“Travail en mode dégradé (…) pénibilité intrinsèque du travail (…) absentéisme exceptionnellement fort (…) difficulté à faire face à la gravité des pathologies (…) surcharge due à un manque de personnel (…) tension sur les effectifs”. Ces phrases extraites du rapport d’audit rédigé par le cabinet d’expertise Syndex sur cinq services* du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nantes (44) et remis le mois dernier au Comité hygiène et sécurité des conditions de travail (CHSCT) qui l’avait commandité, signent l’histoire du malaise hospitalier vu de l’intérieur.

 

La description "in vivo” du concept vécu d’hôpital entreprise, ce label décrié par ces hospitaliers publics qui ne supportent pas que leurs pratiques professionnelles s’assimilent progressivement à celles présidant en cliniques privées à but lucratif. L’emploi est en première ligne dès qu’il y a contrainte budgétaire, et les personnels trinquent.

 

Horizon 2020-2025

Or, ces règles de gestion très dures, il faut bien y venir lorsqu’à l’image du CHRU de Nantes, en 2008, le gigantesque établissement hospitalier de plus de 10 000 personnels médicaux et non médicaux s’enfonce dans le déficit. Le bilan d’exploitation de l’établissement hospitalo universitaire laissait apparaître, en 2007, des charges de personnel représentant 65,9 % des dépenses et un déficit de 33 millions d’euros. Cette année 2012,  témoigne le secrétaire général adjoint (CFDT) du CHSCT, M. Daniel Robière “le déficit a été résorbé, et même mieux. On a serré un cran supplémentaire à la ceinture, pour dégager de l’argent pour le futur hôpital sur l’île de Nantes, à l’horizon 2020-2025”.

Entre 2008 et 2012, que s’est-t-il passé ? Un plan de retour à l’équilibre, qui a parfaitement donné ses fruits. Les charges de personnel qui étaient de 65,9 % en 2007, sont passées à 63 % en 2008, puis 62,4 % en 2009 (derniers pourcentages disponibles). Le déficit a fondu parallèlement : – 33 millions d’euros en 2007, –  18 en 2008, – 12,03 millions en 2009… La direction a poussé les feux de la réorganisation et de l’optimisation budgétaire  en mettant notamment en place dès le démarrage du plan de retour à l’équilibre, un guichet de départs volontaires avec prime, incitation au départ des personnes ayant quinze ans d’ancienneté et trois enfants. 400 contractuels ont été également débauchés en 2009.

 

Signal d’alarme

Le résultat ? “Comme dans n’importe quelle activité, être en situation de sous-effectif conduit à une tension dans la réalisation du travail et peut avoir des effets sur la qualité de la prise en charge de patients” relève le cabinet Syndex. Or, est-il souligné dans le rapport d’audit : “la manière dont sont comptabilisés les effectifs (sur la base d’effectifs rémunérés et non d’équivalents temps plein (ETP) travaillé), met ‘volontairement’ les équipes en situation de sous-effectif (…) une situation que “nous ne retrouvons pas dans d’autres hôpitaux”… L’ETP mensuel travaillé est en effet d’un niveau inférieur à l’effectif rémunéré (paiement à 100 % d’un mi-temps thérapeutique, paiement à 85,6 % d’un temps partiel de plein droit à 80 %, etc.). Ce qui peut se traduire au final, par le manque de bras durant une ou deux journées par semaine pour les aides soignantes ou les infirmières. Et ce qui génère une tension très forte sur les effectifs.

D’où, un absentéisme ”énorme” selon le CHSCT: 25 jours en moyenne annuelle par agent ou professionnel de santé, qui n’est, de plus, remplacé qu’à hauteur de 65 % des carences constatée. Autre cause de tension sur les personnels restant, ce qui génère à son tour, de l’absentéisme… Dernier point, confirmé par la médecine du travail du CHRU, le pourcentage de maladies courantes (hors maternité) déjà très élevé, s’est accru de 10 % en 2011… “C’est un très gros signal d’alarme” commente M. Robière.

Le rapport d’audit Syndex vient à point corroborer une enquête interne sur les conditions de travail, lancée en 2010 par le CHSCT et à laquelle 30 % des personnels ont répondu, démontrant la “réelle dégradation des conditions de travail, et les difficultés de plus en plus grandes des agents à exercer leur métier”.

 

Au pied levé

Ces difficultés sont confirmées par l’audit et se traduisent par plusieurs attitudes selon les fonctions exercés : épuisement professionnel, réduction drastique du temps consacré à chaque tâche, du fait d’un plannning impérieux,  attitude de retrait social de l’équipe, peur de l’erreur (surtout parmi les infirmières), mauvaises relations au niveau de l’équipe (entre médecine et infirmières),  turn over et flexibilité des équipes. “J’ai vu des jeunes pleurer dans leurs vestiaires car ils avaient le sentiment de s’être trompé de métier. Ils avaient pourtant la vocation du soin, qui est un métier noble. Ils n’avaient pas suffisamment de recul pour réaliser que c’est l’institution qui les maltraitait ainsi” raconte M. Robière. “Le problème, c’est qu’il faut aller vite et qu’on n’a pas le temps de faire les contrôles et la surveillance comme on devrait les faire (…) Je pars parce que je trouve que cette façon de penser le patient comme un client ne me va pas. Les patients, ils deviennent procéduriers, mais on les amène à çà (…) Je ne trouve pas çà bien de démissionner, ce n’est pas dans mes valeurs, mais je ne vois pas comment tenir autrement physiquement et psychologiquement (…) Les gens du service sont sympa, mais on n’a pas le temps de se parler”, témoigne une infirmière récemment arrivée, et déjà sur le départ. 

A cause de ces dysfonctionnements, la vie professionnelle empiète exagérément sur la vie privée, du fait de changements de plannings impromptus, de remplacements au pied levé induits par une absence imprévue, de l’enchaînement d’un poste du soir avec un poste du matin pour compenser les absences, de l’alternance poste de jour/poste de nuit ou encore de rappels à domicile (très fréquents), pour revenir au travail. C’est peu de dire que l’audit met en cause la direction du CHRU et sa gestion  du personnel…

“Cet audit a été confié à un cabinet privé par le CHSCT sans appel d’offre. Cela semble être fréquent dans de nombreux établissements en ce moment… Il va sans dire que nous regardons ses conclusions avec beaucoup de recul” tranche sèchement Mme Sandrine Delage, directeur adjoint du CHRU dans un propos lourd de sous-entendus. Pour le comité hygiène et sécurité, en revanche, une jurisprudence du tribunal a confirmé l’an dernier qu’un CHSCT, organisme qui n’est pas considérée comme une instance publique, mais privée, pouvait solliciter un cabinet indépendant, sans passer par un appel d’offre. Fermez le ban.

 

De glace

La vice-présidente tient d’abord à souligner que “depuis l’an dernier, le CHRU est à l’équilibre budgétaire, après avoir traversé une situation très difficile”. La situation brossée par le cabinet d’audit se situe en conséquence “dans la continuité du plan de retour à l’équilibre, elle n’est pas pire qu’avant. D’ailleurs, le cabinet Syndex ne donne aucun chiffre, il ne préconise pas de recrutements”. Certaines de ses préconisations en revanche, sont “de bon sens” et la direction “n’a pas attendu ce rapport pour les mettre en place”. Il en irait ainsi de l’élaboration des plannings, des équipes de suppléances organisées pour les remplacements, du taux de 65 % de remplacement des absences. Des groupes de travail sont en place et depuis janvier dernier, un “très gros travail” est en cours pour améliorer les relations professionnelles entre médecins et infirmières, unité par unité, énumère Mme Delage avec un léger agacement.

Un discours qui laisse de glace le CHSCT. Malgré la mise en place de groupes de travail, qu’on ne conteste pas, on y  insiste au contraire, sur la souffrance, bien réelle, des personnels au CHRU. ”Nous sommes dans une situation endémique de sous-effectifs. L’audit privé le démontre, conteste M. Robière. D’ailleurs, le CHSCT  a l’intention d’attaquer le CHRU pour “faute inexcusable de l’employeur”, pour avoir mis en péril la santé et la sécurité de ses agents. Affaire à suivre, donc puisque la situation nantaise n’est pas unique, loin s’en faut. Le dernier rapport de l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), relève ainsi que les effectifs des hôpitaux et des collectivités ont cessé d’augmenter en 2011, alors qu’entre 2001 et 2007, l’emploi progressait de 1,9 % à 2,8 % par an dans la fonction publique hospitalière.

 


*Gériatrie, néphrologie, oncopédiatrie, hématologie, neurologie.


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne