Les médecins à diplôme étranger sont de plus en plus nombreux à exercer en France. Et les médecins généralistes français peinent parfois à obtenir la reconnaissance de leur spécialité. En 2014, la régulation démographique a des ratés.

 

“Je me retrouve parfois dans une situation schizophrénique”, témoigne le Dr Pierre Lévy, secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf). Le généraliste est membre d’une commission d’autorisation d’exercice des médecins généralistes à diplôme étranger en France, et d’une commission d’appel de qualification des médecins généralistes. Avec cette double casquette, Pierre Lévy constate qu’il est souvent plus facile pour les médecins à diplôme étranger d’obtenir la possibilité d’exercer en France en tant que spécialiste de médecine générale que pour les médecins généralistes français diplômés avant 2007 d’obtenir la reconnaissance de leur spécialité.

 

Deux poids deux mesures ?

“D’après les remontées des médecins membres des commissions, il existe deux poids, deux mesures entre les médecins à diplôme français et les médecins à diplôme étranger”, explique le Dr Michel Chassang, président de la Csmf. Pour les diplômés étrangers, les commissions deviennent généralement de simples chambres d’enregistrement des diplômes, car il existe des accords entre les pays. Les textes de régulation sont beaucoup plus souples et laxistes pour les médecins à diplôme étranger que pour les diplômés français, car cette problématique est assimilée à une question de politique d’immigration, et n’est pas purement médicale et scientifique. “Les représentants des commissions nous ont avertis de cette iniquité de traitement des dossiers, ajoute le Dr Roger Rua, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Mais on ne pensait pas que l’effet numérique serait aussi important.”

“Il arrive que des médecins à diplôme étranger qui ont déjà eu une expérience en France comme praticien adjoint contractuel, en tant qu’urgentiste par exemple, fassent une demande de reconnaissance de leur spécialisation afin de pouvoir continuer à exercer après les trois années légales de durée de leur contrat”, rapporte le Dr Lévy. Comme généralement il s’agit soit de médecins membres de l’UE, soit de médecins hors UE qui sont parvenus à intégrer la filière européenne en passant par des pays ayant des critères de qualification plus souples comme l’Espagne ou l’Italie, la France n’a pas d’autre choix que de les autoriser à exercer, car ils entrent dans le cadre de la directive européenne qualification de 2005. “Le médecin à diplôme étranger qui a obtenu la qualification de spécialiste en médecine générale peut continuer d’exercer à l’hôpital, mais rien ne l’empêche de s’installer en libéral où il se retrouve seul, sans la hiérarchie hospitalière, souligne le Dr Lévy. Or ce n’est pas parce qu’il est un bon urgentiste qu’il réunit les compétences pour être médecin généraliste en libéral. Il y a des pays comme la Roumanie où la formation de médecin généraliste se fait en six ans alors qu’en France elle est de dix ans. Mais nous n’avons aucun contrôle, alors que la sécurité du patient est en jeu.”

 

“Il faut mettre un terme au double discours de la France”

Pour les médecins hors UE, la problématique est similaire. “Il s’agit d’une équation à plusieurs inconnues, et nous ne pouvons que difficilement évaluer leurs compétences, car nous ne connaissons ni leur niveau de formation initiale, ni la façon dont ils ont exercé leur métier dans leur pays d’origine, ni les critères sur lesquels se sont fondés les autres pays pour reconnaître leurs spécialités”, regrette le Dr Lévy. Lorsque les membres de la commission d’autorisation d’exercice estiment que le dossier d’un candidat n’est pas assez solide, ils peuvent proposer au médecin soit un examen écrit, soit des mesures compensatoires sous la forme de stages pouvant aller jusqu’à trois ans. Il doit donc réussir l’examen ou présenter le certificat d’évaluation du stage signé par le chef de clinique. S’il remplit les conditions, la commission lui donne alors un avis favorable à la reconnaissance de sa spécialité.

Le Dr Jamil Amhis, président de la Fédération des praticiens de santé (FPS), syndicat représentant les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), et également membre d’une commission d’autorisation d’exercice des médecins généralistes à diplôme étranger en France, apporte un point de vue plus modéré, indiquant que la reconnaissance de la spécialité est loin d’être systématique : “Si les dossiers des médecins à diplôme étranger ne sont pas bons, on leur donne un sursis à statuer, des recommandations, et si malgré tout ils ne remplissent pas les conditions leur dossier est rejeté.” Et d’ajouter : “Ce qui agace les médecins français, c’est que ceux à diplôme étranger passent au travers des mailles du filet du numerus clausus. Mais le système est comme cela, c’est un acquis. Et puis il faut mettre un terme au double discours de la France qui, d’un côté, fait appel aux médecins à diplôme étranger pour le fonctionnement des hôpitaux manquant de praticiens et qui, de l’autre, veut qu’ils restent au bord de la route.”

Le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), explique quant à lui que la qualification des médecins à diplôme étranger relève du domaine de compétence de l’Ordre. “Sur ces sujets, il y a toujours des fantasmes, indique-t-il. Or nous sommes aujourd’hui dans une procédure de qualification très stricte et codifiée qui répond à des exigences réglementaires et d’équivalences n’ayant pas de caractère laxiste, générant des refus de spécialisation tout aussi douloureux pour les médecins français que pour ceux à diplôme étranger. On travaille avec la Direction générale de l’offre de soins pour ne pas introduire une certaine volatilité et veiller à ce que la réglementation d’application permette de conserver la rigueur française.”

 

La libre circulation des travailleurs est un des fondements de la construction européenne

“La formation de base entre tous les États membres de l’UE est reconnue, souligne Nora Berra, députée européenne (UMP) et ancienne secrétaire d’État à la Santé. Ensuite, il appartient à l’État de dire si les professionnels en question doivent acquérir des compétences supplémentaires. Certes, des médecins à diplôme étranger viennent exercer en France, mais tout comme des médecins français partent exercer dans le reste de l’UE. Donc soit on se donne les moyens de reconnaître les compétences des professionnels, soit on remet en cause le principe même de libre circulation des travailleurs, qui est un des fondements de la construction européenne. L’harmonisation des formations et des références dans l’UE s’est faite par le haut, notamment à la demande de la France. Nous devons désormais faire confiance à l’État pour qu’il garantisse le respect de ces critères.”

De leur côté, les médecins français diplômés avant la reconnaissance de la spécialité de médecine générale en 2007 doivent demander à une commission départementale ordinale la reconnaissance de cette spécialité. Elle se fonde sur les critères internationaux de l’Organisation mondiale des médecins généralistes (Wonca), exigés par le Collège national des généralistes enseignants (Cnge) et appliqués par le Cnom. Ceux qui ne remplissent pas les critères se voient refuser la spécialité, un refus qui touche souvent les médecins à expertises particulières.

Si l’on prend l’exemple de l’urgentiste diplômé en France avant 2007, la commission de qualification va s’assurer de sa polyvalence et lui demander s’il est médecin traitant, s’il prend en charge des personnes âgées, des femmes enceintes, s’il assure leur suivi au long court, etc. “Comme généralement il va répondre non, alors il ne satisfait pas aux critères de la Wonca, et ne peut donc pas obtenir la spécialité, constate le Dr Lévy. Et contrairement aux médecins à diplôme étranger, il ne va pas pouvoir bénéficier de mesures compensatoires. Il n’y a donc pas le même traitement entre les deux médecins.” Et de poursuivre : “Les membres du Cnge restent crispés sur ces critères, je peux le comprendre, car ils veulent maintenir la spécialité de médecine générale à un haut niveau de formation, mais c’est parfois incohérent. Quand on est face à des médecins généralistes français qui ont vingt ans d’expérience à qui nous sommes contraints de dire qu’ils ne répondent pas aux critères, c’est une situation difficile à vivre pour eux. Nous pensons qu’il faut élargir les critères et traiter au cas par cas.”

 

“On ne peut pas donner la spécialité à des médecins qui n’ont pas les qualifications requises”

Actuellement, dans les faits, la non-obtention de la spécialité ne change pas grand-chose. “Mais qu’en sera-t-il plus tard ? se demande le Dr Lévy. Lors de la prochaine convention ? D’ailleurs actuellement, les médecins généralistes non spécialistes ne peuvent pas appliquer le C2. C’est un vrai problème.”

Le Pr Serge Gilberg, membre du conseil scientifique et du conseil d’administration du Cnge et directeur du département de médecine générale de l’université Paris-Descartes, justifie l’existence de ces critères en expliquant qu’un “diplôme a valeur de permis d’exercice ; il s’agit d’une responsabilité sociétale, on ne peut pas donner la spécialité à des médecins qui n’ont pas les qualifications requises d’autant plus que, parmi ceux qui l’exigent, il y a des médecins qui n’ont pas pratiqué la médecine générale depuis trente ans et qui n’ont pas la même formation que les médecins d’aujourd’hui. Les médecins à diplôme étranger sont eux aussi concernés, puisqu’on leur demande une remise à niveau.” Cependant, des réunions se dérouleraient actuellement entre les membres des commissions, le Cnom et le Cnge dans le but de faire évoluer les critères de qualification au-delà des critères de la Wonca.

Outre ce constat, tous s’entendent pour dire que la problématique est plus large et touche à la question du numerus clausus. “Si l’on fait appel à des médecins à diplôme étranger, alors est-il logique que l’on limite autant l’ouverture de la première année de médecine et les spécialités ?”, se demande le pharmacien Philippe Gaertner, président du Centre national des professions de santé (Cnps). Si les étudiants français partent faire leurs études dans un autre pays de l’UE, “ce n’est pas uniquement parce que le concours d’entrée est plus facile mais aussi parce qu’ils peuvent ensuite s’insérer dans la voie européenne et bénéficier de l’équivalence automatique, et là-dessus nous n’avons aucun contrôle”, rapporte le Dr Rua. Et il précise : “Certes, la loi européenne permet cette libre circulation, mais il faudrait que les critères de qualité soient les mêmes pour tous les médecins. Mais dès qu’on se rapproche du dialogue sur l’immigration, on est diabolisé, taxé de racisme”.

“Ce sujet est très sensible, car on peut rapidement être accusé de xénophobie”, confirme le Dr Levy. Le Cnom estime quant à lui que le numerus clausus doit être repensé, car la France est confrontée à trois flux, avec des jeunes nationaux qui passent par une sélection très sévère, des étudiants qui contournent le numerus clausus en allant faire leurs études dans un autre pays de l’UE et qui ensuite réintègrent le cursus français, et enfin les médecins à diplôme étranger. “On peut se demander si ce mode de fonctionnement est adapté, explique le Dr Bouet. Il s’agit d’une question de nature politique.” D’après le Dr Gaertner, il est prioritaire de “s’interroger sur cette logique de flux, car cette problématique récente prend de l’ampleur dans le milieu médical et on ne peut pas laisser cela en suspens”.



 

La directive qualification



Le Parlement européen a adopté en octobre 2013 la révision de la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles datant de 2005. Cette proposition vise à permettre une simplification des procédures et un renforcement de la confiance entre les différentes parties prenantes. Il existe en Europe environ 740 professions réglementées, dont l’accès est soumis à l’obtention d’un diplôme ou de qualifications spécifiques, souvent différentes d’un État membre à un autre. Avec la directive de 2005 sur les qualifications professionnelles, sept d’entre elles ont été automatiquement reconnues dans l’UE : médecins, dentistes, pharmaciens, personnels soignants, sages-femmes, vétérinaires et architectes. La révision de la directive met d’ailleurs à jour la définition de la formation minimale de ces sept professions. La principale innovation de la révision de la directive consiste en la création d’une carte professionnelle européenne, délivrée sous forme de certificat électronique, qui doit permettre aux travailleurs d’obtenir plus rapidement et plus simplement une reconnaissance de leurs qualifications. Un système d’alerte sera mis en place au niveau européen pour signaler les professionnels de la santé ayant

Le Parlement européen a adopté en octobre 2013 la révision de la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles datant de 2005. Cette proposition vise à permettre une simplification des procédures et un renforcement de la confiance entre les différentes parties prenantes. Il existe en Europe environ 740 professions réglementées, dont l’accès est soumis à l’obtention d’un diplôme ou de qualifications spécifiques, souvent différentes d’un État membre à un autre. Avec la directive de 2005 sur les qualifications professionnelles, sept d’entre elles ont été automatiquement reconnues dans l’UE : médecins, dentistes, pharmaciens, personnels soignants, sages-femmes, vétérinaires et architectes. La révision de la directive met d’ailleurs à jour la définition de la formation minimale de ces sept professions. La principale innovation de la révision de la directive consiste en la création d’une carte professionnelle européenne, délivrée sous forme de certificat électronique, qui doit permettre aux travailleurs d’obtenir plus rapidement et plus simplement une reconnaissance de leurs qualifications. Un système d’alerte sera mis en place au niveau européen pour signaler les professionnels de la santé ayant été condamnés à la suspension ou à l’interdiction d’exercice dans un État membre.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Laure Martin