Conventionnement sélectif dans les zones de sur-démographie médicale pour tous les professionnels de santé, enveloppes de prescriptions pour les infirmiers et les kinésithérapeutes, opposables aux prescripteurs et aux prescrits. Voilà quels sont les remèdes amers suggérés à Marisol Touraine par la Cour des comptes pour construire le prochain budget de la Sécu alors que réduction des déficits de la sécurité sociale marque un net ralentissement en 2015.
 

 

Les magistrats de la Cour des comptes froncent les sourcils. Certes, ils le font traditionnellement chaque année, à l’occasion de la présentation de leur rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Mais cette année, pour le bilan 2014 et les prévisions pour 2015, les sages de la rue Cambon déplorent “l’anomalie profonde, dangereuse” représentée par le fait qu’une nouvelle fois, “une part des prestations a été financée à crédit”. Alors qu’on espérait que la baisse des dépenses se poursuivrait sur la bonne tendance de 2014, elle devrait “ralentir de manière marquée” en 2015 a regretté ce mardi matin Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes. Mauvais contexte, donc, pour la préparation de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale 2016.

En juin, le gouvernement tablait sur un déficit prévisionnel du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 13 milliards, contre 13,2 milliards en 2014. Ce qui est insuffisant. Quant au déficit de la branche maladie, il s’aggraverait passant de 6,5 milliards en 2014 à 7,2 milliards en 2015.

 

Les dépenses de soins infirmiers et de kiné dans le viseur

Pourtant, a-t-il souligné, “des marges de manœuvre existent” particulièrement dans la branche maladie qui souffre de plusieurs maux, dont un secteur hospitalier hypertrophié, qui représente 37 % de la dépense, et n’est pas à même de répondre “aux enjeux du vieillissement et de l’extension des maladies chroniques”.

Mais, surtout, au-delà de la chasse aux niches sociales et aux diverses fraudes, la Cour a recommandé la mise en place de mesures structurelles dans la branche maladie, portant sur l’organisation des soins et les prises en charge par l’assurance maladie.

Ainsi, les magistrats de la rue Cambon notent-ils que l’ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) voté annuellement par le Parlement (+ 2,4 % en 2014), respecté pour la cinquième année consécutive, augmente bien plus vite que le PIB (+ 1,5 %). Après avoir pointé, l’an passé, la maîtrise insuffisante des dépenses de dispositifs médicaux et de transports sanitaires, les magistrats soulignent cette année avec insistance la dynamique mal encadrée des dépenses de soins infirmiers et de masso-kinésithérapie, ainsi que “l’efficience insuffisante de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale”.

Des réformes structurelles sont d’autant plus nécessaires, souligne la Cour, que le programme de stabilité 2015-2018, prévoit un ONDAM de 1,75 % entre 2016 et 2017 (+ 2,05 en 2015). Ceci alors que plusieurs voyants virent au rouge et préviennent que les dépenses pourraient repartir à la hausse : remontée prévisible du niveau de l’inflation, renégociation, en 2016, de la convention médicale et d’autres professions de santé et enfin, mesures de reprofilage de carrières dans la fonction publique hospitalière.

 

Etendre le système du conventionnement conditionnel dans les territoires sur-dotés

Déjà, un plan d’économies de 9,8 milliards d’euros a été arrêté d’ici 2017, le programme de stabilité 2015-2018 prévoit 600 millions d’économies supplémentaires. Mais “une grande partie des mesures précises permettant de réaliser ces objectifs demeurent cependant à définir”, rappelle la Cour. Laquelle, fidèle à son image un tantinet iconoclaste, avance ses propres propositions, qui toujours à son habitude, décoiffent.

Ainsi, pour recomposer l’offre de soins et bonifier un système de santé “insuffisamment efficient”, les magistrats recommandent :

– d’imposer des normes de fonctionnement visant à renforcer la qualité et la sécurité des soins, dans le domaine de la médecine et de la chirurgie “secteurs qui en sont aujourd’hui dispensés”, avancent-ils.
– de renforcer et étendre le système du conventionnement conditionnel dans les territoires sur-dotés, y compris pour les médecins, “introduit pour quelques professions avec des résultats encore mitigés (…) Des gains d’efficience pourraient être fixés de manière plus explicite en dotant les agences régionales de santé de prérogatives accrues pour les réaliser”, estiment-ils.
– de renforcer le pilotage du ministère de la Santé, par rapport à l’assurance maladie.

