Le Dr Bernard Senet est un généraliste fraîchement retraité de 65 ans. Il a également travaillé auprès de patients en soins palliatifs dans un hôpital rural. Membre de l’Association pour le Droit à mourir dans la dignité (ADMD), il milite pour que soit légalisée l’aide à mourir pour les patients en fin de vie. Il parle de son combat à Egora.fr.

 

 

Egora.fr : Est-ce que votre activité de médecin auprès de patients en soins palliatifs a été un moteur de votre engagement au sein de l’ADMD ?

Dr Bernard Senet : J’ai participé à la mise en place de cinq lits de soins palliatifs dans l’hôpital de l’Isle-sur-la-Sorgue en 1999, mais mon engagement au sein de l’ADMD est beaucoup plus vieux. Il est lié à mon activité de médecin généraliste. En 1982, j’ai aidé une jeune fille de 14 ans. Elle avait un cancer évolutif, un rhabdomyosarcom contre lequel elle avait bien lutté pendant deux ans. Un jour, elle m’a demandé de l’aider à partir. Elle avait des métastases partout et était devenue très dyspnéique à cause des métastases pulmonaires. Je l’ai aidée. J’ai fait comme lorsque j’étais étudiant à la Pitié, où on avait déjà aidé des gens à mourir. Tous les médecins qui ont travaillé avec les fins de vie ont aidé des gens à partir. Je ne suis pas le premier ni le dernier. Mais c’est vrai qu’en le faisant à domicile, qui plus est sur une jeune fille de 14 ans, c’était plus impressionnant. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de l’importance qu’il y ait une légalisation.

 

Avez-vous hésité à aider cette jeune fille à mourir ?

Non. Lorsque l’on accompagne des gens avec lesquels on s’est battu pendant plusieurs années, le fait de les soulager ou de les endormir fait partie de l’accompagnent, surtout quand ils le demandent. Il s’agit d’aider à partir des personnes dont la mort est programmée et imminente. Dans le cas de la jeune fille, ses parents étaient d’accord avec sa démarche. Ils l’accompagnaient totalement.

 

Combien de patients avez-vous aidé à mourir et dans quelles circonstances ?

Je pense que cela ne doit pas être une décision médicale mais du patient. Cela a toujours été à leur demande, ça ne peut pas être autrement. Lorsque les patients ne sont plus en mesure de s’exprimer, c’est à la demande de quelqu’un qu’ils ont antérieurement désigné comme personne de confiance. Depuis une dizaine d’année, je demande aux gens d’écrire des directives anticipées, même si elles n’ont pas beaucoup de valeur. Depuis la loi Kouchner de 2002 sur le droit des patients, les directives anticipées et les personnes de confiance sont devenus des “objets légaux”.

En tant que généraliste, j’ai dû aider à mourir une à deux personnes par an. Sur 35 ans de carrière, cela doit faire une cinquantaine de personnes. C’est difficile de comptabiliser d’autant que les circonstances sont toutes différentes. Je pense par exemple à une dame avec une sclérose latérale amyotrophique qui la paralysait de plus en plus et qui demandait, avant d’être mise sous respirateur, d’être aidée activement. Dans ce cas, c’est du suicide assisté.

Il y aussi les cas de sédation terminale qui se pratiquent beaucoup en soins palliatifs. Dans le cadre de la loi Leonetti, à partir du moment où on arrête l’hydratation et l’alimentation, puisque Leonetti a décrété que c’était des traitements, on sait que la personne va décéder entre 5 et 20 jours. A ce moment-là, on ne laisse pas mourir les gens les yeux grands ouverts, ni pour eux, ni pour leur entourage. On met en place une sédation. C’est une grande hypocrisie de la part des confrères qui disent qu’ils n’aident pas les gens à mourir. Evidement et heureusement qu’ils le font, cela rend la médecine plus humaine.

 

Que pensez-vous de la loi Leonetti ?

Elle est largement insuffisante. Elle a été un progrès parce qu’elle permet de se battre contre l’acharnement thérapeutique. Par contre, à l’inverse de la loi Kouchner de 2002, dans la loi 2005 Leonetti on a rajouté du pouvoir aux médecins. La personne peut demander ce qu’elle veut, les médecins doivent être d’accord. Je trouve cela choquant.

Une conférence citoyenne mandatée par François Hollande s’est dite favorable au suicide assisté et à l’exception d’euthanasie, qu’en pensez-vous ?

J’aurais bien aimé que ce soit suicide assisté et euthanasie, mais on ne va pas cracher dans la soupe ! C’est déjà énorme. Ce qui est formidable, c’est que les gens qui ont donné cette conclusion reconnaissent qu’une personne a le droit de demander à être aidée à mourir. Le suicide assisté sous-entend que la personne peut se suicider elle-même, c’est-à-dire prendre des médicaments pour mourir. L’euthanasie, c’est quand elle ne peut pas. Mais j’ai l’impression qu’ils étendent la notion de suicide assisté, y compris dans les cas où la personne ne peut pas faire le geste elle-même. Lorsqu’ils parlent d’euthanasie, ils parlent de personnes qui ne sont plus conscientes mais qui auraient demandé à mourir antérieurement. Finalement, il y a dans ces recommandations à peu près tout ce qu’on demande.

 

Les Français sont-ils prêts à une telle loi ?

Oui les Français sont prêts. Tous les sondages depuis 25 ans le disent. Les gens qui ne sont pas prêts sont les intégristes religieux, et le corps médical. Ces derniers vont avoir du mal à accepter que ce soit les patients qui décident et pas eux. C’est ce qui va être compliqué dans cette loi. Est-ce qu’on va vraiment donner le pouvoir aux patients ou est-ce qu’on va encore laisser les médecins récupérer des bouts de pouvoir ? L’avis de deux médecins, comme en Belgique, ça va. Si on demande cinq médecins, là c’est trop. Il faut que le médecin de famille ou alors le spécialiste qui s’occupe du patient soit d’accord et il faut que ce soit également le cas pour un médecin indépendant qui ne connait pas le malade.

 

Certains médecins disent faire ce métier pour soigner les malades et non pour les tuer, que leur répondez-vous ?

Ils sont bien gentils. Quand j’ai fait mes études on ne m’a effectivement pas appris que les malades mourraient. Je m’en suis très vite aperçu. Les médecins ne guérissent pas tout. On accompagne parfois des patients dans des maladies qui sont malheureusement incurables. Les médecins ne peuvent pas larguer les patients en leur disant, je ne peux plus rien pour toi, tu te débrouilles tout seul. Ce n’est pas correct. On est là pour accompagner les gens jusqu’à la fin et pour faire ce qu’ils demandent. Il faut bien entendu qu’ils soient bien informés sur leur maladie.

J’avais par exemple deux patients qui avaient le sida, à l’époque où ça ne se guérissait pas. Il y en avait un qui voulait mourir debout. Son compagnon était mort du sida et il avait vu comment les choses se passaient. Je l’ai aidé à partir. Un autre patient très croyant, du même âge environ voulait tenir jusqu’au bout. Il est mort en pesant 35 kilos au fond de son lit. On l’a maintenu en vie au maximum. Ce sont deux personnes pour qui j’ai le plus grand respect, j’ai appliqué en tant que médecin, ce qu’ils me demandaient. Je n’ai pas à avoir de philosophie ni de religion. J’ai accompagné les patients sans leur mentir.

Il faut être dans la vérité et dans la réalité. Les choses se négocient. On ne sort pas la seringue la première fois que la personne demande à être aidé à mourir. On commence par enlever les douleurs, accompagner psychologiquement…

L’autre problème est que les soins palliatifs ont très peu de moyens. On est un pays contre l’euthanasie mais qui ne fait rien pour augmenter la capacité d’accueil en soins palliatifs. Quand un malade reste 15 jours dans un lit, il rapporte moins d’argent qui si trois malades se succèdent 5 jours dans le même lit. C’est le système de la T2A. C’est scandaleux et complètement antinomique avec la notion même d’accompagnement des soins palliatifs. Leonetti, qui est député UMP et qui a plus de pouvoir que moi, ne s’est pas levé à l’Assemblée contre la T2A. Il est resté dans sa grande hypocrisie. 30 000 personnes meurent en France en soins palliatifs et on estime que 300 000 justifieraient des soins palliatifs.

 

Le Dr Bonnemaison doit comparaitre aux assises. Est-ce une situation que vous craignez ?

Je serai d’ailleurs témoin assisté dans cette affaire. En ce qui concerne le cas du Dr Bonnemaison, il faut déjà rappeler qu’aucune famille n’a porté plainte. Il s’agit de dénonciation de quelqu’un dans l’équipe avec laquelle il travaillait. C’est vrai qu’il n’y avait pas de directives anticipées, il n’y avait pas de personne de confiance et dans plusieurs des cas, il n’a pas prévenu la famille. Là ce n’est pas bien. Par contre ce qu’il faut dire de l’autre côté, c’est qu’il s’agissait de patients qui avaient fait des AVC massifs. Certains n’avaient même pas eu de scanner aux urgences tellement ils étaient de toute évidence noyés au niveau cérébral. Les malades étaient très âgés. Ils étaient tous condamnés à court terme.

Je pense que l’affaire Bonnemaison est la démonstration typique qu’il faudrait une loi qui encadre beaucoup mieux les choses. Et il faut surtout que les gens écrivent leurs directives anticipées.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin