La proposition de loi Le Roux visant à créer des réseaux de soins mutualistes a été adoptée hier soir au Sénat. Amendée, elle exclut les médecins mais continue de susciter des craintes chez les praticiens qui y voient un pas vers la privatisation de notre système de santé.

 

“Les réseaux peuvent contribuer à l’effort de régulation. (…) Les complémentaires ont un rôle majeur à jouer là où l’Assurance maladie opère un rôle qui n’est pas majoritaire.” C’est en ces termes que la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a ouvert hier après-midi, la séance plénière au Sénat qui a permis l’adoption de la proposition de loi sur les réseaux de soins. Le texte, qui doit repasser devant l’Assemblée nationale pour une seconde lecture, a été voté par 172 voix contre 137 grâce à l’apport des voix des sénateurs centristes.

Portée par Bruno Le Roux, chef de file des députés socialistes, cette proposition de loi modifie le Code de la Mutualité pour autoriser les mutuelles à moduler les remboursements de leurs adhérents, selon qu’ils aient consulté un praticien ayant passé une convention avec un réseau de soins ou pas.

 

Les médecins exclus

Une manière de “contenir les hausses de prix” et de “mettre tous les organismes complémentaires sur un plan d’égalité”, puisque les assurances et les institutions de prévoyance le font déjà, explique Richard Ferrand, l’un des auteurs du texte. Mais “une intolérable atteinte à la liberté de choix du patient” et un pas “vers la privatisation de l’Assurance maladie”, selon les internes, médecins libéraux et biologistes notamment, farouchement opposés à ce texte.

Ces derniers ont d’ailleurs obtenu qu’il soit amendé une première fois en novembre, puis de manière plus radicale devant la Commission des affaires sociales du Sénat la semaine dernière : il exclut désormais clairement les médecins des réseaux de soins.

Les réseaux mutualistes ne pourront finalement être créés que dans “les secteurs de la santé où les dépenses de l’Assurance maladie sont minoritaires”, et le Sénat de citer expressément les prothèses dentaires, l’audioprothèse et l’optique – respectivement remboursés en moyenne à 32%, 14% et 4%. Pour les autres secteurs, où la prise en charge par la Sécurité sociale est supérieure à 50%, les éventuels réseaux de soins ne sauraient donner lieu à des clauses tarifaires ni à des remboursements différenciés aux assurés. Autrement dit plus grand-chose, un soulagement pour beaucoup.

“Nous avons obtenu ce que nous voulions : que les mutuelles remboursent la même chose, réseau ou pas réseau. Le fait que les patients puissent librement choisir leur médecin est fondamental !”, se félicite Julien Cabaton, président de l’Inter syndicat national des chefs de clinique assistants (ISNCCA).

 

“Privatisation de l’Assurance maladie”

C’est que les internes ont bataillé ferme pour ne pas être mêlés à ces réseaux de soins. En novembre, lors du vote de la PPL Le Roux à l’Assemblée nationale, ils étaient en première ligne pour dénoncer “un système régulé par les organismes complémentaires”, accusant le gouvernement de “supprimer le système de santé et de solidarité nationale”.

Mais si les médecins sont aujourd’hui satisfaits du texte final, qui ne les concerne plus, les représentants des professions concernées, eux, ne décolèrent pas et craignent pour l’ensemble du système de santé. “On va utiliser nos trois professions en cheval de Troie pour organiser la privatisation de l’Assurance maladie ! Ce texte est liberticide, dangereux, et ce n’est qu’un début ! C’est une terrible régression du système de santé”, s’alarme Alain Gerbel, président de la Fédération nationale des opticiens français (FNOF).

Même son de cloche du côté des chirurgiens dentistes. “Ces dispositions ne nous conviennent pas, elles ne font qu’accroître la discrimination entre les professions médicales. Une fois de plus, nous payons cash le désengagement financier de l’Assurance maladie dans le secteur dentaire, désengagement qui a conféré aux organismes d’assurances maladie complémentaires le statut de financeur majoritaire”, assure-t-on à la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD).

 

“L’exclusion des médecins n’est qu’un artifice”

Et malgré leur victoire, les médecins aussi restent vigilants. “On nous fait croire que ce n’est plus qu’un problème d’optique et de dentaire, mais c’est faux ! Les gouvernements et les complémentaires veulent étendre leur emprise”, assure Martial Olivier- Koerhet, président de l’association Soins coordonnés et ex-président de MG France. Et selon lui, le texte adopté laisse clairement la porte ouverte à un élargissement du conventionnement. “L’exclusion des médecins n’est qu’un artifice. Ce ne sera pas difficile de revenir dessus. Il suffira de le faire en commission mixte paritaire, dont les séances ne sont pas publiques, soit par le Conseil constitutionnel qui retoquera le texte en disant qu’on ne peut pas imposer des choses aux uns et pas aux autres, soit par un amendement.”

Une crainte partagée par Dominique Thiers-Bautrant, vice-présidente de l’Union Française pour une Médecine Libre (UFML). “Pour l’heure l’extension aux médecins ne peut se faire du fait de l’engagement majoritaire de l’Assurance maladie, mais dès que cet engagement diminuera pour passer au dessous des 50%, les réseaux pourront se constituer de droit !”

Car au-delà de la simple question du remboursement, certains y voient une vraie révolution du système de protection sociale. “Ce texte détricote le principe même de la Sécurité sociale. La première caractéristique de la Sécu c’est son universalité, un conventionnement collectif basé sur un contrat de solidarité, identique pour tous. Là, on va directement vers un conventionnement individuel, qui créé des inégalités entre les patients. Il est hors de question que je demande à mes patients quelles sont leurs garanties avant de les soigner !”, proteste Martial Olivier-Koerhet.

 

“Que font les mutuelles de l’argent qu’on leur donne ?”

Maintenant, les regards se tournent vers le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui doit être définit à la rentrée. “Il va falloir couper sérieusement dans le budget. Mais on va dire : “On peut couper, tout va bien, puisque les complémentaires prennent en charge”. On est en train de basculer complètement vers un système privé”, ajoute Martial Olivier-Koerhet.

“Les seuls gagnants au final, ce sont les organismes complémentaires. D’autant qu’on ne leur impose aucun engagement de transparence sur leurs frais de gestion ! Que font les mutuelles de l’argent qu’on leur donne ? Les réseaux de soins, c’est open bar pour les complémentaires”, conclut Alain Gerbel.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier