En avril 2014, le Conseil national de l’Ordre des médecins confirmait la radiation du Dr Nicolas Bonnemaison. Deux mois plus tard, s’ouvrait un premier procès qui allait prononcer l’acquittement de l’ex-médecin. Au lendemain de sa tentative de suicide, les critiques pleuvent sur le Conseil de l’Ordre et dénoncent une sanction précipitée et trop lourde. Le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie du CNOM, revient sur cette décision.
 

 

Egora.fr : Pourquoi avoir radié le Dr Nicolas Bonnemaison avant son procès ? Que répondez-vous à ceux qui disent que cette décision était radicale et précipitée ?

Dr Jean-Marie Faroudja : Les décisions des chambres disciplinaires de l’Ordre des médecins sont totalement indépendantes des autres juridictions. Elles peuvent statuer avant ou après. Si elles statuent après, elles sont liées par la matérialité des faits établis par le jugement civil. Mais l’Ordre peut très bien déclencher une action disciplinaire alors qu’il y a aussi une instance pénale en cours. Concernant la radiation de Nicolas Bonnemaison, la décision a été jugée, rejugée. Et le Conseil d’Etat, puisqu’il y a eu un appel à la suite de la décision de la Chambre disciplinaire nationale, a confirmé que la Chambre disciplinaire pouvait très bien statuer en dehors des décisions pénales. Là-dessus, il n’y a aucune discussion possible.

Vous aviez donc le droit de le faire, mais est-ce que ça n’aurait pas été intéressant d’entendre tout ce qui a été dit au procès, d’avoir plus d’éléments, pour prendre la décision ordinale ?

Ecoutez, l’affaire a été jugée. N’oublions pas non plus que les motifs de poursuite sur le plan pénal ne sont pas forcément les mêmes que sur le plan disciplinaire. Nous c’est le Code de déontologie alors que les juridictions pénales, c’est le Code pénal. Ce qui peut expliquer d’ailleurs la différence d’analyse.

Comment s’est passée cette procédure ordinale ? Est-ce un procès parallèle ?

A partir du moment où l’Ordre des médecins est au courant de faits contraires à la déontologie, il a le droit de poursuivre le médecin, qui se retrouvera devant des juridictions tout à fait conformes à ce qui est prévu par les textes de loi. Une juridiction de première instance d’abord, une juridiction d’appel au niveau de la chambre disciplinaire nationale et un appel supplémentaire au niveau du Conseil d’Etat.

Il n’y a donc pas forcément de plainte pour déclencher cette procédure ?

Non. L’Ordre des médecins peut tout à fait s’autosaisir de faits dont il a eu connaissance. C’est ce qui s’est passé.

Le Dr Bonnemaison a-t-il été entendu dans le cadre de cette procédure ?

Oui, il a été entendu. Il a pu s’exprimer devant la Chambre disciplinaire de première instance. Il s’est aussi exprimé devant la Chambre disciplinaire nationale, entouré de ses avocats. Et la procédure étant écrite, il y a eu des mémoires rédigés par les mis en cause.

Quels sont les motifs ordinaux pour lesquels le Dr Bonnemaison a été sanctionné ?

L’Ordre a utilisé, en particulier, le manquement à l’article 38 du Code de déontologie médicale, ainsi qu’à l’article R 4127-38 du Code de la santé publique, concernant le simple fait que le médecin ne peut en aucun cas donner délibérément la mort. Et lorsqu’il interrompt ou suspend une thérapeutique pour éviter l’obstination déraisonnable, dans ce cas-là, il y a une procédure conforme à la loi 2005 de Jean Leonetti concernant les procédures collégiales. Ce que l’Ordre a reproché au Dr Bonnemaison, c’est un manquement aux articles du Code de déontologie 37 et 38, relatifs à la procédure de l’abstention thérapeutique lorsqu’il s’agirait d’une obstination déraisonnable et d’autre part au fait que le médecin ne peut en aucun cas provoquer délibérément la mort.

