Le Dr Ghada Hatem-Gantzer est gynécologue, chef de service à la maternité Delafontaine à Saint-Denis. Elle œuvre activement pour ouvrir un lieu d’accueil, de soins et d’écoute pour les patientes en détresse. Sa “maison des femmes” ouvrira en septembre 2015. Elle nous en dit plus sur ce projet.

 


Egora.fr : Comment est né votre projet d’ouvrir une maison des femmes ?

Ghada Hatem-Gantzer : Il faut savoir que si ce projet s’appelle “maison des femmes”, il ne s’agit pas d’un hébergement. Nous n’en avons pas la capacité et cela ne relève pas de notre responsabilité. Près du quart de nos accouchées sont sans domicile fixe, c’est un vrai problème, mais nous ne pouvons pas le résoudre.

Nous avons une maternité neuve. Malheureusement, la dimension planning familial a été totalement sous-estimée. Nous sommes très vite arrivés à saturation. Nous accueillons des femmes qui viennent pour des problématiques de violence ou d’IVG, au milieu des femmes enceintes dans un petit couloir et ce n’est pas très agréable. Nous accueillons aussi un nombre important de femmes excisées. Elles représentent environ 15% des 4000 femmes qui accouchent ici chaque année.

Nous nous sommes dit qu’il faudrait pour ces femmes en détresse, un lieu à part et accueillant, pour qu’elles puissent venir sans passer par l’accueil hospitalier. Ce lieu, c’est une sorte de planning familial ++. Il sera ouvert sur la rue, au bout de l’hôpital et aura un accueil direct. La maternité ne sera pas loin pour les femmes qui auront besoin de voir l’anesthésiste, d’aller au bloc… II ne fera pas que des IVG…

 

Qui finance ce projet ?

La grande problématique de cette maison a été de trouver des sous. Comme la maternité venait d’être reconstruite, il n’y avait plus d’argent du côté de l’hôpital. La directrice a été enchantée par l’idée mais n’avait pas de financement à nous proposer. En revanche, elle nous a fourni le terrain. Toutes les deux, nous sommes allées voir les mairies, le conseil général, le député. Tous ont donné à hauteur de leurs moyens. Nous avons alors appris que le conseil régional devait financer un planning familial à hauteur de 50%. Nous avons monté le dossier qui a été un cauchemar administratif. Il y a 15 jours, au bout d’un an de démarches, nous avons reçu l’aval de la région.

Nous avons aussi monté des partenariats avec des fondations qui ont des expériences de terrain. La fondation Kering de François Pinault nous a donné 75 000 euros et nous a invités à un club des fondations spécialisé sur la problématique des femmes. Plusieurs d’entre-elles ont rallié le projet comme Elle, L’Oréal, Raja… Sanofi espoir est même prête à financer pendant trois ans la directrice de la maison.

En ce moment, je suis à la recherche de financement participatif du public pour finaliser le budget. Il nous manque un peu d’argent pour boucler le projet. Nous avons une petite vidéo visible sur la chaîne du cœur avec la possibilité de faire des dons en ligne. Quand plein de gens donnent 10 euros, cela permet d’y arriver.

 

Quel sera le rôle de cette maison des femmes ?

J’aimerais d’abord que cette maison soit coordonnée par une sage-femme très active dans le département. Son travail actuel est de porter la bonne parole dans les institutions pour former les gens au repérage des violences faites aux femmes, que ce soit lors d’un suivi de grossesse ou d’une consultation aux urgences. Elle apprend aux internes et aux médecins à repérer la violence derrière l’acte banal.

Dans cette maison il y aurait donc des activités de planning traditionnel, un accueil pour les femmes excisées avec un groupe de parole des consultations de psycho-trauma. Il y aura aussi une présence d’associations pour du conseil juridique et enfin un accompagnement éventuel vers les commissariats car la plupart des femmes en difficulté ne portent pas plainte. De nombreuses permanences d’associations sont très intéressées par notre projet comme Aides par exemple. Nous avons fait la maison un peu plus grande pour qu’elles puissent y tenir une permanence.

 

Vous avez lancé à l’hôpital un service de chirurgie réparatrice dédié aux femmes excisées, la maison des femmes s’occupera également de celles ayant subi des mutilations… Constatez-vous une hausse de la demande dans ce domaine ?

Nous opérons pas mal de femmes bien que par rapport au nombre de femmes excisées que nous soignons, ce chiffre soit modeste. En comparant nos chiffres avec le Kremlin Bicêtre qui opère les excisions depuis plus 10 ans, je constate que malgré nos deux ans d’ancienneté, nous en opérons beaucoup plus qu’eux.

 

Les soignants et les internes sont-ils assez formés dans ce domaine ?

Ils ne sont pas du tout formés à la fac. Nous essayons régulièrement, à chaque nouvelle fournée d’internes de faire un petit topo pour leur apprendre à repérer les différents types d’excision… L’an dernier, nous avions fait une soirée avec les internes et les généralistes pour les former.

 

Vous semblez porter seule ce projet sur vos épaules. Est-ce votre rôle de gynécologue ?

C’est au titre de chef de service que je porte le projet. Je sais très bien que pour qu’un projet aille jusqu’au bout, il faut qu’une personne s’en sente responsable. Je ne suis pas seule, je forme un duo avec la directrice médicale. Derrière nous, il y a tout ceux qui nous aidé à mettre les choses en place. J’ai par exemple un copain architecte qui a fait les esquisses gratuitement et qui se bat aujourd’hui pour avoir les meilleurs prix. Il y a plein de gens qui œuvrent pour que le projet puisse aboutir.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin