Passer au contenu principal

HISTOIRE – Comment Paris-Descartes s’est “débarrassé” du magnifique musée Orfila

Le premier musée n’existe plus, du moins à Paris.

 

Il s’agissait du musée Delmas-Orfila-Rouvière qui appartenait à l’université Paris-Descartes (Paris-V) et qui était situé au 8e étage de la faculté de médecine des Saint-Pères. Cet ensemble de près de 6 000 pièces est d’une immense qualité. Le musée, créé par Mathieu Orfila en 1844, s’inscrivait dans la continuité du premier musée anatomique de l’École-de-Médecine de Paris, fondée avec celles de Montpellier et de Strasbourg en 1794, après que la Convention eut supprimé les facultés de médecine de l’Ancien Régime. Orfila compléta ce qui restait de cette première collection par de nombreuses pièces qu’il fit lui-même fabriquer. Le musée qui se situait rue de l’École-de-Médecine, connut de nombreuses vicissitudes avant d’être transféré en 1953 aux Saints-Pères. Plusieurs autres collections s’y agrégèrent pour constituer un ensemble exceptionnel, classé monument historique, contenant des squelettes humains et animaux, des moulages de paléontologie et d’encéphales, des cires, des préparations d’organes et de nombreuses pièces anatomiques dont certaines sont célèbres comme un petit singe préparé par Fragonard en 1797 ou une très précieuse cire anatomique de 1701 de Gaetano Zumbo, représentant une tête d’écorché (Zumbo est une des gloires du Museo della Specola à Florence).

Ce trésor anatomique s’était plus récemment enrichi de deux importantes donations dont des spécimens en papier mâché des établissements Auzoux et surtout du fameux musée Spitzner. Ce dernier, ambulant, fondé en 1856, fit courir les foules venues admirer ces célèbres cires dont une incroyable Vénus anatomique démontable et composée de 40 morceaux, tout en les faisant frissonner d’épouvante à la vue de celles consacrées aux maladies vénériennes. En 1985, la collection fut rachetée aux enchères par les laboratoires Roussel-Uclaf qui la firent restaurer et l’offrirent à la Société anatomique de Paris qui la déposa au musée Orfila.(1-3) Cela n’empêcha pas le musée de vivoter, sans aide aucune de Paris-Descartes. Pire, en 2004, cette dernière décida de réaffecter les locaux qu’occupait le musée. Beaucoup tentèrent d’empêcher cette décision absurde.(4)

Alerté, Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la Culture, ne put rien faire, le musée dépendant de l’Éducation nationale, ce qui est toujours un risque pour un musée… Mais le président de l’université, Jean-François Dhainaut, un réanimateur, demeura inflexible et fit mettre le musée en caisse : “M. Dhainaut considère que la collection, très hétéroclite, comporte beaucoup de pièces en double ou triple exemplaire. Il n’envisage d’autres solutions que de s’en débarrasser”, écrivit Le Monde.(5) Son successeur, le généticien Axel Kahn, termina la besogne et, sans imaginer l’intérêt qu’aurait pu avoir l’université à conserver un tel trésor, il en fit don à celle de Montpellier, bien étonnée de recevoir un aussi inestimable cadeau qu’elle s’empressa avec raison d’accepter…

 

Montpellier au secours de la collection Orfila

Actuellement, les deux tiers de la collection sont encore en caisse à Paris, mais tout devrait rejoindre bientôt Montpellier où l’inventaire a déjà commencé avec le projet d’exposer l’ensemble dans le bâtiment de l’ancienne faculté de médecine qui contient déjà le très beau musée d’anatomie de la faculté (quelques pièces sont déjà présentées). Montpellier posséderait ainsi, dans ce lieu, une des plus belles collections anatomiques du monde. Nous avons joint les personnes responsables de ces collections dont l’enthousiasme à accueillir l’ex-musée parisien est très rassurant. Il est heureux que Montpellier se soit substitué à Paris-Descartes pour sauver un tel patrimoine et l’on reste confondu par la légèreté avec laquelle cette dernière s’est “débarrassée” d’une collection qu’elle se devait de protéger et de transmettre aux générations futures. Il paraît que certains à Paris-Descartes le regrettent maintenant…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Jean Deleuze *

 

* Le Dr Jean Deleuze est rédacteur en chef de La Revue du Praticien. Il déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

 

RÉFÉRENCES :

1. Tilles G, Wallach D (dir). Les musées de médecine. Toulouse : éditions Privat, 1999.
2. Association des musées anatomiques Delmas-Orfila-Rouvière. Catalogue de l’inventaire. Surgical and radiologic anatomy. J Clin Anat 1995 ;17:S1-154.
3. Cires anatomiques du Dr Spitzner. Catalogue du centre culturel de la communauté française de Belgique. Paris, 1980.
4. Saban R, Lassau JP. Un chef-d’oeuvre en péril ? Les musées d’anatomie Delmas-Orfila-Rouvière. Rev Part 2004 ;54:1038-41.
5. Vulser N. Les collections anatomiques Orfila menacées. Le Monde, 30 mai 2004.