Deux exemples pour illustrer les limites de la réorganisation de l’offre de soins : les maternités où les objectifs d’efficience accrue du système de santé et ceux de renforcement de la qualité et de la sécurité des soins devraient converger. “Une recomposition ordonnée de l’offre de soins est aujourd’hui indispensable” affirment-ils.

Autre exemple : les centres de lutte contre le cancer, qui illustrent “les difficultés rencontrées pour dépasser le clivages institutionnels existants”. Ainsi, les complémentarités entre CHU et centres de lutte contre le cancer sont-ils à renforcer, avec possibilité de fusion avec les CHU dans certains cas, avancent les sages.

 

“réguler plus efficacement la démographie”

Enfin et surtout, les magistrats de la Cour s’attardent sur la situation des soins infirmiers et de kinésithérapie qui pâtissent de deux maux à leurs yeux : une croissance extrêmement forte de ces postes de dépense (respectivement + 6,6 % et + 4,3 % par an en euros constants depuis 2000), alors que, deuxième problème, les professionnels sont “très inégalement répartis sur le territoire”. Pour les sages “l’augmentation de la dépense qui en résulte, d’environ 500 millions d’euros, n’est cependant pas uniquement corrélée au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques”, dénoncent-ils. Les soins infirmiers ont représenté 6,4 milliards de dépenses en 2014, et les soins de masso-kinésithérapie, 3,6 milliards.

La Cour enjoint les pouvoirs publics de “réguler plus efficacement la démographie” de ces deux professions prescrites, par le biais de mesures “plus fortes que celles qui sont déployées actuellement”, afin de redéployer ces professionnels vers les zones sous-dotées. Elle préconise la mise en œuvre d’une “gestion médicalisée de la dépense, qui doit concerner à la fois le corps médical prescripteur, comme les auxiliaires médicaux concernés”. Et promeut la mise en place de forfaits de rémunération par patients pour les actes récurrents liés à des maladies chroniques, et suggère au-delà “la mise en place d’une enveloppe limitative d’actes par médecin”. Enveloppe qui serait assortie, en tenant compte des caractéristiques de la patientèle, “de mécanismes de responsabilisation des prescripteurs et des dispensateurs de soins permettant d’en assurer le respect”.

Mais cette inflation des dépenses ne peut-elle être imputable aux premiers effets du virage ambulatoire préconisé par la ministre de la Santé, qui veut flécher en ville, certains soins fréquemment dispensés à l’hôpital ? “S’il y avait davantage de prise en charge en ville, cela devrait se traduire par des économies sur l’hôpital”, a répondu Antoine Durrleman, le président de la 6ème chambre. “Or, cela ne se voit pas, cela ne se traduit pas dans les chiffres alors qu’il reste un potentiel considérable d’économies possibles”, a-t-il fait remarquer. Quant à savoir l’effet sur les dépenses, du tiers payant généralisé, introduit par la loi de Santé… Didier Migaud a botté en touche en relevant qu’il s’agissait “d’un choix politique. Et qu’il appartenait au gouvernement de décider si cette mesure correspond à de la maîtrise”…

 

En France, le coût d’un patient dialysé est de 62 610 €, contre 28 278 € au Royaume Uni

Autre sujet de préoccupation des magistrats de la rue Cambon, le coût de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT), maladie qui touche 73 500 personnes, soit transplantées, soit dialysées et a généré 3,8 milliards d’euros de dépenses en 2013. Dans ce secteur encore, la Cour préconise de substituer aux différents forfaits de rémunération en vigueur, un tarif unique par patient dialysé. La mise en œuvre de cette disposition permettrait une réduction des dépenses de 900 millions d’euros à moyen terme, envisage la Cour. “Cela ferait converger les montants consacrés par la France vers le niveau constaté à l’étranger.” En France, le coût moyen par patient dialysé est de 62 610 euros annuels, alors qu’il est de 45 800 euros en Belgique, 40 000 euros en Allemagne ou 28 278 euros au Royaume Uni.

Enfin, les sages se sont penchés sur la situation des comptes de la CMUc et de l’ACS, pour noter que, respectivement, entre 1,6 à 2,7 millions de personnes et entre 1,9 à 3,4 millions de personnes qui pourraient y prétendre, ne le font pas. “Dans l’hypothèse largement conventionnelle d’une disparition totale du non-recours, notent-ils, 1,2 à 2,2 milliards d’euros de ressources supplémentaires devraient être mobilisées. Ce qui induirait “un déséquilibre financier dès 2016”, à anticiper. Là encore, un choix politique.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne