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Handicapés : des sanctions pour les cabinets non équipés

L’Association des paralysés de France (APF) publie lundi son baromètre annuel. Grenoble récupère une première place abandonnée ces dernières années à Nantes. L’association note une amélioration de la situation globale en France.


“La France possède un des meilleurs systèmes de santé au monde, mais celui-ci demeure inaccessible aux personnes en situation de handicap […] Aujourd’hui en France, le libre choix de son médecin traitant, de son ophtalmologiste, de son gynécologue ou dentiste n’existe pas pour les personnes en situation de handicap”, estime l’Association des paralysés de France. Selon le questionnaire rempli par les personnes handicapées, les cabinets médicaux sont l’un des points noirs de l’accessibilité, souvent peu ou pas adaptés aux fauteuils roulant. Or selon la loi handicap de 2005, la France devra rendre accessible tous les établissements recevant du public d’ici le 1er janvier 2015 sous peine de sanction. Les professionnels de santé recevant dans un cabinet ou une officine ne seront pas épargnés.


Des travaux très coûteux

“Moi, j’ai la chance d’avoir un cabinet plus ou moins aux normes, raconte Bruno Deloffre, médecin généraliste dans les Hauts-de-Seine et vice-président de MG France. Mais j’ai trois marches dans l’entrée de l’immeuble pour accéder au hall. Selon cette loi, je devrais faire installer un élévateur…” Cette obligation d’accessibilité, qui s’impose déjà aux locaux construits depuis 2007, porte non seulement sur l’accès proprement dit au cabinet (ascenseur, rampe, largeur des portes…) mais plus généralement sur tout ce qui touche au cheminement du patient à l’extérieur (parking, allées, sol…) et à l’intérieur du local (mobilier, toilettes, circulation, éclairage…). Par “personnes handicapées“, il faut entendre les personnes souffrant d’un handicap moteur, qu’elles soient en fauteuil ou non, sans oublier les autres types de handicap : auditif, cognitif, psychique et visuel.

“Je ne ferai pas les travaux, ajoute Bruno Deloffre, invoquant des coûts trop élevés. En face de mon cabinet, j’ai la gare qui n’est pas aux normes, je n’ai pas de place handicapé sur le parking… Je ne vois pas pourquoi j’investirai si la commune n’investit pas !” Si, dans le cas d’un bâtiment neuf, le respect de la nouvelle législation est déjà un critère indispensable à la délivrance du permis de construire, la mise aux normes des bâtiments existants soulève de nombreuses inquiétudes en raison du coût des travaux. “Les professionnels de santé sont comme tout le monde, ils sont conscients qu’il faut faire un effort sur l’accessibilité des locaux pour les personnes handicapées. Mais c’est vrai que cela va causer des problèmes pour les vieux immeubles. Même un ascenseur est un surcoût qui peut être insurmontable“, commente Michel Sevalle, chirurgien dentiste et membre de la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires (CNSD). D’autant qu’aucune subvention ou autre mesure incitative n’a été prévue par l’Etat. “Nous allons demander des subventions publiques pour aider au financement des mises aux normes… Mais nous avons bien conscience qu’elles vont être limitées voire inexistantes”, se doute le chirurgien dentiste.


Qu’ils sortent les “prunes”

Certains se montrent particulièrement résolus à s’opposer à cette loi. “A la dernière réunion au ministère, on a bien dit qu’on pouvait difficilement imposer ces nouvelles normes aux locaux existants. Il est hors de question de prendre en charge des sommes colossales pour les travaux, s’indigne Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des Médecins de France. On encouragera les collègues à ne pas faire les travaux ! Qu’ils sortent les prunes !

En cas de non respect des règles d’accessibilité après la date limite du 1er janvier 2015, trois types de sanction peuvent être appliqués. Le maire, qui a autorisé l’ouverture de l’établissement, dispose du pouvoir de fermeture administrative si les obligations d’accessibilité ne sont pas satisfaites ; la non délivrance d’une prestation du seul fait du handicap du patient est passible d’une amende maximale de 75 000 euros et de cinq ans d’emprisonnement pour discrimination ; et en cas de non respect des règles de construction, des sanctions pénales prévoient une amende maximale de 45 000 euros.“J’espère qu’après le 1er janvier 2015, il y aura une certaine tolérance et qu’aucune fermeture administrative de cabinet ne sera prononcée sur le simple fait de l’accessibilité. Cela me semblerait déplorable“, prévient Michel Sevalle.

“Il ne devrait pas y avoir de mesure agressive à l’encontre des médecins, tempère Bruno Deloffre.Il n’est pas prévu qu’il y ait des contrôles administratifs sur site pour des vérifications, comme c’est le cas pour l’obligation d’affichage des honoraires. Mais les handicapés ou des associations peuvent porter plainte contre un confrère qui ne respecte pas la loi…“.

