Et si interdire le tabac était la seule option pour lutter contre ses effets dévastateurs ? Une idée qui ferait frémir plus d’un fumeur mais qui est défendu par le Dr Martine Perez. Médecin, rédactrice en chef du Figaro santé, elle vient de signer un livre intitulé Interdire le tabac, l’urgence ! (éditions Odile Jacob). Selon Martine Perez, son ouvrage n’est “ni un réquisitoire, ni un appel à la vindicte mais avant tout un cri d’alerte”. Elle propose que la France, à l’instar de la Finlande, interdise définitivement le tabac à l’horizon 2020.

 

Egora.fr : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Dr Martine Perez : Cela fait plus de 20 ans que je suis journaliste médicale au Figaro, et je me suis rendue compte que depuis une dizaine d’années, les risques sanitaires sont de moins en moins tolérés par la société. Il y a des grands mouvements qui font parler d’eux tous les jours et qui demandent l’interdiction des OGM, du nucléaire ou encore du bisphénol A. Ils réclament une réglementation des antennes-relais qui seraient dangereuses pour la santé. Quand on regarde ces quatre éléments dont on entend parler tous les jours via des groupes de pression ou de lobbying, on se dit que le risque pour la santé humaine est très minime. En revanche, il y a une certitude, c’est que le tabac tue mille fois plus que toutes ces choses que l’on veut interdire. Mon idée était donc de dire que si on veut vraiment faire attention à la santé publique, alors la priorité c’est d’interdire le tabac. On vit dans une société très irrationnelle où les risques sanitaires ne sont pas du tout hiérarchisés. On s’affole de manière terrible pour des dangers qui sont beaucoup moins problématiques que d’autres.

Je commence mon livre par cette scène où je vois trois petites filles qui doivent avoir 11 ans, en train d’allumer leur première cigarette. Je me suis alors dit qu’il fallait que j’écrive ce bouquin. Je trouve très triste de voir des enfants à peine sortis de l’enfance se mettre à fumer pour imiter les adultes.

 

Quel message voulez-vous faire passer ?

Je souhaite dire que le tabac est un produit inutile et dangereux. Sa seule utilité sociale est d’augmenter les bénéfices de l’industrie manufacturière. Le tabac n’est pas la liberté, mais c’est au contraire l’esclavage.

Je veux expliquer, notamment aux jeunes, aux enfants, mais surtout aux parents qu’ils ont tout intérêt à faire en sorte que leurs enfants ne fument pas. J’envoie aussi un message aux pouvoirs publics en leur disant : Intéressez-vous au tabac, menez des vraies politiques, soyez courageux. Un jour on vous reprochera peut être devant les tribunaux d’avoir laissé sur le marché un produit qui tue mille fois plus que d’autres que vous interdisez. Il faut aujourd’hui que quelqu’un ait le courage de dire, le tabac est toxique, il ne sert à rien et n’est pas la liberté. Il faut envisager son interdiction.

 

Vous parlez du tabac comme du principal risque sanitaire évitable, c’est-à-dire ?

Aujourd’hui le tabac serait responsable de 30 à 40 % de la mortalité avant 65 ans, c’est quand même incroyable. Le tabac est la cause de 30 % des cancers avant 65 ans. Si les gens arrêtaient de fumer, on éviterait 60 000, voire même 73 000 (d’après les derniers chiffres) morts par an. On éviterait des décès prématurés par maladies cardio-vasculaires. Beaucoup de personnes souffrent de problèmes respiratoires à cause du tabac, d’autres ne peuvent plus marcher à cause d’une artérite des membres inférieurs. Le tabac multiplie par deux le risque de maladies digestives. Bref, l’arrêt du tabac ferait faire de sacrés économies à la sécurité sociale. Sur le plan de la santé humaine cela serait très bénéfique.

 

Arrivez-vous à comprendre les fumeurs ?

Oui bien-sûr. Moi-même j’ai déjà fumé. Comme tout le monde au collège, en ayant le sentiment de faire quelque chose d’interdit et de transgressif à 12 ou 13 ans. J’ai fumé pas mal pendant une dizaine d’année, puis j’ai eu la sensation intuitive qu’à chaque fois que je fumais, cela me faisait du mal. J’ai alors décidé d’arrêter. Si j’avais continué à fumer, je ne serais peut-être plus là aujourd’hui.

Je comprends donc très bien cette addiction. Aujourd’hui encore, il m’arrive de sentir l’odeur du tabac et cela ramène dans mon esprit une époque où j’associais le tabac à quelque chose d’agréable.

Je pense, comme le disait David Kessler, ancien directeur de la Food and Drug Administration aux Etats-Unis, que le tabagisme est “une maladie pédiatrique”. Quand on interroge quelqu’un sur son rapport au tabac, il racontera toujours une histoire d’enfant, qui voyait le tabac positivement ; c’est le résultat des campagnes de communication rondement menées des industries du tabac.

 

Quel rôle le médecin généraliste doit-il jouer dans cette prise de conscience?

C’est toute la société qui est impliquée et pas que les médecins. Je pense vraiment qu’en matière de tabac, les politiques coercitives, ça fonctionne. Quand on a interdit de fumer dans les lieux publics, on nous a annoncé une révolution. Finalement il n’y en a pas eu. Petit à petit on arrivera très bien à détricoter ce qui a été patiemment tricoté au fil des années. Le tabagisme à grande échelle a vraiment commencé dans les années 30, un jour ça s’arrêtera.

 

Quelles seraient les conséquences d’une interdiction du tabac en France ?

Il y a toujours des réticences. Les buralistes ne seront pas contents. En même temps, on a aussi interdit l’amiante en France, et les marchands d’amiante ne se sont pas suicidés. Ils ont trouvé d’autres activités. Il y a beaucoup de choses dont on a réussi l’interdiction sans que cela ne soulève des tollés. On parle toujours de contrebande, mais dans ce cas là on n’interdirait rien. On ne va pas légaliser le cannabis parce qu’il y a de la contrebande. Je considère que ce n’est pas un argument. Je pense au contraire que les mères de famille seraient assez contentes de savoir que leurs enfants ne se mettent pas à fumer à 11 ans.

 

Vous parlez justement de l’exemple de la Finlande qui propose d’interdire le tabac à l’horizon 2020, comment cela est-il possible ?

La Finlande est complètement consciente des problèmes causés par le tabac. Depuis environ trois ans, le pays essaie de sortir du tabac progressivement.

Première chose : la hausse du prix des cigarettes. On sait que quand on augmente significativement le prix du tabac, on réduit la consommation. Cela a été constaté en France en 2003 où le prix a augmenté considérablement et où la consommation à diminué de 30 %. Ils ont ensuite décidé d’interdire le tabagisme dans tous les lieux publics en intérieur ou en extérieur. La vente ou même le simple fait d’offrir une cigarette à un mineur est un délit passible de six mois de prison. Dans un second temps, l’exposition de paquets de cigarettes chez les débitants a été rendue illégale. Les paquets sont sous le comptoir pour ne pas inciter les gens à fumer. Il est aussi interdit de fumer dans les voitures individuelles dès lors qu’un mineur s’y trouve.

Ces mesures n’ont pas suscité d’émeutes, elles semblent au contraire avoir été comprises et acceptées par les Finlandais. Les autorités ne prévoient donc pas d’interdire le tabac, mais d’en rendre la vente et l’achat de plus en plus difficiles, voire quasiment impossibles. A mon avis, c’est le seul moyen d’y arriver. On ne peut espérer vaincre le tabac à petites touches. Il faut des mesures drastiques.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi