Médecin au bout du monde (5/6) – Le Dr Romain Pauquet est un jeune diplômé de la fac de médecine d’Amiens. Après un stage en Guyane, le généraliste a décidé de poser ses bagages à St Laurent du Maroni, près de la frontière avec le Surinam, à 250 kilomètres de Cayenne. Il ne regrette pas son choix.

 

Egora.fr : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous installer en Guyane ?

Romain Pauquet : Dans ma faculté de médecine, l’un des enseignants en rhumatologie, guyanais d’origine, avait monté une association d’aide humanitaire pour faire des missions sur les fleuves en Guyane. J’y avais participé. L’endroit m’avait plu. J’ai donc commencé à remplacer sur place, puis je me suis installé.

 

Quelles sont les principales différences de conditions d’exercice entre la métropole et la Guyane ?

Je suis installé à Saint-Laurent-du-Maroni, à 250 kilomètres de Cayenne. La population est de 80 000 personnes sur 30 kilomètres à la ronde.

Nous sommes 17 médecins généralistes. Nous avons un hôpital où il y a un service de médecine générale de 20 lits, un service pédiatrique d’une trentaine de lit et un service de chirurgie d’une vingtaine de lits, un service de gyneco, un service de radio avec scanner et un service d’urgence avec 5 ou 6 box. Tout cela, pour 80 000 habitants, c’est très peu.

Du côté des spécialistes, nous avons une gynécologue et deux échographistes en ville et un ophtalmo et un ORL à l’hôpital.

Il nous manque des spécialistes. A chaque fois que nous avons besoin d’une IRM ou d’un examen complémentaire, il faut envoyer les patients en ambulance à Cayenne, ce qui fait 500 kilomètres aller-retour.

 

Vos actes dépassent donc les frontières de la médecine générale…

On essaye de débroussailler le terrain au maximum pour savoir à qui adresser et quand. Vu le peu de spécialistes que nous avons en Guyane, nous ne pouvons pas adresser tous ceux qui veulent un rendez-vous. Nous priorisons ceux qui sont les plus malades. On fait le maximum de bilans en ville pour envoyer les patients avec leurs bilans. Cela évite les pertes de temps. Le délai pour les IRM est, en ce moment, de trois mois. Les patients dialysés doivent aller à Cayenne. Certains patients font donc les 500 kilomètres trois fois par semaine.

 

Comment s’articulent vos journées ?

Je commence à 6h30 et je termine à 19h, du lundi au vendredi et les samedis matins. Je suis peu fatigué parfois. Comme nous sommes plusieurs médecins au cabinet, on s’organise chacun pour avoir des longues plages de vacances lorsque que l’on est fatigué.

 

L’exercice en Guyane est-il une parenthèse avant de revenir en métropole ou est-ce un projet au long cours ?

Pour l’instant je ne compte pas rentrer. Je me plais bien à Saint-Laurent-du-Maroni mais il est vrai que le retard médical que nous avons pris par rapport à la métropole et aux autres DOM TOM est considérable. Un des derniers rapport de l’IGAS plaçait la Guyane au niveau de Mayotte sur le plan médical et des infrastructures. Nous avons beaucoup plus de retard qu’avant. On estime qu’on a 20 ans de retard sur la métropole. Les Antilles ont 10 ans de retard.

 

Cela ne rend-il pas l’exercice frustrant ?

Si beaucoup. On a heureusement certains spécialistes de Cayenne qui répondent facilement au téléphone et cela nous dépanne bien. Pour ce qui est des examens complémentaires, beaucoup de bilans sanguins partent en métropole. Pour certains résultats, il faut des délais de deux à trois semaines.

L’autre difficulté que nous rencontrons concerne les droits sociaux des patients. Actuellement quand un patient n’a plus sa CMU, le temps qu’il fasse sa demande et qu’elle soit acceptée, il faut compter un délai de six mois. Beaucoup de patients sont actuellement en rupture de CMU. On leur fait souvent cadeau des huit euros de tiers-payant restants. Mais pour les vaccins, les médicaments… Ils doivent payer eux-mêmes.

Lorsqu’un bébé nait, il faut six à neuf mois pour qu’il soit rattaché sur la sécu des parents. Pendant cette période, il n’a pas de sécurité sociale. Du coup, les parents n’osent pas consulter quand le bébé a de la fièvre. Ils doivent payer les médicaments à la pharmacie…

 

Constatez-vous une précarisation de la population ?

Oui, puisque la plupart des guyanais ne vivent que des minimas sociaux. Une bonne partie de la population est en situation irrégulière. Entre 20 et 22% de mes patients sont des AME. Ils viennent pour la plupart du Surinam voisin, d’Haïti ou du Brésil. 61% des patients sont en CMU. En tout, plus de 80% de ma patientèle est en tiers-payant.

 

Quel est le profil de votre patientèle ?

L’an dernier, 46% de mes consultations concernaient des mois de 16 ans. 49% avaient entre 16 et 59 ans et 4,5% avaient plus de 60 ans. L’espérance de vie est un peu plus courte qu’en métropole mais surtout la population est jeune.

 

Quel est le prix de l’acte ?

L’acte est majoré de 20%. Il est à 27,60 euros.

 

Gagne-t-on mieux sa vie en métropole ou en Guyane ?

En Guyane. L’an dernier, j’ai gagné en revenus nets 166 000 euros, ce qui est largement plus que la moyenne en métropole. Etant en zone franche, j’ai payé 535 euros d’impôts sur le revenu. J’ai signé avec l’assurance maladie l’option démographie qui me donne une prime en fonction de mon activité car je suis installé en zone déficitaire. J’ai touché cette année une prime de 25 000 euros. Par contre cela fait deux ans que j’attends que l’on me paye mon ROSP.

 

En dehors du travail, vous plaisez-vous en Guyane ?

Ici la vie est plus chère qu’en métropole. Lorsque l’on fait ses courses, cela coûte entre 40 et 60% de plus qu’en métropole.

Le cadre de vie est agréable. Il fait beau. Par contre à Saint-Laurent-du-Maroni au niveau distraction, cinéma, sorties… C’est le désert ! La vie culturelle est assez pauvre, il faut aller à Cayenne ou au Surinam pour avoir plus de distraction.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin