musée Dupuytren : fermeture et transfert annoncés

[La création du musée Dupuytren] date de 1835 et est contemporaine de celle de la chaire d’anatomie pathologique de la faculté de médecine de Paris. Situé dès l’origine sur le site du 15, rue de l’École-de-Médecine (occupé par l’université Pierre-et-Marie-Curie, le 12 de la rue, en face, avec sa belle colonnade dépend de Paris-Descartes et abrite aussi la Bibliothèque interuniversitaire de santé (BIU santé) et le musée d’histoire de la médecine (distinct de ceux que nous évoquons ici)], il a d’abord occupé le réfectoire, superbe bâtiment gothique, et ultime vestige de ce qui était autrefois le couvent des Cordeliers, puis il fut mis en caisse (déjà…) en 1937, avant d’être réinstallé en 1967, grâce au Pr Abelanet, dans d’autres locaux mais toujours à la même adresse où il se trouve toujours, ouvert jusqu’ici à tout public les après-midi en semaine (voir la présentation du musée sur le site de l’université). La collection, comme celles des musées précédents, est magnifique et contient des pièces exceptionnelles d’anatomie pathologique comme le cerveau du patient qui permit à Broca de définir l’aphasie et d’énoncer sa théorie des localisations cérébrales, ou encore de précieuses pièces d’embryologie et de tératologie, dont l’intérêt pour la recherche est considérable.(1)

La plupart des formes des maladies représentées sur les spécimens du musée n’existent plus, du moins dans le monde occidental, ce qui fait du musée un témoignage très important sur l’évolution naturelle de bien des maladies. Un tout récent article paru dans le Bulletin d’histoire des sciences médicales montre tout l’intérêt scientifique d’une telle collection dont l’auteur s’intéressait ici à la paléopathologie de la surdité. L’étude très complète de 7 crânes appartenant au musée apporte des éléments importants d’information sur le handicap auditif dans les populations passées.(12)

Un autre intérêt du musée est son ouverture au grand public, qui permet à celui-ci d’appréhender des questions fondamentales concernant les maladies, leur évolution naturelle, les progrès médicaux, l’organisation des soins et plus généralement toute question concernant la santé publique, l’éthique médicale et la recherche scientifique. Il faut noter que le musée abrite aussi la précieuse collection complète des plaques photographiques du système nerveux central de Jules Dejerine (1849-1917) réalisée avec l’appui de son épouse Augusta Klumpke (1859-1927), la première femme interne !

 

Un communiqué qui soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses

Pour justifier la fermeture du musée et son déplacement, l’université a rédigé un communiqué.(13) Celui-ci soulève plusieurs questions pour lesquelles nous aurions aimé avoir des réponses. Nous avons laissé plusieurs messages téléphoniques avec demande de rappel au service de presse de l’université et aux responsables des collections scientifiques et adressé des mails au président de l’université M. Jean Chambaz, au Pr Bruno Riou, doyen de la faculté de médecine, et au Pr Serge Uzan, ancien doyen et vice-président-santé de l’université. Seul ce dernier nous a pour le moment répondu, pour nous dire qu’il n’avait aucune information sur ce dossier. Nous persistons malgré tout à espérer des réponses à nos questions […]. Cela nous paraît d’autant plus important que la fermeture prochaine et probable du musée à l’heure où ces lignes paraîtront suscite beaucoup d’inquiétude, comme en témoigne la pétition pour son maintien dans les lieux, déjà signée par plus de 10 000 personnes, ce qui sur un tel sujet est assez remarquable.

 

Un emplacement légitime rue de l’Ecole-de-médecine

Le communiqué de l’université parle d’une collection exposée depuis 1967, ce qui n’est pas tout à fait exact, puisque, on l’a vu plus haut, l’origine du musée, sur le site des Cordeliers, date de 1835… Mais là n’est pas le plus important. L’université évoque une collection inestimable, ce qui est déjà rassurant, et tranche avec la désinvolture avec laquelle Paris-Descartes avait considéré le musée Orfila. La fermeture s’expliquerait par l’état de vétusté des locaux (ce qui ne semble pas contestable), mais cet argument est toujours celui qui est employé quand on veut fermer un musée ou un bâtiment historique, d’autant que les responsables qui en avaient la charge n’ont jamais réalisé, au cours des années précédentes, les moindres travaux d’entretien et sans que l’on sache précisément si le coût de la restauration et de la mise aux normes du musée a été sérieusement étudiée. Écrire dans le même communiqué que la vétusté des locaux impose le transfert du musée, tout en ajoutant à la fin que les locaux libérés vont accueillir des services administratifs de Paris-Descartes étonne un peu (ils ne seront pas vétustes pour le personnel ?).

Toutefois, il faut noter que l’université, toujours plus respectueuse que Paris-Descartes, s’engage à faire l’inventaire de la collection et à la rendre de nouveau accessible sur le campus de Jussieu à partir de septembre. On peut toutefois être très surpris et regretter cette décision de séparer de son environnement légitime une telle collection. La rue de l’École-de-Médecine, les deux bâtiments historiques qui la bordent, les nombreuses oeuvres d’art qui y sont exposées, les sculptures dans les cours, le musée d’histoire de la médecine, la BIU santé dont le fonds est un des plus importants du monde et leur fréquentation par de nombreux étudiants en médecine et soignants offrent un cadre naturel à ce musée qui y est inséré depuis toujours. Le musée est important autant par ses collections que par le cadre dans lequel il se situe, auquel il est intrinsèquement lié et qui est d’une immense importance pour l’histoire de la médecine. Pourquoi le déplacer à Jussieu dans un contexte qui lui est totalement étranger ? L’auteur de ces lignes ayant visité un samedi après-midi la superbe collection de minéralogie exposée à Jussieu avait eu la tristesse de constater qu’il était le seul visiteur… Sans discuter ici de l’intérêt architectural du campus, penser qu’il est le cadre idéal pour présenter des collections scientifiques mérite au moins un petit débat…

 

Un musée qui ne sera plus accessible au grand public ?

Mais le plus inquiétant de ce communiqué est encore ailleurs : “La collection sera à nouveau ouverte à partir du mois de septembre aux chercheurs et aux étudiants, sur rendez-vous comme c’est le cas pour la plupart de collections scientifiques.” Cela est stupéfiant ! Cela veut-il dire que le musée ne sera plus ouvert comme actuellement au grand public ? Doit-on craindre maintenant d’exposer des pièces anatomiques et le patrimoine médical doit-il devenir un “patrimoine réservé” ? Montrer des foetus et des squelettes est-il devenu tout d’un coup si politiquement incorrect qu’il faut vite fermer les portes des collections anatomiques ? Au moment où plus que jamais la culture scientifique et médicale du public apparaît comme un enjeu majeur, faut-il lui interdire l’accès aux collections scientifiques ? C’est un débat fondamental qui pointe un renoncement inacceptable. Les restes humains contenus dans les collections scientifiques doivent pouvoir continuer à être présentés au public, avec le plus grand respect pour les personnes qui en sont à l’origine, et avec les explications nécessaires.

Au-delà du fait scientifique, nous sommes dépositaires de la mémoire de ceux qui ont été victimes de terribles maladies ou qui ont donné leur corps à la science. Ce témoignage qui nous a été légué de leur souffrance et de leur existence doit être protégé mais aussi expliqué aux jeunes générations et au grand public…(14) Veut-on vivre dans un monde lisse où toute difformité ou altérité serait insupportable à voir ? Un monde d’exclusion en dehors de la jeunesse et de la grande santé ? Nous regrettons de ne pas avoir pu discuter avec les responsables de l’université sur ce point. Il nous semble impératif que les collections du musée Dupuytren, si elles rejoignent Jussieu, restent ouvertes à tout public mais bien sûr avec le respect, l’accompagnement et les explications d’usage, ce qui est le cas dans le lieu actuel. Reste l’avant-dernière et énigmatique phrase du communiqué sur le projet de rassembler dans un lieu adapté (donc Jussieu ne le serait pas ?) les collections médicales parisiennes, “projet à l’étude avec nos partenaires”.

Est-ce l’évocation d’un possible transfert dans le grand musée d’histoire de la médecine que nous appelons de nos voeux sur le site de l’Hôtel-Dieu, ce qui redonnerait évidemment à ces collections un cadre légitime ? Mais en attendant pourquoi faut-il vraiment déplacer le musée Dupuytren ?

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Jean Deleuze *

 

* Le Dr Jean Deleuze est rédacteur en chef de La Revue du Praticien. Il déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.


RÉFÉRENCES :

1. Tilles G, Wallach D (dir). Les musées de médecine. Toulouse : éditions Privat, 1999.
2. Association des musées anatomiques Delmas-Orfila-Rouvière. Catalogue de l’inventaire. Surgical and radiologic anatomy. J Clin Anat 1995 ;17:S1-154.
3. Cires anatomiques du Dr Spitzner. Catalogue du centre culturel de la communauté française de Belgique. Paris, 1980.
4. Saban R, Lassau JP. Un chef-d’oeuvre en péril ? Les musées d’anatomie Delmas-Orfila-Rouvière. Rev Part 2004 ;54:1038-41.
5. Vulser N. Les collections anatomiques Orfila menacées. Le Monde, 30 mai 2004.
6. Musée de l’Assistance publique de Paris. Catalogue des oeuvres exposées. Paris 1987.
7. Nardin A (dir). L’humanisation de l’hôpital. Paris : AP-HP, 2009.
8. Nardin A. Humanisation de l’hôpital. Rev Prat 2010 ;60:584-9.
9. Corvol P, Deleuze J, Deschamps J, Nouchi F, Postel-Vinay N. Lettre non publiée adressée au directeur de l’AP-HP pour plaider la cause du musée.
10. Guerrin M. L’Île de la Cité laissée en plans. Le Monde, 5 février 2016.
11. Lettre de mission du président de la République, 7 décembre 2015.
12. Benmoussa N. Paléopathologie de la surdité : inédits ostéo-archéologiques. Hist Sci Med ; 2015 ;49:367-74.
13. Communiqué de l’université Pierre-et-Marie Curie, 10 février 2016.
14. Gérard PA (dir). Les collections scientifiques des universités (actes des 2es Journées Cuénot, 21-22 septembre 2006, Nancy). Nancy : Presses universitaires de Nancy, 2008.