“Cette loi n’était pas nécessaire, s’agace aussi Roger Rua, le président du Syndicat des médecins libéraux (SML).L’accueil des personnes handicapées se pratique déjà, mais tout doit être réglementé en France !” Un point de vue partagé par d’autres responsables, qui invoquent notamment le régime dont bénéficie la Ratp. Si le réseau de transport parisien n’est pas contraint de rendre accessible aux personnes handicapées le métro et les trains de banlieue, c’est parce que la loi de 2005 prévoit qu’en cas d’impossibilité technique de mise en accessibilité, les transports collectifs doivent mettre à disposition un moyen de substitution accessible et au même tarif. Ce que fait la Ratp avec les bus. “Les médecins généralistes font des visites à domicile et beaucoup de spécialistes consultent en établissements“, argumente Jean-Paul Hamon, de la FMF, pour justifier d’une solution de substitution accessible. “Les gens qui ont des problèmes d’accessibilité, je vais les voir sur place“, confirme Bruno Deloffre.


Des déserts en centre-ville

Les aménagements les plus compliqués concernent les zones urbaines les plus denses, qui disposent de peu de place pour des transformations, dont les bâtiments sont parfois des co-propriétés et où l’idée même d’un ascenseur peut s’avérer inconcevable. “Le risque, c’est que ces confrères des centres-villes partent en périphérie et créent une forme de désertification médicale”, commente Michel Sevalle. “Les handicapés qui ne peuvent déjà pas se rendre chez le médecin en centre ville devront prendre les transports en communs…“, renchérit Bruno Deloffre.

“Pour les nouveaux installés, ces travaux vont créer un surcoût qui n’est pas de nature à rendre optimistes ceux qui veulent s’installer en libéral. Pour les anciens, cette loi va contre l’idée de les maintenir en activité après l’âge de la retraite… Tout ça à l’heure où on parle de déserts médicaux !“, se lamente quant à lui Roger Rua.

Dans les faits, beaucoup comptent sur les dérogations. Conscient que l’aménagement de certains bâtiments pourrait s’avérer difficile et coûteux, le législateur a en effet prévu certains cas exceptionnels. Le texte précise que seule la partie la plus proche de l’entrée principale peut être concernée par la mise aux normes, dans la mesure où l’ensemble des prestations proposées peuvent y être réalisées.

Trois motifs de dérogation sont établis par le texte. L’impossibilité technique liée à l’environnement ou à la structure du bâtiment, ou encore l’impératif de préservation du patrimoine architectural. Le cas d’une disproportion manifeste entre la mise en accessibilité et ses conséquences, notamment économiques, peut également faire l’objet d’une dérogation. Les professionnels concernés devront s’adresser à la Commission départementales chargées de l’examen des dossiers.


Dérogation

“J’ai envoyé un courrier aux Commissions départementales pour attirer leur attention sur les difficultés de l’aménagement des locaux et pour leur demander de traiter les demandes de dérogation avec bienveillance, indique Bruno Deloffre. On attend les retours pour savoir comme elles vont réagir. Au niveau national, je crois qu’ils sont conscients du problème et de la nécessité d’autoriser les dérogations. Mais les Commissions départementales sont libres de leurs décisions…”

“La loi devra s’appliquer de manière intelligente, ajoute Michel Sevalle. Les Commissions départementales doivent harmoniser leurs critères de dérogation pour permettre un examen serein des demandes”. Ce praticien, membre de la Confédération nationale des syndicats dentaires, compte par ailleurs rédiger un mode d’emploi à destination de ses confrères pour faciliter les demandes, en décortiquant les formulaires. “Nous souhaitons inciter les confrères à devancer l’appel soit pour faire les travaux qui permettent une certaine forme d’accessibilité au cabinet, soit pour faire des demandes de dérogation pour lesquelles il faut simplifier les démarches “, précise-t-il.

Et pour que cette échéance du 1er janvier 2015 puisse être appréhendée plus sereinement, les principaux intéressés devraient en être informés… Ce qui ne semble pas encore être le cas. “Les gens ne sont pas vraiment au courant de cette loi. On commence à en parler un peu dans les soirées médicales, mais en général, les confrères ne sont pas du tout conscients du problème“, reconnaît le vice-président de MG France. Dans son dernier bulletin, l’Ordre des médecins vient d’évoquer la question.


Note : Le ministère de la Santé, en partenariat avec les Conseils Nationaux et l’UNPS, a édité un guide intitulé Les locaux des professionnels de santé : réussir l’accessibilité, consultable en ligne. (www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_Reussir_accessibilite.pdf)

 

Source :
http ://www.egora.fr/
Auteur : F. Na