Le fait que le Dr Bonnemaison se justifie en disant que son intention n’a jamais été de provoquer la mort mais de soulager les patients, ce n’est pas recevable ?

Ca n’engage que les paroles du Dr Bonnemaison.

Que répondez-vous à ceux qui laissent entendre que la décision en première instance aurait pu être influencée par les convictions religieuses du président de la Chambre disciplinaire ?

Le président de la Chambre disciplinaire de première instance n’est pas un médecin. C’est un magistrat du tribunal civil. Voilà. Et puis, quand même, en principe, ce sont des gens absolument intègres et qui ne se laissent influencer absolument sur rien.

Que pensez-vous aujourd’hui des voix qui s’élèvent contre la lourdeur de la sanction ordinale ?

D’abord, le Conseil de l’Ordre ne peut évidemment rester insensible à ce qui est finalement un drame humain. Tout comme lorsqu’un de nos confrères se suicide pour burn-out ou pour des raisons particulières, l’Ordre manifeste sa compassion. Elle est évidemment due à tous les confrères qui existent.

Ensuite, on ne parle pas de tous ceux qui disent que l’Ordre a rempli sa mission. L’Ordre a une mission à remplir, elle est écrite dans les textes.

Ces critiques n’ont donc pas lieu d’être ?

Chacun peut critiquer. La France est un pays de liberté. Chacun peut dire ce qu’il a envie de dire. Mais à ce moment-là, il faut qu’il puisse l’assoir sur des textes ou reposer sur des éléments concrets.

Comment expliquer la disproportion entre la sanction judiciaire et la sanction ordinale ?

On ne caractérise pas de la même façon les fautes en pénal et en disciplinaire. Si ce n’est pour le secret médical où les qualifications sont les mêmes dans ce cas. En l’occurrence, ici, les motifs sont quelque peu différents. Même si les faits sont les mêmes.

Les motifs sont un peu différents, mais la différence entre les sanctions est très importante…

Je n’ai pas de commentaires à faire sur une décision qui a été rendue. Elle a été rendue en première instance, elle a été confirmée en Chambre disciplinaire nationale et elle a été confirmée par le Conseil d’Etat.

Les récents événements pourraient-ils constituer des “faits nouveaux” permettant une révision de la décision ordinale ?

La révision du procès peut être envisagée à la condition que le Dr Bonnemaison en fasse la demande. Ensuite, cette demande suivra la procédure. Et il appartiendra à ce moment-là à la Chambre disciplinaire nationale de savoir si cette révision rentre bien dans le cadre de l’article R 4126-53 du Code de la santé publique, qui dit que si après le prononcé de la décision un fait vient à se produire ou à se révéler, ou lorsque les pièces inconnues lors des débats sont produites de nature à établir l’innocence de ce praticien, à ce moment-là le procès en révision peut être déclaré recevable. Ensuite il appartiendra à cette juridiction de dire, d’abord sur la forme si c’est recevable, et ensuite de se prononcer sur le fond pour savoir si la sanction est maintenue, si elle est modifiée ou annulée.

Le Dr Bonnemaison ou ses avocats ont-ils déjà fait cette demande en révision ?

Pour l’instant, si elle a été faite, ce n’est pas encore arrivé à l’Ordre.

Quels éléments pourraient permettre une révision du procès ?

Je ne peux pas vous dire quels sont ces éléments. Il appartient au Dr Bonnemaison et à ses avocats de présenter leur requête. Je ne peux absolument pas indiquer ce qu’il pourrait dire pour solliciter une révision. C’est au mis en cause d’apporter des éléments.

D’ailleurs espérons que le Dr Bonnemaison récupèrera sa santé le plus rapidement possible. L’Ordre est très sincère dans cette compassion. Mais quand il sera rétabli, ce sera à lui de parler, de dire ce qu’il veut faire.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier