Incompréhensible, favorisant le spécialiste plus que le généraliste, coûteux… Le médecin traitant et le parcours de soins coordonnés sont, pour la Cour des comptes, une “réforme inaboutie” d’une extrême complexité réglementaire la rendant incompréhensible pour l’assuré de base. Lequel observe avec inquiétude l’augmentation de son reste à charge, depuis sa mise en place en 2005, de 8,8% à 9,6% en 2011.


Le parcours ayant percuté de plein fouet la mise en place des franchises sur les consultations, les boîtes de médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires en 2008, la confusion de l’assuré aura effectivement été totale…Copie à refaire !


Adhésion massive

Si l’on feuillette le rapport annuel de la Cour des comptes, passant en revue les secteurs où les politiques publiques sont en déficit de rationalisation, et où se cachent quelques poches d’économies, la main stoppe net sur le chapitre concernant le médecin traitant et le parcours de soins coordonnés. La charge est en effet sévère. Ce dispositif ambitieux” s’est réduit pour les assurés à un “parcours tarifaire complexe”, peut-on lire, alors même qu’il a été salué par une adhésion massive de la population. 90% de nos concitoyens de plus de 16 ans avaient désigné un médecin traitant en 2011, date à laquelle les consultations médicales effectuées dans le respect du parcours de soins représentaient 91% du total, hors urgences et certains actes.

La mise en place du parcours de soins s’est essentiellement traduite pour l’assuré par un parcours tarifaire d’une considérable complexité, ayant pour principal objet de limiter la charge des remboursements pour l’assurance maladie“, note la Cour, en ajoutant perfidement que la préoccupation de cette dernière et des syndicats médicaux, qui ont eu la charge de mettre en œuvre cette réforme au travers de la convention 2005, ont largement pris le pas sur son contenu médical“.

Autre paradoxe de taille, souligné dans le rapport annuel des sages de la rue Cambon : le parcours de soins qui avait été conçu par la réforme de 2004 pour revaloriser le rôle du médecin généraliste traitant, aurait essentiellement profité financièrement aux médecins spécialistes ! Ces derniers empochant 54,5% des suppléments de rémunération, contre 45,5% pour les généralistes.


Fonction de pivot

Car la mise en place du parcours par la CNAM a été l’occasion pour cette dernière de privilégier des revalorisations ciblées, selon des modalités différentes entre généralistes et spécialistes. Les médecins généralistes ont eu trois revalorisations sur le C au 1er aout 2006 (21 euros), au 1er juillet 2007 (22 euros) et au 1er janvier 2011, où le C a atteint la somme symbolique de 23 euros, la valeur de la consultation du spécialiste. Parallèlement, le forfait ALD versé au médecin traitant pour la rédaction du protocole était revu : de 50 euros pour tout nouvel entrant, il est passé à 40 euros par patient et par an, au fil du “stock”. La Cour relève que le surcout pour l’assurance maladie a représenté 285 millions d’euros en 2011.

Pour les spécialistes, l’apport a été plus conséquent : 183 millions d’euros au titre des avis ponctuels de consultant plus 118 millions d’euros pour les majorations de coordination. Soit un total de 310 millions d’euros pour ces derniers, contre 285 pour les généralistes traitants. Les médecins traitants étant à 95% des généralistes, on peut estimer qu’au total, l’effort financier annuel de l’assurance maladie se répartit entre 324 millions d’euros (54,5% pour les spécialistes et 271 millions d’euros (soit 45,5%) pour les généralistes“, résume la Cour. “Le constat est d’autant plus paradoxal et singulier que la création du médecin traitant visait à revaloriser le rôle du médecin généraliste en lui donnant une fonction de pivot”.

Un calcul réfuté par le directeur général de la CNAM, Frédéric Van Roekeghem. A ses yeux, l’effort à été identique entre généralistes et spécialistes, en valeur absolue jusqu’en 2011, et vient à l’avantage des médecins traitants en 2012, grâce au paiement à la performance.


Prime

Au sujet de cette innovation, qui a pris corps avec le CAPI (contrat d’amélioration des pratiques individuelles), la Cour n’est pas non plus très emballée. Le CAPI, jugé lui aussi très complexe, avait séduit 16 000 médecins libéraux deux ans après son introduction à la mi-2009. Les praticiens ont touché une prime d’une valeur moyenne de 3 000 euros (les valeurs s’échelonnant de 1 500 euros à 17 000 euros). Cette nouvelle forme de rémunération n’a globalement représenté pour ses bénéficiaires qu’à peine plus de 1% de leurs revenus totaux, soit une part plus faible que les forfaits (ALD et PDS) qui représentent 7% du total (et 92% pour le paiement à l’acte).

Pourtant, s’étonne la Cour, sans attendre le terme du CAPI et sans évaluation méthodologiquement rigoureuse et complète de ses résultats, la convention du 26 juillet 2011 a généralisé le paiement à la performance pour les médecins libéraux“. Le mécanisme restait optionnel, mais bien peu de médecins ont compris qu’ils avaient jusqu’au 26 décembre 2011 pour signifier à leur CPAM leur refus de souscrire à l’option. Au résultat, il n’y a que 3,5% seulement des médecins qui ont manifesté leur refus dont 2,8% de généralistes et 4,4% de spécialistes. Le P4P devrait représenter un coût annuel de 250 millions d’euros.


Foisonnement d’expérimentation

Or, insistent les magistrats de la rue Cambon, ces évolutions tarifaires, auxquelles se surajoutent les engagements de l’avenant N° 8 (généralisation du forfait médecin traitant – forfait ALD, et rémunération du volet annuel de synthèse pour un total de 528 millions d’euros), sont, certes structurantes“. Mais elles entraînent des surcoûts certains qui se superposent. En regard, les économies attendues “n’ont jamais donné lieu à évaluation, ni ex ante, ni ex post, de la part de l’assurance maladie. Il est vrai que, de manière générale, le contenu proprement médical du parcours de soins coordonnés a fait l’objet d’une faible attention”.

Pour conclure, la Cour tacle le retard du déploiement du DMP (260 000 dossiers seulement en 2012), et le fait que l’assurance maladie ne se mobilise pas du tout sur le sujet, considérant que le dossier patient du médecin traitant se pose comme une alternative crédible au DMP.

Enfin, regrettant le foisonnement d’expérimentation de parcours de soins, “qui ne s’appuient qu’exceptionnellement sur le médecin traitant“, les magistrats demandent aux pouvoirs publics de redonner un cadre global de cohérence à la coordination des soins, et de piloter fermement et de manière unifiée, l’ensemble des acteurs qui doivent y concourir, en particulier l’assurance maladie“. Et de citer en exemple de cette reprise en main l’Avenant N° 8 sur les honoraires libres, signé sous l’impulsion déterminante du gouvernement“. Une première évolution qui doit en appeler d’autres“.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne