Urgentiste au Samu de Paris, Patrick Pelloux est un médecin en colère. Il a rassemblé dans son dernier ouvrage*, ses chroniques publiées depuis 2009 dans Charlie Hebdo, inspirées par  la vie quotidienne de patients pris en charge par le Samu, ou encore par de grands thèmes de santé publique. Entretien avec cette personnalité très médiatique, alors que la violente agression aux urgences du CHU de Grenoble, vient rappeler que la médecine d’urgence peut aussi s’exercer dans de grandes conditions d’insécurité.

 

Egora.fr: Vous êtes préoccupé par le burn out des professionnels soignants et le taux de suicide important chez les médecins. Comment faudrait-il s’organiser pour éviter ces drames ?

Patrick Pelloux : Il s’agit d’un sujet encore tabou, qui est inique. Dans les contrats d’assurances, une  clause a été rajoutée pour spécifier que le suicide est exclu des contrats. De fait, lorsqu’un médecin se suicide, sa famille occulte la cause de sa mort, car elle risque de ne rien toucher des assurances et traverser de gros problèmes financiers. On ne cherche pas les vraies raisons des suicides de médecins, qui tiennent notamment à l’organisation professionnelle et au management des équipes. Les services d’urgences ont mené des campagnes d’affichages pour faire de la prévention contre le suicide.  Mais personne ne nous appelle.  Il faudrait mettre en place une médecine du travail au sein des hôpitaux, essentielle mais inexistante car  aujourd’hui, lorsque les jeunes médecins disent qu’ils veulent faire de la médecine du travail, c’est mal vu ! Pour lutter contre le burn out des médecins dans les services d’urgences,  il faudrait décompter leur temps de travail afin de s’assurer qu’ils ne travaillent pas plus de 39 heures par semaine gardes comprises. Certains d’entre eux travaillent 80 heures par semaine. Ils sont épuisés. C’est mauvais pour eux et pour les patients.

 

Vous remettez globalement en cause l’organisation du système de soins. Quelles solutions proposez-vous ?

Il faut refondre tout le système. Pendant la campagne présidentielle, les candidats n’ont absolument pas parlé de la question de la santé. Il nous faut innover car on  ne peut plus demander aux médecins de faire des gardes toutes les nuits. Le système est désordonné. Il faut interdire aux établissements de réduire le nombre de lits l’été et pendant les congés. On manque de lits en soins palliatifs et d’accompagnement en fin de vie. Le lien ville-hôpital doit également être entièrement repensé. Les initiatives lancées doivent s’adapter aux territoires. L’enjeu est avant tout pour les malades. Plus les liens entre les professionnels seront renforcés, plus le système va s’améliorer avec des bénéfices non négligeables pour l’économie de la santé.

 

Vous intervenez régulièrement auprès des personnes âgées et vous constatez leur solitude, le manque d’aide qui leur est accordé à la suite du décès de leur conjoint…

Les personnes âgées sont totalement mises de côté. Certes, nous ne pouvons pas nous substituer aux familles qui doivent s’occuper d’elles, cela relève de la responsabilité familiale. Néanmoins, les personnes âgées sont très seules, il faut donc mettre en place un nouveau système. Dans le cadre de nos interventions, nous voyons des personnes qui viennent de perdre leur conjoint. Elles doivent faire la déclaration du décès à la mairie, mais souvent elles ne savent pas comment s’y rendre et elles restent seules avec le cadavre. A Paris, la mairie a ouvert une cellule de permanence sociale qui permet l’intervention des services sociaux, même le weekend, auprès de ces personnes âgées pour les aider. Il s’agit d’une bonne initiative car la détresse sociale n’existe pas uniquement aux heures ouvrables.

 

Quel bilan tirez-vous de l’organisation actuelle des urgences en France ?

Il y a beaucoup de travail à faire. Les services des urgences dysfonctionnent de manière chronique, notamment parce que leur organisation date des années 1970. Nous manquons de moyen et d’organisation et cela ne va pas aller en s’arrangeant. Les patients sont d’accord pour attendre six heures aux urgences à partir du moment où on leur apporte une réponse. Mais actuellement, l’attente à l’hôpital n’est pas gérée et les patients ne comprennent pas. Par ailleurs, lorsqu’il y a un afflux massif chronique de patients, les urgences doivent trouver des solutions avec l’offre de soins de ville.


*Patrick Pelloux, Urgences…Si vous saviez, chroniques du Samu, Ed. Cherche Midi, avril 2012, 335 p., 17 euros.


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Laure Martin