En déplacement à Grenoble avec ses ministres de la Santé et de la Recherche, Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre, a lancé la grande réforme du système de santé. Elle pourrait prendre dix ans avec, en vue, la concrétisation de la médecine de parcours.
L’entreprise durera cinq ans “voire dix ans”… Petite indication donnée vendredi matin par Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre, qui, de Grenoble où il s’est rendu en compagnie de Marisol Touraine et Geneviève Fioraso, les ministres de la Santé et de la Recherche, a dessiné l’architecture future de notre système de santé. La réforme prendra le nom de médecine de parcours, où chaque acteur devra être mis ou remis à sa juste place, pour qu’une prise en charge fluidifiée du patient puisse intervenir de la prévention à la maladie chronique, et jusqu’à la dépendance. Tout en participant au redressement des comptes.
Mauvais premier semestre
Aux yeux du Premier ministre, notre système actuel est atteint de maux chroniques : inégalités d’accès aux soins, médecine à deux vitesses, manque de jeunes médecins, déficits structurels, désengagement de la sécurité sociale, portion congrue pour la prévention, désintérêt pour le médico-social… Avec à l’arrivée, le mécontentement de tous… C’est cette dérive que le gouvernement veut stopper car le socle de “solidarité et d’égalité” – le leg du conseil de la Résistance – est aujourd’hui fissuré. Depuis son arrivée aux affaires, Marisol Touraine a initié la réforme des dépassements d’honoraires et déclaré la guerre aux déserts médicaux. Mais il ne s’agit que d’une première étape pour le Premier ministre chez qui on pressent, à travers ce grand discours magistral, un petit recadrage de la locataire de l’avenue Duquesne. On considère à Matignon, que Marisol Touraine a fait un mauvais premier semestre à la Santé, et qu’elle a notamment mal appréhendé la réforme du secteur 2 en voulant trop négocier avec les médecins alors que le Premier ministre étant partisan d’une loi…
“Grâce à l’accord conclu avec les principaux syndicats de médecins libéraux en octobre dernier, 4 millions de personnes supplémentaires, les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS), ne pourront plus se voir réclamer de tels dépassements” s’est-il félicité en rappelant que l’accord de flexi-sécurité, conclu avec les partenaires sociaux le 11 janvier dernier, prévoyait d’étendre à tous les salariés le bénéfice d’une complémentaire santé collective. “Notre objectif, c’est bien la généralisation de la complémentaire santé d’ici la fin du quinquennat” a-t-il confirmé.
Redresser les comptes
Placée sous la surveillance d’un comité des sages composé de hautes personnalités du monde de la santé et de la recherche* présidé par Alain Cordier, inspecteur de l’IGAS et ancien directeur de l’AP-HP, la stratégie nationale de santé dont le Président de la République a tracé les grandes lignes lors de son discours devant la Mutualité française, le 20 octobre dernier va prendre corps. Car s’il est question de redresser les comptes pour retrouver l’équilibre, celui-ci doit se conjuguer avec une amélioration de l’état de santé de la population et l’égal accès de tous de l’offre de soins autour du parcours de soins.
“Il faut apprendre à dépenser mieux, des marges de progrès existent, nous connaissons tous des exemples de soins inutiles et inadéquats, de médicaments prescrits ou consommés à mauvais escient. Il faut ensuite réorganiser notre système de santé, en améliorant la coordination entre les praticiens et les établissements, et en organisant une véritable continuité entre la prévention, les soins et l’accompagnement, autour de la personne et de ses besoins” a détaillé le Premier ministre.
Chacun des acteurs du système de santé doit être confirmé dans son rôle.
- A la médecine de ville, il revient d’apporter des soins de premier recours, mais aussi d’assurer l’éducation à la santé et le suivi des patients.
- A l’hôpital, on confirme les diagnostics les plus graves et on prend en charge les épisodes aigus.
- A l’hôpital universitaire, on propose une mission de recours pour la médecine de ville comme pour les hôpitaux environnants, en même temps qu’on forme et qu’on développe de la recherche.
- Enfin, il appartient au secteur social et médico-social d’accompagner les patients, et de prévenir ou de compenser la perte d’autonomie.
“Il faut donc cesser de concevoir la médecine comme une succession d’actes ponctuels, et créer une médecine de « parcours », qui repose sur la coopération des professionnels et l’implication des patients” a plaidé Jean-Marc Ayrault.
Inciter au travail collectif
Ceci suppose que les professionnels de premier recours doivent articuler leurs interventions et se communiquer les informations nécessaires à la continuité des soins. Et que l’on privilégie les “entrées programmées dans les services hospitaliers, et non pas le passage systématique par les urgences”. De ce fait, les informations sur son état, ses traitements, devront l’accompagner à son entrée et à sa sortie de l’hôpital. Si le patient doit par ailleurs bénéficier d’une prise en charge médico-sociale ou d’un service d’aide à domicile après un séjour à l’hôpital, “ces services devront être déclenchés rapidement, sans interruption de la prise en charge”.
Des moyens seront accordés aux Agences régionales de santé à cette fin. “Cela implique aussi de revoir nos modes de financement pour inciter au travail collectif, suivant les orientations du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie” a ajouté le Premier ministre.
Agir sur la prévention
Quid des professionnels ? “Les postes de praticiens territoriaux, créés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, ainsi que les équipes de soins de proximité et le « pacte territoire-santé » présenté par Marisol Touraine, constituent de premières réponses. Mais il faudra poursuivre nos efforts contre les déserts médicaux, en agissant dès les études supérieures : une réflexion doit s’engager pour rapprocher la formation et les besoins, qui concernera l’ensemble des professions de santé” a prévenu Jean-Marc Ayrault. Quant au rapport Couty, sur l’hôpital public, il sera lui aussi examiné, “dans le cadre de la stratégie nationale de santé”. La recherche médicale sera “l’une des priorités du prochain agenda stratégique de la recherche”. L’e-santé et à la télémédecine seront encouragés.
La prévention a toujours été le parent pauvre du système de santé. Seulement 2 % des moyens y sont consacrés et le gouvernement veut inverser la tendance. “On ne cesse de le répéter, il est temps d’agir ! Il faut rouvrir ce dossier et mieux coordonner les politiques de l’Etat et des collectivités. La santé mentale fera l’objet d’une attention particulière. Ces réformes trouveront leur place dans la loi de santé publique qui sera votée l’an prochain ” a annoncé le Premier ministre. Ce dernier a également promis un bilan de la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, de manière à mieux associer les patients à ces réformes et “prendre en compte l’attente de nouveaux droits individuels et collectifs pour les patients.”.
Dégraissage des agences sanitaires
L’Etat pour terminer va également se mettre au travail et tirer les conclusions des affaires du Mediator et des prothèses PIP “qui n’ont pas toutes été tirées” qu’il s’agisse de la sécurité des dispositifs médicaux ou de l’organisation des systèmes de vigilance. Marisol Touraine a été chargée de se pencher sur le dossier.
Autre chantier : le dégraissage de l’Etat central, entouré d’une myriade d’agences sanitaires et de caisses. “Grâce aux ARS, l’administration régionale est devenue plus cohérente, mais c’est loin d’être le cas au niveau national ! Je souhaite qu’une réflexion soit menée à ce sujet : elle impliquera aussi bien l’Etat que les agences sanitaires nationales et l’assurance maladie”.
“Appliqué et sans âme”
“ Nous n’avons qu’une ambition : rendre notre système de santé plus efficace et plus solidaire, conformément à ses principes fondateurs, et au bénéfice de tous. C’est cela aussi, le « nouveau modèle français » que j’appelle de mes vœux” a conclu le Premier ministre.
Du côté des syndicats médicaux, ce discours a été reçu avec scepticisme. Appelant le Premier ministre à passer des “intentions aux actes”, la CSMF l’exhorte à ne pas céder aux sirènes de la coercition à l’installation. Jean-Paul Hamon, pour la FMF, se dit “désespéré” par un discours “appliqué et sans âme”. Enfin, MG France demande que “l’allocation des ressources nécessaire à ce recentrage sur les soins primaires suive cette « stratégie nationale de santé » assortie du bon usage de l’hôpital”.
*- M. Alain Cordier, inspecteur général des finances, ancien directeur général de l’AP-HP, en coordonnera les travaux. Il sera accompagné de :
– de Mme la Professeure Geneviève Chêne, chef du pôle santé publique au CHU de Bordeaux ;
– du Docteur Pierre de Haas, président de la fédération française des maisons et pôles de santé, médecin généraliste ;
– du Docteur Gilles Duhamel, inspecteur général des affaires sociales ;
– du Professeur Emmanuel Hirsch, directeur de l’espace éthique de l’AP-HP ;
– de Mme Françoise Parisot-Lavillonière, directrice, pour la région Centre, de l’institut régional de formation sanitaire et sociale de la Croix-Rouge ;
– et du Professeur Dominique Perrotin, président de la conférence des doyens.
Source :
http://www.egora.fr/