Si ce n’est pas un brulot anti-ordre, le ton du dernier livre du journaliste René Chiche1 est assez virulent vis-à-vis de l’institution. Intitulé Enquête sur les mandarins de la médecine, le Conseil de l’Ordre : protections, affaires et gaspillages (éditions du moment) l’ouvrage revient sur les principales affaires qui ont entaché l’institution. Il aborde par exemple le cas du célèbre Dr Hazout, radié la semaine dernière pour viol alors que les plaintes datent de plus de 30 ans. Malgré nos sollicitations, le Conseil de l’Ordre à refusé de réagir à la publication de ce livre.

 

Egora.fr : Vous avez écrit un livre à charge à l’encontre du Conseil de l’Ordre…

René Chiche : C’est possible. Il est vrai qu’au départ c’était un peu compliqué de pénétrer dans cette institution. Lorsque j’ai eu le très affable président Legmann au téléphone la première fois, il ne voulait pas me recevoir. Il me demandait par qui j’étais téléguidé ! Le livre est à charge parce que dans l’histoire et dans l’actualité du Conseil de l’Ordre, il y a malheureusement des affaires qui mettent en doute sa façon de fonctionner. En faisant mes recherches, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de personnes opposées au Conseil de l’Ordre. Il y a une sorte d’omerta. Il y avait même des conseillers ordinaux qui voulaient absolument me parler, mais en off. Certains parlementaires ou anciennes ministres ont accepté de témoigner. Au sein même du Conseil de l’Ordre, dans certains conseils régionaux il y a parfois une virulence concernant l’organisation du CNOM ou encore les relations très proches du président Legmann avec Nicolas Sarkozy. Peu de gens savent que Michel Legmann est maire adjoint de Neuilly-sur-Seine depuis 1983. Si l’on ajoute à cela les affaires assez nombreuses que je relate dans mon livre, effectivement celui-ci peut sembler à charge. Je n’allais pas faire un ouvrage à la gloire du Conseil de l’Ordre, ce n’était pas le but. En même temps, je reconnais en toute objectivité qu’il y a eu des progrès faits dans la façon dont est rendue la justice, vis à vis des patients ou des médecins. Ce n’est pas non plus un brulot anti Conseil de l’Ordre.

 

Dans le livre, vous démontrez que certains médecins sont plus protégés que d’autres par le Conseil de l’Ordre, pourquoi ?

Depuis quelques années le Conseil de l’Ordre s’est démocratisé en termes de fonctionnement et de justice interne. Jusqu’aux années 2000, c’était beaucoup de petits arrangements. Le problème c’est que les médecins jugent eux-mêmes leurs pairs. Ils peuvent être amenés à juger des confrères dont ils sont parfois proches, amis, avec qui ils ont pu faire leurs études… Comme dans tous systèmes corporatistes, ils ont plutôt tendance à se protéger. Je viens par exemple d’apprendre que le Dr Hazout, dont je parle dans le livre, a été radié. Cela ne date que de la semaine dernière alors qu’il est soupçonné de viols et d’attouchements sexuels depuis plus de 30 ans !

 

Justement après avoir écrit sur cette affaire, qu’est-ce que cette radiation vous a inspiré ?

J’ai envie de dire, il était temps ! J’écris que le Dr Hazout a été soutenu et protégé pendant des années par les plus grands mandarins comme les Professeurs Frydman, Olivennes, Uzan alors qu’il y avait des multitudes de témoignages de patientes. Il y a quelques mois le Conseil départemental de l’Ordre a été condamné par le tribunal administratif parce qu’il n’avait pas donné suite à ces lettres de plaintes. Le conseil avait sciemment omis de signaler ces missives. D’ailleurs à ce sujet, la présidente de ce Conseil, le Dr Kahn Bensaude n’a jamais voulu me répondre. En terme d’exemple, c’est très important qu’un gynécologue qui va passer aux assises2 soit radié. D’un autre côté, on est surpris d’apprendre qu’un médecin est menacé de radiation à vie pour avoir géré un site internet où il apparait, pour lui, la justice est différente. Certes selon le code déontologique, un médecin n’a pas le droit de faire de la publicité. Mais il y en a tellement qui font la même chose et qui ne font l’objet d’aucune mesure…

 

Dans le livre vous parlez du célèbre Dr Jean-Michel Cohen qui ne fait l’objet d’aucune poursuite malgré un site internet…

Comme je l’affirme en nommant ainsi un de mes chapitres, il y a bien une justice à deux vitesses. Le Dr Cohen qui est un excellent professionnel reste tout de même un médecin, à qui la déontologie interdit de faire de la publicité ou des actes de commerce. Il est pourtant la vedette d’un site où il apparait ouvertement et donne des conseils. Des produits de régime y sont même vendus. Le président Legmann m’a dit qu’il faisait l’objet d’un procès, j’ai vérifié c’est complètement faux. Il ne fait l’objet d’aucune mesure, ni blâme. Jean-Michel Cohen indique d’ailleurs ouvertement qu’il a trouvé une astuce et que, sur son site, il n’apparaît pas comme médecin mais nutritionniste. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

 

Comment expliquer cette justice à deux vitesses ?

Cela s’explique par des petits arrangements entre amis. J’ai des informations que je ne peux pas donner par crainte d’un procès en diffamation. Je pense à des petits cadeaux ou à des relations amicales entre praticiens.

 

Pensez-vous que l’Ordre des médecins est indispensable ?

Non. En septembre 2012, le Dr Jean-Marie Le Guen, député socialiste a présenté une proposition de loi qui rendrait l’adhésion à l’ordre infirmier et des kinésithérapeutes facultative3. Il est vrai que l’Ordre des médecins est tellement ancien que ça va être difficile de le supprimer. Je pense en revanche qu’il faudrait le réformer. Les médecins ne devraient par exemple plus être obligés de payer leur cotisation. Beaucoup de praticiens se demandent d’ailleurs où passent leurs 300 euros de cotisation. L’ordre des médecins, c’est un budget de 75 millions d’euros annuel. Ou va cet argent ? C’est très difficile de le savoir. Il faudrait aussi ouvrir les juridictions ordinales à des associations de patients, à des magistrats plus indépendants…

 

Malgré toutes les affaires que vous racontez dans ce livre, on se rend compte que les médecins anti-ordre sont de plus en plus minoritaires. Comment expliquer l’attachement des praticiens à leur Ordre ?

Je ne pense pas qu’ils soient attachés. Au contraire, je pense qu’ils s’en moquent un peu. Il suffit de voirle taux de participation très peu élevé aux élections ordinales. Certains ne connaissent même pas le nom de Michel Legmann. Ils savent qu’il y a un Conseil de l’Ordre puisqu’ils payent leur cotisation ! Pour parler crument, je pense que les médecins s’en foutent.

 

Pensez-vous que rendre l’adhésion à l’Ordre des médecins facultative serait réalisable ?

Plusieurs parlementaires trouvent que les médecins ne devraient pas être obligés de régler cette cotisation. Certains disent même que cela est contraire à la déclaration des droits de l’homme. Qu’est ce que le Conseil de l’Ordre ? Une institution, un syndicat, un lobby, on ne sait plus trop. Dans le livre j’explique même qu’il y a une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de 1999 qui dit qu’on n’est pas obligé d’adhérer à une organisation professionnelle si l’on n’est pas d’accord avec ce qu’elle véhicule.

 

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

C’est la première fois qu’un livre au sujet de cette institution mystérieuse et méconnue qu’est le Conseil de l’Ordre des médecins est destiné au grand public et pas uniquement aux spécialistes. Le CNOM concerne bien évidemment la vie des médecins mais aussi les patients qui ont parfois affaire à des praticiens via le Conseil de l’Ordre. C’est donc très important de savoir comment fonctionne cette institution, comment elle est financée, comment elle est née ? C’est à la fois une démarche d’information pour le grand public mais aussi pour les médecins.

 

Vous pensez que ce sujet pourrait intéresser le grand public ?

Pourquoi pas. Je parie sur l’intelligence et la curiosité du public. Cela concerne le bien le plus précieux de chaque personne, à savoir la santé. De nombreuses personnes ont connu des erreurs médicales et ont eu affaire au Conseil de l’Ordre. C’est très intéressant de lever le voile sur cette institution. C’est la première fois.

 

1- René Chiche est journaliste depuis près de 25 ans. Il a été rédacteur en chef et producteur délégué de magazines pour La Cinquième et France 5. Depuis quelques années, il dirige son agence de presse.

2- Le procès aux assises du Dr Hazout a été reporté au mois de février 2014.

3- Marisol Touraine s’est désolidarisée de Jean-Marie Le Guen, en précisant que l’adhésion facultative ne concernerait que l’Ordre des infirmiers. Un projet de loi en ce sens est annoncé pour l’été.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi