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Salles de garde, temples de l’éclate contre la mort

Dans un livre richement illustré par André Patlajean, le Dr. Pierre-Louis Choukroun* publie un “Grand recueil des chansons et textes drôlatiques de salle de garde” (Ed. du Dauphin), assorti d’un manuel des traditions de l’internat. Une plongée dans un monde pratiquement révolu, construit sur un très riche folklore né de l’autarcie, que le Dr. Choukroun et quelques inconditionnels refusent de voir mourir.
 
 

 

Egora.fr : Cet ouvrage est-il un livre d’histoire de la médecine ?

Dr. Pierre-Louis Choukroun : On peut le lire comme cela, ou comme un livre de la tradition étudiante, des salles de garde et donc des internes. Cela peut être aussi une mémoire des internats des hôpitaux de Paris. A mon sens, cet ouvrage doit être dans la bibliothèque de tous les étudiants en médecine ou de pharmacie.

 

Pourquoi l’internat a-t-il généré ce folklore et cette culture spécifique ?

Parce que les étudiants étaient en autarcie. Lorsqu’on est interne pendant quatre ans, on est hors du monde, on travaille énormément, on est interne au sens d’interné, c’est-à-dire qu’on vit totalement à l’hôpital, où on est nourri, logé, blanchi. On se trouve dans une enclave hors du temps où en réaction à la misère, à la maladie, à la souffrance et à la mort, on a envie de rire.

 

Et là, vous faites le distingo entre les chansons licencieuses, qui qualifient les chansons de salle de garde, et la paillardise…

Pour moi une chanson paillarde est souvent très triviale alors que les chansons de salle de garde ont une histoire. Lorsqu’elles ne sont pas empruntées au folklore militaire ou de la marine, elles parlent de la vie de l’hôpital. Il y a toute une série de chansons qui sont propres à chaque hôpital : Hôtel Dieu, Pitié, Necker et aussi des chansons propres à la vie des étudiants ou à leur devenir. Par exemple, la dernière garde, le plaisir des dieux…

 

Et puis il y a le personnage écrasant de l’économe qui règne en maître sur cet aréopage.

Oui. Pendant les repas, c’est lui qui dirige, il doit être prompt à la répartie, lancer les calembours. J’ai été économe pendant plusieurs années, et c’est une charge. Car en plus du règlement affiché qui lui permet de taxer celui qui y déroge, il doit organiser les différentes festivités tout au long du semestre où il officie.

 

Vous parlez au présent, mais auprès des nouvelles générations d’internes, qui sont très féminisées, ces traditions sont-elles toujours vivantes ?

Non, ce n’est pas ce que j’ai connu il y a trente ans. Beaucoup de salles de garde ferment, beaucoup d’internes travaillent après leurs heures à l’hôpital, car la vie est plus dure. Mais il y a une association de défense des salles de garde qui s’est constituée, et certaines d’entre elles ouvrent de nouveau.

 

Aujourd’hui, c’est l’heure des distributeurs automatiques…

Je trouve cela délétère. Souvent, les internes ne se connaissent pas d’un service à l’autre, ils mangent à la cafétéria en même temps que les patients ou que les infirmières, mais il n’y a plus du tout cette fibre corporatiste qu’était l’internat. Les jeunes communiquent entre eux par mail, et ceux qui sont de garde mangent tristement dans leur coin, à côté du distributeur automatique. Une fois, je suis resté 15 jours de garde d’affilée à l’hôpital Laennec, et dès le lendemain, je reprenais mon activité, sans temps de repos ! Maintenant, en chirurgie, les jeunes ont droit à une matinée de repos. Or, de notre temps, il était impensable d’imaginer les 35 heures.

 

Les jeunes générations sont-elles sensibles à cette tranche d’histoire ?

Oui. L’économe de l’hôpital Saint Louis m’a dit qu’ils avaient conservé beaucoup de traditions, ils ont un folklore, ils font des “améliorés”, de meilleurs repas par exemple. Il y a encore des bals d’internat presque chaque année, et une association, La Bidoche, s’emploie à réhabiliter et rendre vivaces ces traditions.

 

Mais les femmes médecins n’aiment pas cela…

Toutes les femmes qui ont lu le livre s’amusent. C’était de bon goût, ce n’était pas paillard, c’était nos traditions.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

 

*Ancien interne des hôpitaux de Paris puis chef de clinique chirurgicale à la faculté et assistant des hôpitaux généraux, le Dr Pierre-Louis Choukroun exerce en chirurgie viscérale et vasculaire. Passionné d’histoire de la médecine, il a signé fin 2012 “L’histoire de la chirurgie du silex à nos jours” (Ed. du Dauphin), couronné du prix Littré en 2013.

Photo : fresque de la salle de garde de la Pitié