Rien ne va plus en médecine de ville, accusée principale dans la dérive des comptes de l’assurance maladie en 2013 et 2014. Dans la boîte à outil des magistrats de la rue Cambon, on trouve un durcissement de la maîtrise médicalisée et de la rémunération ROSP, une accentuation de la politique du générique. Et tout de même, pour l’hôpital, la Cour critique l’expansion des urgences hospitalières et l’importance de la masse salariale.
Une fois de plus, la Cour des comptes a tiré la sonnette d’alarme. Dans son rapport sur la Sécurité sociale 2014, qui a été remis au Parlement et au gouvernement dans le cadre de la préparation du Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2015, les sages de la rue Cambon pointent du doigt l’assurance maladie et la branche famille dont la résorption des déficits marque clairement le pas depuis l’an dernier. Ce qui contribue à peser très lourd dans les mauvais résultats de la sécurité sociale, il est vrai plombés par la fraude massive aux cotisations sociales, dont le montant estimé de 20 à 25 milliards d’euros par an (un quasi doublement en huit ans), représente un point de PIB.
Mauvais fonctionnement des ARS
Ce qui ne va pas dans l’assurance maladie ? L’ONDAM n’est plus fiable et, sans réformes, son rôle dans la régulation des dépenses va continuer à s’affaiblir, affirme la Cour. Passées au crible par les magistrats, les modalités d’élaboration de l’objectif d’évolution des dépenses d’assurance maladie laissent apparaître de multiples “biais de construction”. La base a été surestimée, la dépense surévaluée, l’ONDAM de ville a été sous-exécuté depuis 2010 “sans efforts particuliers. Alors que les économies ont été moindres en 2013 qu’en 2012 et que le rythme d’augmentation de la dépense n’a pas diminué et est resté supérieur à l’évolution du PIB en valeur”, note la Cour. D’où un effet d’optique laissant croire que la maîtrise des dépenses est plus prononcée qu’elle ne l’est réellement.
Pourquoi ? A cause d’un mauvais fonctionnement des Agences régionales de santé (ARS), dont les projets régionaux de santé (PRS) n’ont pas donné les résultats attendus en matière de parcours de soins optimisés entre la ville, l’hôpital et le médico-social. “Si des évolutions fortes n’intervenait pas rapidement, le risque serait grand de mettre en question la valeur ajoutée des nouvelles agences par rapport aux institutions qu’elles ont remplacé”, a prévenu Didier Migaud, le Premier président de la Cour des comptes.
L’ancien député en est persuadé : on peut pousser les feux de la maîtrise des dépenses sans mettre en cause la qualité des soins ou compromettre l’égalité d’accès au système de santé. Principal poste visé : la médecine de ville qui, avec 80 milliards d’euros, représente le premier poste de dépenses, devant l’hôpital (75 milliards). L’état des lieux qu’en produit la Cour – qui ne s’embarrasse pas pas des précautions oratoires dont s’entourent les politiques – est assez terrible, tant on pourrait penser que rien ne va.
Ainsi, les conventions conclues entre l’assurance maladie et les professions de santé n’ont pas concourues suffisamment efficacement à l’objectif d’efficience de la dépense. La meilleure répartition sur le territoire des professionnels a été “tardive et limitée, en particulier pour les médecins”. Les dépassements tarifaires ? “Ils ont significativement augmenté et ne paraissent pas pouvoir être endigués par l’avenant N° 8 à la convention médicale”. Le nouveau dispositif du CAS (Contrat d’accès aux soins), instauré en 2012 est jugé “peu contraignant pour les médecins du secteur 2 qui y adhèrent. Il contribue à vider les secteurs 1 des spécialistes qui y restaient encore. La procédure de sanction des dépassements jugés excessifs, également instituée en 2012 est lourde et son efficacité non démontrée”, peut-on lire dans le rapport.
Un conventionnement conditionnel dans les zones de sur-densité
Et la cour de critiquer également les “dépenses nouvelles” liées aux nouveaux modes de rémunération forfaitaires ou à la performance “sans que les obligations définies en contrepartie soient toujours à la hauteur des enjeux, ni leurs résultats mesurables”. La Cour regrette que les conventions catégorielles aient pris le pas sur une approche interprofessionnelle et demande que l’approche soit moins éclatée pour élargir, y compris aux médecins, “le principe d’un conventionnement conditionnel dans les zones de sur-densité (…) Le conventionnement ne devrait pas être considéré comme un droit automatique et devrait être rendu conditionnel pour toutes les professions, y compris les médecins, dans les zones de surdensité”, martèlent les magistrats de la rue Cambon.
“Il est souhaitable de renverser la pratique actuelle en faisant des approches interprofessionnelles, le cadre premier des négociations”, écrivent les magistrats. “Leurs résultats formeraient ensuite l’armature commune des différentes conventions par profession, de manière à permettre une approche plus coordonnée des soins de ville. En outre, ajoutent-ils, les négociations doivent être recentrées sur le besoin des patients. Les rémunérations et avantages annexes accordés aux professionnels de santé doivent être assortis de contrepartie plus tangibles au bénéfice des patients”, avancent-ils.
Les magistrats critiquent également la diffusion insuffisante des médicaments génériques, surtout si l’on compare notre situation à celle de la plupart des grands pays européens. Ces médicaments représentent trois boîtes délivrés sur quatre aux Royaume Uni ou en Allemagne, contre un sur trois seulement en France.
La Cour juge notre modèle de diffusion – basé sur des incitations financières envers les pharmaciens – “à bout de souffle” et “trop couteux. Pour deux euros d’économies, un euro est versé aux pharmaciens”, relève-t-elle. Les magistrats demandent “une plus grande responsabilisation des médecins prescripteurs tout en améliorant fortement l’information des patients”, la mise en œuvre de baisses de prix ciblées sur les classes thérapeutiques les plus coûteuses, et un alignement systématique des prix pour les médicaments sans amélioration du service médical rendu. La suppression du répertoire des génériques est revendiquée… Autant de dispositions de nature à procurer 2 milliards d’euros par an d’économies supplémentaires à l’assurance maladie.
3,6 millions de passages aux urgences évitables
Autre poste dans le collimateur : les dispositifs médicaux (5 milliards d’euros de remboursements), qui connaissent une dynamique augmentation annuelle de 6 %, et dont l’’évolution semble hors de contrôle.
Même s’il n’est pas prioritaire pour la Cour, l’hôpital public n’échappe pas à leurs critiques, car “il n’a jusqu’ici été soumis qu’à des contraintes modestes et ne saurait être exonéré des efforts qui s’imposent déjà en matière de soins de ville”. Voilà pourquoi, après avoir examiné de près, l’an passé, la permanence des soins en ville, la Cour se penche cette année sur le fonctionnement des urgences hospitalières (+ de 18 millions de passages en 2012, soit 30 % de plus en dix ans).
Elle relève qu’un passage sur cinq n’a nécessité qu’une consultation, et qu’il y aurait en conséquence 3,6 millions de passages évitables. Lesquels, réorientés vers la médecine de ville, ou des maisons médicales de garde à développer, pourraient générer 500 millions d’économies. Ce qui nécessite parallèlement une révision “indispensable” de la tarification des services d’urgence, car le dispositif actuel “incite plus à l’activité qu’il n’encourage les efforts de régulation”. Une problématique du même ordre a été constatée par la Cour pour la prise en charge de la maternité, poste sur lequel 300 millions d’euros d’économies pourraient être réalisés, par le biais d’une baisse de la durée de séjour et un suivi en ville des parturientes.
La Cour pointe également du doigt la lourdeur des charges de personnels (64 %, 42 milliards d’euros) dans la facture hospitalière publique en 2012, pour un effectif total d’un million de personnes. “Un pilotage plus ferme de la masse salariale par les autorités de tutelle est indispensable”, exhortent les magistrats.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne